Le mystère Alcazar

Publié le 3 avril 2020 - Pierre Cazal

Certains internationaux sont moins remarquables par leur carrière en bleu que par leur trajectoire de vie, pleine de surprises et de rebonds inattendus. Cette série débute ici avec Joseph Alcazar, un véritable casse-tête pour l’état-civil, de sa naissance à sa mort.

2 minutes de lecture

11 sélections en équipe de France entre 1931 et 1935 (dont une participation à la Coupe du monde 1934) pour deux buts marqués, star mythique de l’OM d’avant-guerre : Alcazar, au-delà de sa légende — bégaiement, avarice, habitude de parler de lui à la troisième personne en s’appelant lui-même Pepito — est l’un des plus grands mystères de l’histoire des Bleus.

Qu’on en juge : on ne sait ni exactement comment il s’appelle, ni quand il est né, ni quand il est mort ! Qui dit mieux ?

Reprenons : Wikipédia l’appelle José Américo Garcia, Alain Pécheral (grand spécialiste de l’OM) Joseph Alcazar Garcia, et l’hebdomadaire Football qui publiait avant-guerre les listes de transferts, José Alcazar... Les uns le disent né le 7 janvier ou le 16 mai 1905, le 4 mars 1909, le 1er janvier 1910, le 15 juin, ou 26 juin ou 15 novembre 1911 ! Deux dates de décès (seulement) : 4 avril 1979 ou 19 avril 1984, à Marseille. Aucun acte de naissance ou de décès disponible, bien entendu, sinon le mystère serait déjà levé.

Peut-on démêler cet écheveau ?

José, c’est Joseph ; Americo est un prénom ; les Espagnols (puisqu’Alcazar est espagnol d’origine et de nationalité) accolent le nom du père (en premier) et le nom de la mère (en second) : donc Jose Americo (deux prénoms) Alcazar Garcia (noms du père et de la mère) sont plausibles, à défaut d’être vérifiables. Premier point.

Second point, Alcazar a été naturalisé français, Sporting écrit, le 7 janvier 1930 : « C’est fait depuis la semaine dernière : Alcazar vient de recevoir son titre de nationalité française », donc fin décembre 1929 ou tout début janvier 1930. Il ne m’a pas été possible de trouver trace du décret, normalement publié au Journal Officiel.

Par contre, en octobre 1930, L’Auto signale qu’Alcazar est affecté au 141ème régiment d’infanterie de Marseille, preuve qu’il est donc bien français, et de la « classe » 1910. Indice supplémentaire ? Football, le 22 juin 1938, contient l’information suivante : José Alcazar, 28 ans. Confirmation en 1937 : 27 ans ; en 1936, 26 ans. Ce qui implique une date de naissance comprise entre juillet 1909 et mai 1910, et élimine du coup plusieurs des propositions précitées !

Dernier élément : le Miroir des Sports écrit en mai 1934 : "Alcazar a eu 24 ans le 1er janvier ». Conclusion : la date du 1er janvier 1910 semble s’imposer. Sauf que, c’est bien connu, quand l’administration ne peut établir une date, elle opte par convention pour le 1er janvier... Gilles Castagno, dans son EncyclOM, est le seul à indiquer cette date, avec un lieu de naissance différent : La Union (près de Carthagène, en Espagne), et non Oran, comme les autres. Il ajoute que la famille Alcazar, d’origine gitane (La Union, région par ailleurs minière, est le siège d’un fameux carnaval de flamenco) a émigré en 1911 à Oran, comme tant d’autres Espagnols, attirés par les autorités françaises pour coloniser l’Algérie voisine. Date qui expliquerait l’hypothèse d’une naissance déclarée a posteriori à Oran en 1911...

Tous les historiens de l’OM s’accordent à dire qu’Alcazar était gêné quand on lui demandait sa date de naissance, comme s’il l’ignorait exactement lui-même. Il biaisait, prétendant s’être vieilli à son arrivée à Marseille en septembre 1927, ou parfois ...le contraire ! Bref, il brouillait les pistes.

JPEG - 61.2 kio

Quant à son décès... la seule chose qui est sûre, c’est qu’il est mort, mais ce n’est pas lui qui a brouillé les pistes cette fois-ci ! En 1979 ? L’unanimité semblait (étonnamment !) faite , jusqu’à ce que, dans sa Grande Histoire de l’OM, Alain Pécheral ne rapporte l’anecdote suivante : « Un soir de l’automne 1983 (...) je bavardais rue d’Italie avec Roger Dard, frère jumeau de Georges qui me parlait de son père, membre fondateur de l’OM, lorsqu’Alcazar vint le saluer. Il avait la démarche hésitante et l’élocution difficile d’une personne ayant subi une légère attaque cérébrale. » 

Roger Dard ayant été le coéquipier d’Alcazar, son identification valait garantie. Et donc Alcazar était encore en vie en octobre 1983 ! Pas en bonne santé, certes, et la rumeur de son décès en 1979 provenait peut-être d’un AVC, qui sait ? Mais l’hypothèse d’un décès en avril 1984 en tous cas s’en trouve renforcée, du moins jusqu’à ce qu’elle soit confirmée ou infirmée par un document.

Avis aux lecteurs qui en sauraient davantage...

pour finir...

Mise à jour le 4 mai 2021

Le docteur Jean-Pierre de Mondenard a enfin trouvé un acte de décès, le 21 avril 1987 à Aix-en-Provence. Lire son article L’énigme Alcazar enfin résolue. Merci beaucoup à lui de nous l’avoir signalé.

Un message, un commentaire ?

modération a priori

Attention, votre message n’apparaîtra qu’après avoir été relu et approuvé.

Qui êtes-vous ?
Ajoutez votre commentaire ici

Ce champ accepte les raccourcis SPIP {{gras}} {italique} -*liste [texte->url] <quote> <code> et le code HTML <q> <del> <ins>. Pour créer des paragraphes, laissez simplement des lignes vides.

Spécial Ligue des Nations