Antoine Grognet : « à la sortie des vestiaires après France-Croatie, c’était le grand n’importe quoi »

Publié le 22 juillet 2018 - Bruno Colombari

Antoine Grognet n’est pas un inconnu des lecteurs de Chroniques bleues : l’auteur de Mister George (éditions Salto), chargé à RFI de suivre les Bleus, avait déjà répondu à mes questions le 6 mai dernier.

Lire l’article Antoine Grognet : « Quoiqu’il arrive, je reste en Russie jusqu’à la finale »

Pendant la Coupe du monde, nous avions convenu qu’on ferait un débriefing à son retour. Il a tenu parole, et ce cinq jours seulement après la finale, qu’il a commenté à la radio. Pendant 31 jours, du 14 juin au 15 juillet, il a aussi réalisé le Journal des Bleus, des sons d’une minute quarante racontant la journée de l’équipe de France. Pour les les écouter, c’est ici. Les vidéos dans l’article ont été tournées par les équipes de RFI sur place.

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Dans la tribune de presse du stade Loujniki à quelques minutes de la finale : Antoine Grognet (premier plan), Olivier Pron (au centre) et Farid Achache (à droite), journalistes à RFI.
Dans la tribune de presse du stade Loujniki à quelques minutes de la finale : Antoine Grognet (premier plan), Olivier Pron (au centre) et Farid Achache (à droite), journalistes à RFI.
Tu as eu la chance inouïe de vivre une finale de Coupe du monde avec les Bleus vainqueurs. Raconte-nous comment s’est passé pour toi ce 15 juillet.

J’ai essayé de le vivre exactement comme les autres jours de match de cette Coupe du Monde. le réveil a sonné tôt, forcément parce que la radio exige d’être en direct le matin, surtout quand la France joue une finale de Coupe du Monde. J’ai rejoint le stade assez tôt, pour avoir une place en salle de presse (les journalistes étrangers sont forcément beaucoup plus nombreux que sur les matches précédents).

« On essaie de faire comme d’habitude, mais on est sans cesse rattrapé par l’enjeu »

Après, c’est une préparation aussi classique que possible. Retrouver les notes prises lors des matches précédents, quelques statistiques pertinentes, bref on fait comme d’habitude, en tout cas on essaye. Mais on est sans cesse rattrapé par l’enjeu. Au coup de sifflet final, ç’a été une forme de libération après un mois de travail de crier ’l’équipe de France est championne du monde’. On a beau ne pas être supporter des Bleus au moment où on commente, on a conscience de vivre un moment fort de notre carrière.

Ensuite, je suis descendu pour réaliser les interviews d’après-match, à la sortie des vestiaires. Et là, c’était le grand n’importe quoi. Les joueurs français qui couraient partout, les célébrités (Laurent Blanc, Lilian Thuram, Nicolas Sarkozy, Emmanuel Macron, Gianni Infantino et même Vladimir Poutine que j’ai eu en interview avec d’autres journalistes).

Nous nous sommes retrouvés arrosés de bière et de champagne par les joueurs de l’équipe de France. Didier Deschamps était dans un état de joie que l’on n’aurait pas cru possible chez lui. Bref, on était hors du temps pendant tout cet après-match.

Quelle était l’ambiance dans les stades ? Les supporters des deux équipes étaient mélangés, sans que ça ne pose apparemment problème…

Est-ce dû à l’instauration de la Fan ID (badge de supporter) qui a permis de sélectionner en amont les fans présents en Russie et donc en tribunes ? Mais en tout cas, il n’y a eu aucun incident ou presque pendant cette Coupe du Monde. L’ambiance était parfois un peu décevante, surtout en phase de groupes. Mes meilleurs souvenirs restent incontestablement le match France-Pérou (un stade en Rouge et Blanc) rempli de Péruviens au comble de la joie, et le match France-Argentine qui a pris des allures de Monumental (le stade de Buenos Aires) grâce aux supporters argentins.


 

« Au stade du Spartak, on était placés presque au bord de la pelouse »

Quelles ont été les conditions de travail pour les journalistes en tribune de presse ?

Absolument remarquable. Et plus agréable dans certains stades que dans d’autres. Notamment celui du Spartak, conçu à l’anglaise, les journalistes étant placés presque au bord de la pelouse. J’y ai commenté le match Belgique-Tunisie, où l’on a pu constater de très près la qualité technique des attaquants belges.

Comment s’est passé l’accès aux joueurs de l’équipe de France, notamment à Istra ?

