A la recherche des doublés symétriques

Publié le 15 juillet 2021 - Bruno Colombari

C’est passé un peu inaperçu en raison de l’élimination prématurée des Bleus, mais l’Euro a été l’occasion d’un fait statistique étonnant et rare : des doublés symétriques (côté français et côté adverse), lors de deux matchs consécutifs. Quels sont les 17 précédents ?

8 minutes de lecture

Le 23 juin 2021, la malédiction de Cristiano Ronaldo s’achève enfin : en transformant un pénalty face à Hugo Lloris à la 30e minute, l’attaquant portugais marque son premier but lors de son septième match face à l’équipe de France. Puis, on s’en souvient, son ex-coéquipier au Real Karim Benzema égalise, lui aussi sur pénalty, juste avant la mi-temps. C’est son premier but en sélection depuis octobre 2015. Puis, moins de deux minutes après le retour des vestiaires, Benzema signe un doublé et redonne l’avantage aux Bleus. Pas pour longtemps, puisqu’un nouveau pénalty accordé au Portugal donne l’occasion à Cristiano Ronaldo de répondre. 2-2 donc, et deux doublés qu’on pourrait qualifier de symétriques puisqu’ils se répondent lors du même match. C’est même là le cas de figure parfait, puisque ces deux doublés constituent tous les buts du match, ce qui n’était jamais arrivé précédemment.

Il n’a pas fallu attendre longtemps pour revoir ce cas de figure : cinq jours très précisément. Lors du huitième de finale France-Suisse à Bucarest le 28 juin dernier, Haris Seferovic ouvre le score pour la Nati en première période. Karim Benzema répond juste avant l’heure de jeu par un doublé express en moins de deux minutes, puis Paul Pogba donne deux buts d’avance aux Bleus (3-1). La suite, on la connaît, avec dix dernières minutes fatales aux champions du monde avec la réduction du score par Haris Seferovic puis l’égalisation de Mario Gavranovic. Et donc deux nouveaux doublés symétriques.

On pourrait penser, en lisant ces lignes, que c’est un événement banal. Or, pas du tout. Pour une raison statistique évidente : pour que chaque équipe voie un de ses joueurs signer un doublé, encore faut-il que le score soit au minimum de 2-2, en tout cas qu’il y ait au moins deux buts marqués de chaque côté.

Un détour par la précieuse matrice des scores nous apprend que sur les 873 matchs disputés depuis 1904, l’équipe de France n’a pas encaissé de but à 307 reprises, et un seul lors de 253 sorties. Ce qui fait déjà 560 matchs non concernés par les doublés symétriques. Ajoutons les 80 autres matchs (en plus de ceux déjà décomptés précédemment) où les Bleus n’ont pas marqué de but, et les 91 autres où ils n’en n’ont marqué qu’un. Ce qui fait 171+560=731 matchs à exclure. Il n’en reste donc plus que 152 !

Sur ces 152, j’en ai trouvé 19 avec au moins deux doublés symétriques. Parfois, il y a un triplé, un quadruplé, voire même un quintuplé, mais le principe est le même. Voici leur histoire.

Maës emporte tout contre l’Italie en 1912

Tout commence deux ans avant la Première Guerre Mondiale, à une époque où les scores sont larges (mais souvent en faveur de l’adversaire). Pour la première fois de son histoire, l’équipe de France vient d’enchaîner une microsérie de trois matchs sans défaite (après un catastrophique enchaînement de 14 défaites et un nul entre 1905 et 1911). Les arrivées du premier grand gardien tricolore, Pierre Chayriguès, et du premier buteur en série français, Eugène Maës, changent la donne.

A Turin le 17 mars 1912, Eugène Maës, qui fait son service militaire, n’arrive qu’à cinq heures du matin le jour du match (disputé à 15h). Mais il en faut plus que ça pour l’impressionner. C’est lui qui ouvre le score dès la 10e minute, puis qui redonne l’avantage aux Français à la 38e après l’égalisation de Carlo Rampini. La course poursuite dure plus d’une heure, les Italiens égalisant par Aldo Ceverini avant que Louis Mesnier ne remette les Français devant. Et comme Carlo Rampini égalise pour la troisième fois, Maës emporte tout, le gardien Vittorio Faroppa et le ballon et donne la victoire à l’équipe de France (4-3).


Open Bard à Milan en 1920

Les doublés symétriques suivants ne se font pas attendre : l’équipe de France retourne en Italie, cette fois à Milan le 18 janvier 1920 pour son premier match sous l’égide de la FFF, créée en avril 1919. Maës et Chayriguès ne sont plus là, et l’équipe est montée de bric et de broc avec huit débutants. Ses atouts sont devant avec Henri Bard, Raymond Dubly et les deux nouveaux Paul Nicolas et Jules Devaquez. Mais c’est très léger derrière, surtout que les Français arrivent à Milan après un voyage de 41 heures en raison d’une grève des cheminots.

