Lucarne Opposée : « Si le Pérou joue libéré, les huitièmes sont clairement accessibles »

Publié le 12 juin 2018 - Bruno Colombari

Si vous croyez que tirer le Pérou au premier tour était une bonne affaire pour les Bleus, lisez ce qui suit et révisez votre jugement. Même si elle a été absente du Mondial depuis 1982, la Blanquirroja revient avec un collectif très soudé, un héros retrouvé, un sélectionneur qui sait où il va et une série historique de quinze matchs sans défaite. Ce n’est pas moi qui le dit, ce sont les deux spécialistes d’Amérique latine du site Lucarne Opposée, Romain Lambert et Nicolas Cougot. Arriba Perù !

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L’attaquant Paolo Guerrero a finalement été blanchi et jouera la Coupe du monde. Pouvez-vous revenir sur ce qui lui est était reproché et sur la façon dont l’affaire a été perçue au Pérou ?

ROMAIN LAMBERT : Il aurait été contaminé par un mate de coca qui contient une molécule que l’on retrouve dans la cocaïne. La FIFA a finalement écarté une consommation de drogue ou autre produit dopant ayant pour fonction d’améliorer ses performances. Au Pérou, cet épisode a été vécu comme un drame national et son cas était suivi comme une telenovela avec un soutien sans faille de l’opinion publique envers son meilleur joueur et capitaine.

NICOLAS COUGOT : Il faut dire que l’affaire a rassemblé tous les meilleurs ingrédients pour en faire un feuilleton qui pouvait tenir un pays en haleine. Il touchait un homme qui est clairement plus qu’un simple football au pays et chaque épisode a apporté son lot de rebondissements. L’annonce du contrôle positif, celle de la contamination d’un maté, la suspension privant de Coupe du Monde puis l’annonce de la réduction de peine qui a fait chavirer tout un pays et un joueur dans la joie puis les derniers rebondissements du TAS, c’était un vrai scénario de série.

On voit que dans d’autres pays, nombreux sont ceux qui s’insurgent devant cette histoire, je veux en profiter pour rappeler qu’une affaire similaire s’était produite en 1993 en Bolivie avec Miguel Ángel Rimba. Lui aussi avait été contrôlé positif à des résidus de cocaïne, lui aussi avait été suspendu puis blanchit par la FIFA après qu’il avait été montré qu’il avait pris un maté de coca. Il était dans les 23 aux USA, ça n’avait pas ému grand-monde.

La Blanquirroja joue-t-elle mieux avec lui que sans lui ? Qu’avez-vous pensé de sa prestation contre l’Arabie Saoudite ?

ROMAIN LAMBERT : Ricardo Gareca s’était parfaitement adapté à jouer sans lui sans doute car c’est un technicien qui se base sur une force collective plutôt que sur des individualités. Contre l’Arabie Saoudite, on le voit peu à peu se fondre dans le collectif et il a finalement été très fort quand il s’est mis au service de l’équipe. Pour un joueur absent des terrains avec la sélection depuis presque huit mois, c’est plutôt impressionnant.

« La force du Pérou est son collectif »

NICOLAS COUGOT : Il a clairement fait le travail face aux Saoudiens, pareil en Suède. Il offre une autre possibilité à Gareca dans son animation offensive en servant plus de point d’ancrage, de joueur capable de conserver le ballon pour permettre au bloc de remonter quand Farfán apporte plus de profondeur. Comme le dit Romain, qu’il soit présent ou absent n’a pas d’incidence directe sur la performance de l’équipe tant la force du Pérou est son collectif.

Quels sont les atouts de cette équipe ? Et ses points faibles ?

ROMAIN LAMBERT : On l’a évoqué mais clairement l’atout principal de cette équipe est son collectif et l’union qui existe entre les joueurs. C’est un groupe qui se connait depuis maintenant deux ans, les joueurs ont été choisis par Gareca et son staff et développés dans cette optique. Le point faible reste le manque d’expérience dans une Coupe du Monde et la pression que cela représente. Un psychologue est d’ailleurs présent dans le staff pour aider les joueurs.

NICOLAS COUGOT : On peut évidemment pointer quelques moins bien, certaines prises de risques dans la relance, parfois des latéraux qui se font piéger dans leur dos mais comme le dit Romain, le principal point faible de la sélection est son inexpérience surtout quant à cela tu y ajoutes une attente de 36 ans. Il va y avoir une énorme pression, pas forcément du point du vue du résultat, mais de l’immensité de l’espoir que ce groupe suscite. Comment les joueurs vont-ils le gérer ? Toute la question est là.