L’encadrement de l’équipe de France a fait en sorte de faire venir deux joueurs par jour en conférence de presse. Cela nous permettait de prendre le pouls des Bleus quotidiennement. Les entraînements étaient en général ouverts aux journalistes, ce qui nous a permis de constater la bonne ambiance collective.

Le contact a donc été fréquent mais distant tout de même, les seuls moments avec les joueurs se bornant aux conférences de presse et aux zones mixtes d’après match. Les Bleus ont largement joué le jeu médiatique, même à l’approche de la finale et c’est à mettre à leur crédit.

La multiplication des supports de communication (sites web, réseaux sociaux, podcasts…) a-t-elle changé la nature du travail des journalistes sur place ?

Oui et non. La base du métier reste de se rendre aux conférences de presse, de rester à l’affût des petites phrases. Les joueurs et le staff disent beaucoup de choses, mais en sous-texte, alors il faut en permanence analyser leur discours. Les réseaux sociaux apportent quelques éléments supplémentaires. Des indications sur la vie dans le vestiaire, ou dans le camp de base ultra-fermé.

Mais il ne faut pas non plus être dupe. La majorité de ce qui se passe dans le groupe reste secret. Ce que publient les joueurs est sûrement très encadré. Rien n’est rendu public par hasard.

« Les autorités russes avaient envoyé les hooligans au vert »

Les dispositifs de sécurité semblent avoir bien fonctionné, il n’y a pas eu de débordements avec des hooligans russes ou étrangers, ni d’attitude raciste comme on pouvait le craindre…

Le nombre de policiers, de vigiles et de volontaires était très impressionnant. Je parlais de Fan ID tout à l’heure, les autorités russes avaient envoyé les hooligans « au vert ». Le moindre écart de conduite était sanctionné du retrait de la Fan ID et l’interdiction de pénétrer dans les stades. Tout avait été réfléchi en amont pour éviter les débordements. Et force est de constater que cela a fonctionné.


 

As-tu eu le temps de visiter un peu les villes où tu es allé ? Lesquelles t’ont le plus marqué ?

A côté d’Istra, à laquelle je me suis attaché mais qui reste un coin de campagne perdu, toutes les villes ont paru accueillantes ! Plus sérieusement, évidemment Moscou est une ville somptueuse. Je conseille notamment de passer devant l’ambassade de France dont l’architecture vaut le détour. Le Gorki Park est très agréable aussi.

Au rang des bonnes surprises, Kazan a retenu mon attention. On sent une ville riche, surplombée d’un petit Kremlin, avec une rue piétonne pleine d’animation et pleine de petites surprises. Nijni Novgorod et ses églises orthodoxes m’a aussi beaucoup plu.

« Les 15 jours de prison pour les Pussy Riots montrent que les vacances sont finies »

Cette Coupe du monde était aussi l’occasion pour Vladimir Poutine de faire une opération de communication et de changer l’image de la Russie à l’étranger. Est-ce réussi ?

Indéniablement. D’ailleurs, de nombreux Russes s’inquiètent du "retour à la normale’ d’après Coupe du monde. Les 15 jours de prison infligés aux Pussy Riots entrées sur le terrain lors de la finale montrent que les vacances sont finies. Mais il faut reconnaître aussi que l’accueil réservé aux étrangers, touristes comme journalistes, a été excellent. Même dans une ville comme Nijni Novgorod, ville fermée jusqu’au début des années 90 et qui n’avait jamais connu pareille affluence de personnes étrangères.


 

Certains disent, en le regrettant, que Russie 2018 était peut-être la dernière Coupe du monde telle qu’on l’a connue. La prochaine sera hors-sol et hors-saison, au Qatar, et la suivante se jouera à l’échelle d’un continent entre trois pays et probablement à 48 équipes. Qu’en penses-tu ?

La Coupe du monde est devenue un tel événement planétaire que des aménagements ont paru nécessaires. Il faut penser aux joueurs quand on organise une telle compétition : et on ne peut pas les faire jouer par 50 degrés. Les détracteurs de la Coupe du monde en hiver sont surtout opposés à ce qu’elle soit organisée au Qatar.

Personnellement, je demande à voir. Les distances entre les stades seront plus réduites, plus à taille humaine qu’en Russie. Je suis plus sceptique sur la Coupe du monde à 48 qui revient plutôt à organiser un nouveau tour de qualifications en pleine phase finale et rendre la compétition trop longue. Un mois suffit ! Je ne pense pas toutefois que passer à 48 réduise l’intérêt de la compétition. On a vu quelques petites équipes (le Mexique surtout) poser de gros problèmes aux favoris cette année !

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