Ils sont balayés dans les vingt premières minutes (0-3), reviennent bien avant la mi-temps grâce à un but de Paul Nicolas et un doublé de Henri Bard (3-4) mais s’effondrent après la pause en encaissant quatre buts en un quart d’heure. Score final 4-9. Au doublé de Bard, les Italiens ont répondu par un doublé de Luigi Cevenini mais aussi par deux triplés de Ermanno Aebi et de Guglielmo Brezzi.

Taisne contre l’oriundo en 1927

Et comme on ne change pas une équipe qui gagne, c’est encore contre l’Italie qu’a lieu les troisièmes doublés symétriques, le 24 avril 1927 à Colombes. Après la victoire de 1912 et la défaite de 1920, c’est sur un nul (3-3) que les deux équipes se séparent au terme d’un match spectaculaire. L’Italie commençait à s’affirmer comme une grande puissance du football (elle allait enchaîner deux titres mondiaux et une victoire olympique entre 1934 et 1938), et c’est l’Amiénois Georges Taisne, qui fait ses débuts ce jour-là, qui signe un doublé pour la France. L’Argentin d’origine italienne (un oriundo, donc) Julio Libonatti répondait à l’ouverture du score par un doublé en sept minutes (29e, 36e) et Julien Sottiault offrait l’égalisation aux Tricolores à la dernière minute (3-3).


Veinante battu par un triplé express orange en 1931

A l’automne 1931, une douce euphorie s’est emparée de l’équipe de France : elle vient d’enchaîner une victoire sur l’Allemagne (1-0) et surtout face à l’Angleterre (5-2). Contre les Pays-Bas, le 29 novembre, les Français la jouent un peu facile après l’ouverture du score rapide par Robert Mercier, puisque Wim Lagendaal allait marquer un triplé express (13e, 22e et 23e), complété par Jaap Mol (24e) dans un scénario digne du Brésil-Allemagne 2014. Le doublé d’Emile Veinante en deuxième période (53e, 68e) ne suffisait pas aux Français pour revenir au score (3-4), alors que Mercier avait deux balles d’égalisation en fin de match.

Sécember et Rolhion héros des Balkans en 1932

Lors de la tournée balkanique de juin 1932, après une défaite à Belgrade contre la Yougoslavie (1-2), l’équipe de France allait découvrir la Bulgarie. Sur un terrain rendu marécageux par une violente averse, Jean Sécember allait signer un magnifique quadruplé (quatre buts consécutifs, en plus) auquel répondait Asen Pantchev, auteur d’un triplé tardif faisant remonter le score à des proportions plus honorables (5-3) après que le gardien André Tassin, attaqué à coups de pieds au visage (!) ait été remplacé par Raoul Chaisaz.

Trois jours plus tard, à Bucarest, c’est une autre histoire avec des Roumains bien plus techniques qui l’emportent largement (6-3) grâce à trois doublés de Iuliu Bodola, Rudolf Wetzer et Alexandru Schwartz auxquels répondait en fin de match (75e et 77e) un doublé du remplaçant Roger Rolhion. C’est la première fois dans l’histoire des Bleus qu’un non-titulaire marque !


René Gérard, un môme à Berlin en 1933

Le 19 mars 1933, dans un Berlin où le nazisme vient de s’installer à la Chancellerie et alors qu’une vague d’arrestations massives frappe les communistes, l’équipe de France joue le premier match de son histoire en Allemagne. La défense est mal organisée et cède trois fois, dont deux buts d’Oskar Rohr, mais sa jeune attaque composée de trois joueurs de moins de vingt ans (René Gérard, Jean Nicolas et Roger Rio) fait mieux que tenir tête : Rio ouvre le score à la 22e et Gérard signe un doublé en deux minutes (81e et 83e) qui offre à la France un nul prophétique : 3-3, déjà… A 18 ans, 9 mois et 11 jours, il est toujours le plus jeune auteur d’un doublé en équipe de France. Mais il ne marquera plus lors de ses quatre sélections suivantes.

Jean Nicolas triple à Amsterdam en 1934

L’ambiance est plus sereine, un an plus tard à Amsterdam. Renforcée par l’entraîneur anglais George Kimpton chargé par la FFF d’inculquer les principes du WM, l’équipe de France qui prépare la Coupe du monde 1934 fait les mêmes erreurs défensives que trois ans plus tôt. Cette fois c’est Bep Bakhuys qui régale en marquant deux fois en cinq minutes (7e, 12e) alors que Vente avait déjà ouvert le score (3e). Mais les Tricolores réagissent cette fois, reviennent rapidement à 3-3 grâce à un doublé de Jean Nicolas (21e, 25e), puis 4-4 avant la mi-temps. Et ils l’emportent dans le dernier quart d’heure sur un troisième but de Nicolas (5-4). Après quatre défaites initiales, c’était la première victoire française contre les Néerlandais. Et à l’extérieur !