 
Concernant les atouts, là encore, je suis ce que dit Romain, la force c’est le groupe et une machine parfaitement huilée et construite par Gareca qui n’a pas eu peur de sortir des cadres du groupe – je pense notamment lors de la Copa América Centenario –, mais qui a apporté une vraie volonté de produire son jeu quel que soit l’adversaire. Reste que ce groupe a montré qu’il ne souffre d’aucun complexe, qu’il est capable de regarder tout le monde droit dans les yeux, il est discipliné, possède une grande rigueur tactique et quelques éléments qui ont un QI foot assez élevé. C’est un vrai danger, pas pour le titre – il ne faut pas nous faire dire ce qu’on ne dit pas – mais pour viser la deuxième place du groupe (la France restant le favori).

Le Pérou reste sur une série impressionnante de 15 matchs sans défaite. L’objectif d’atteindre les huitièmes de finale est-il réaliste ?

ROMAIN LAMBERT : C’est un objectif réaliste et le groupe est persuadé de l’atteindre. Ils ont les qualités pour y parvenir et sont dans une belle série. La principale inconnue sera leur réaction lors du premier match. Parviendront-ils à supporter cette pression que l’on a lors du Coupe du Monde ? Le staff travaille beaucoup sur cet aspect.

« Quinze matchs sans défaite, ça autorise à être ambitieux »

NICOLAS COUGOT : Tout est là, dans ce premier match. Si le Pérou parvient à jouer libéré, qu’il fait un résultat face au Danemark, les huitièmes sont clairement accessibles. Quand tu sors de 15 matchs sans défaite en ayant croisé l’Argentine en Argentine, l’Uruguay, la Croatie, l’Islande, la Suède en Suède, ce n’est plus anodin et ça autorise à être ambitieux. Leur principal objectif va être de rester vivant avant le coup d’envoi du dernier match de groupe.


 
L’équipe de France doit-elle s’attendre à souffrir comme face à la Colombie, sachant en plus à quel point elle a du mal contre les sélections sud-américaines ?

ROMAIN LAMBERT : Ce ne sera pas un match facile. Si le Pérou joue libéré, on peut s’attendre à un beau match. Ce n’est pas une équipe qui ferme le jeu et ne cherchera pas le match nul. Au moindre errement défensif, la France va le payer cash.

NICOLAS COUGOT : Sur le papier, la France ne doit pas « souffrir » contre n’importe quelle équipe de son groupe. Mais c’est sur le papier. Car sur le terrain, bien évidemment ça va être autre chose. Le Pérou ne va pas garer le bus, il ne sait pas le faire et ne l’a jamais fait. Les Bleus vont devoir être justes, minimiser les erreurs car comme le dit Romain, ça va se payer cash. Les Péruviens sont différents des Colombiens, il y a moins d’impact physique par exemple, mais il reste cette intensité, cette capacité à exploser rapidement devant à la récupération.

« Ils ont une capacité à provoquer l’erreur adverse et à l’exploiter »

Ils ont aussi montré leur solidité (je rappelle qu’ils n’ont pris qu’un but lors des sept derniers matchs, deux sur les neuf derniers) et ont une capacité à provoquer l’erreur adverse et à l’exploiter qui est un vrai danger pour les Bleus. Sans oublier leur jeu de toque capable d’être parfois extrêmement usant pour l’adversaire.

Il n’y a que 5 joueurs péruviens évoluant en Europe dans la liste de Ricardo Gareca. La Coupe du monde sera-t-elle l’occasion pour certains de traverser l’Atlantique ?

ROMAIN LAMBERT : Je pense qu’il y a beaucoup d’attente de ce point-là : Une Coupe du Monde est une excellente façon de promouvoir le football local et évidement d’en exporter sa matière première. Un Péruvien coute moins cher qu’un Argentin ou un Brésilien pour les mêmes qualités.