Désiré Koranyi dégèle le Parc en 1940

Pour le premier match de guerre de l’histoire de la sélection, le 28 janvier 1940, les Bleus obtiennent une permission le temps de rencontrer le Portugal dans un Parc des Princes congelé. Oscar Heisserer et Désiré Koranyi (doublé) donnent trois buts d’avance à la France Fernando Peyroteo réduit le score en fin de match (83e et 85e). Ce match est marqué par la dernière sélection d’Étienne Mattler et des débuts de deux Autrichiens naturalisés français, Henri Hiltl et le gardien Rudi Hiden.

Après trois défaites consécutives au printemps 1949, les Français reçoivent la Suisse à Colombes le 4 juin et mènent facilement 3-0, mais un doublé express de Jacques Fatton (73e et 74e) oblige Jean Baratte, auteur du troisième but français, à assurer le coup en portant le score à 4-2 au cours d’un match où il aura tiré pas moins de onze fois.

Quatre ans plus tard, toujours contre la Suisse, c’est un mauvais jour pour le gardien français René Vignal sorti KO à la 22e sur le but de Jacques Fatton, encore lui : les Suisses mènent alors 3-1 grâce à un doublé de Charles Antenen, qui inscrira un troisième but personnel à la 36e. A 1-4 à la mi-temps, les Français tentent le tout pour le tout, tirent 22 fois mais ne marquent qu’un seul autre but par Joseph Ujlaki, qui avait déjà ouvert le score.

La manita de Cisowski en 1956

Pour la deuxième fois de leur histoire seulement, Français et Belges se rencontrent en compétition le 11 novembre 1956, en l’occurrence pour les qualifications de la Coupe du monde 1958. C’est un cauchemar pour le gardien belge Alfons Dresen qui encaisse pas moins de cinq buts de Thadée Cisowski (13e, 15e, 44e, 72e et 88e). Il est vrai que la puissance offensive de cette équipe, entraînée par Albert Batteux, est phénoménale : Maryan Wisniewski, Rachid Mekhloufi, Thadée Cisowski, Roger Piantoni et Jean Vincent. Maurice Willems (doublé aux 61e et 67e) permet aux Belges de limiter les dégâts sans éviter un score de tennis (6-3).

Fontaine et la Suède en feu en 1958

Arrivés en Suède, les Français n’ont plus Mekhloufi (qui a rejoint l’équipe clandestine du FLN) et Cisowski (blessé) mais ont récupéré Kopa et Fontaine, ce qui n’est pas rien. La connexion entre le meneur de jeu madrilène et le buteur rémois fait immédiatement des étincelles et incendie la défense paraguayenne le 8 juin 1958 : si Florencio Amarilla profite des largeurs défensives françaises pour ouvrir le score et égaliser avant la pause, Fontaine claque un triplé (24e, 30e et 68e) tandis que les quatre autres attaquants marquent un but chacun (Kopa, Vincent, Piantoni et Wisniewski). 7-3, tout le monde est là, le festival de Suède peut commencer !

Trois jours plus tard à Västeras, Fontaine continue de faire tourner son compteur personnel en marquant très vite (4e) et en égalisant à 2-2 (85e), mais les Yougoslaves ne se laissent pas impressionner et l’emportent grâce à un doublé de Todor Veselinovic, qui deviendra en 1982 le sélectionneur de la Yougoslavie et croisera à nouveau la route des Bleus, à Saint-Etienne en juin 1984.

Le rêve brisé de François Heutte en 1960

Le 6 juillet 1960 aurait pu devenir le jour de gloire de François Heutte. Premier Français à signer un doublé en demi-finale d’un grand tournoi, l’ailier lensois pensait bien avoir ouvert la voie de la finale de la première Coupe d’Europe des Nations lorsqu’il avait donné deux buts d’avance aux Bleus à la 62e après avoir déjà marqué le deuxième but français à la 43e. Le score est alors de 4-2, mais à la 75e s’ouvre une faille spatio-temporelle qui engloutit le malheureux gardien niçois Georges Lamia : en trois minutes, il va encaisser trois buts par Tomislav Knez (75e) et Drazen Jerkovic (77e, 78e). 4-5 donc, et pour la première finale de l’histoire, il faudra encore attendre 24 ans.

Domergue invite 55 000 personnes pour son anniversaire en 1984

Le hasard faisant bien les choses, c’est justement 24 ans plus tard qu’on retrouve un doublé symétrique. Et c’est à Marseille, contre le Portugal, que la France va tenter d’effacer l’humiliation de 1960 et le cauchemar de Séville pour atteindre la finale de son Euro. Platini a déjà inscrit 7 buts dans le tournoi, mais ce n’est pas lui qui tire le coup franc de la 25e minute. Le défenseur de Toulouse Jean-François Domergue [1], l’invité surprise de l’Euro, place une frappe lourde du gauche dans la lucarne de Bento. Les Bleus ont maintes occasions de prendre le large, mais le Portugal revient en fin de match par Jordao, arrache les prolongations et crée la surprise en prenant l’avantage, toujours par Jordao. Alors Domergue, qui fête ses 27 ans ce soir-là, égalise au terme d’une partie de flipper dans la surface portugaise. Et assiste de loin au but fatal de Platini à la 119e (3-2).

[1C’est le père du commentateur de M6 Xavier Domergue.

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