NICOLAS COUGOT : On sait par exemple que Trauco va être vendu par Flamengo qui attend que son joueur fasse une bonne Coupe du Monde pour faire monter le prix. Lui va débarquer en Europe. Cueva n’en est pas loin non plus. Parmi les joueurs absent des 23, certains sont aussi déjà en Europe comme Sergio Peña (Granada), Cristian Benavente (Charleroi après avoir joué au Castilla à Madrid) ou encore, pour aller chercher des joueurs vus sous Gareca, Bulos et Succar. Après, pour arriver en Europe (chez nous par exemple), il faudrait que les clubs se montrent aussi moins frileux alors qu’ils le sont moins face à un passeport argentin ou brésilien.

Sa dernière participation à la Coupe du monde remonte à 1982, où le Pérou n’avait pas été brillant (éliminé par la Pologne et l’Italie). Comment expliquer une si longue absence, alors que la Bolivie, le Paraguay ou l’Equateur se sont qualifiés entre temps ?

ROMAIN LAMBERT : La formation. SI vous regardez les dernières participations du Pérou entre 1970 et 1982 vous vous apercevez que c’est la même ossature avec les mêmes joueurs. Le Pérou s’est longtemps reposé sur ses anciennes gloires des années 70-80 en délaissant la formation. Il a fallu beaucoup de temps et énormément de travaille pour revenir sur le devant de la scène.

« Gareca a stoppé les soucis de discipline qui ont souvent plombé la sélection »

NICOLAS COUGOT : Puis il y a eu quelques drames, je pense au crash de l’avion de l’Alianza Lima en 87 qui transportait une nouvelle génération dont on annonçait un grand destin. Et surtout, au-delà de la formation, il y a aussi les soucis de discipline qui ont souvent plombé la sélection. Cela fait partie des choses que Gareca a stoppées. Quand il écarte Farfán, Pizarro et d’autres de la Copa Centenario pour cause de mauvais comportement ou de performances peu satisfaisantes, il envoie un message clair : la sélection se mérite, elle ne s’assure pas uniquement sur le terrain, aucune place n’est assurée. C’est la grande réussite du coach argentin.

La vidéo diffusée il y a quelques jours adressée à l’équipe de France était particulièrement bien faite. Est-elle représentative de l’état d’esprit de la population péruvienne ?

ROMAIN LAMBERT : C’est exactement ça, faire passer un message d’espoir. Le Pérou est un pays qui a malheureusement l’habitude de souffrir entre les crises économiques, écologiques et sociales. Le football permet de respirer et de prendre un bain de bonheur. Et encore même pour y parvenir c’était compliqué. Le Pérou est le dernier qualifié en disputant un barrage à l’autre bout du monde (contre la Nouvelle Zélande) et il s’est battu pour que son meilleur joueur soit autorisé à jouer. Maintenant ils attendent avec impatience d’entendre leur hymne résonner en Russie pour le mondial.


 

La liste des 23 Péruviens

Gardiens :
1. Pedro Gallese (Veracruz, Mexique)
21. José Carvallo (UTC, Pérou)
12. Carlos Cáceda (Municipal, Pérou)

Défenseurs :
17. Luis Advíncula (Lobos, Mexique)
5. Miguel Araujo (Alianza Lima, Pérou)
3. Aldo Corzo (Universitario, Pérou)
22. Nilson Loyola (Melgar, Pérou)
15. Christian Ramos (Veracruz, Mexique)
2. Alberto Rodríguez (Junior, Colombie)
4. Anderson Santamaría (Puebla, Mexique)
6. Miguel Trauco (Flamengo, Brésil)

Milieux
23. Pedro Aquino (Lobos, Mexique)
16. Wilmer Cartagena (Veracruz, Mesique)
8. Christian Cueva (Sao Paulo, Brésil)
20. Edison Flores (Aalborg BK, Danemark)
7. Paolo Hurtado (Vitória Guimarães, Portugal)
14. Andy Polo (Portland Timbers, Etats-Unis)
13. Renato Tapia (Feyernoord, Pays-Bas)
19. Yoshimar Yotún (Orlando City, Etats-Unis)

Attaquants :
18. André Carrillo (Watford, Angleterre)
11. Raúl Ruidíaz (Morelia, Mexique)
10. Jefferson Farfán (Lokomotiv Moscou, Russie)
9. Paolo Guerrero (Flamengo, Brésil)

Portfolio

Mots-clés

Entre 1904 et 1919, 128 internationaux ont porté au moins une fois le maillot de l’équipe de France. Si leur carrière internationale est la plupart du temps anecdotique, leur vie est souvent romanesque.

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