Les premiers Bleus : André et Charles Renaux, frères de Roubaix

Publié le 5 septembre 2023 - Pierre Cazal

C’est la deuxième fratrie de l’histoire des Bleus : en 1908, André Renaux et son cadet Charles ont joué un match en sélection (mais pas le même). Fils d’un courtier dans l’industrie lainière, ils survivront au premier conflit mondial.

Cet article fait partie de la série Les premiers Bleus
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Les frères André et Charles Renaux ont été les piliers du Racing Club de Roubaix, 7 fois champion du Nord consécutivement de 1902 à 1908, 7 fois finaliste du championnat de France USFSA dont 5 fois victorieux. Pour sa part, André Renaux, l’aîné, a joué les 7 finales et en a gagné 4 (1903, 04, 06 et 08), tandis que Charles n’en a disputé que 4 et gagné deux (1906 et 08) : un palmarès enviable !

Par contre, ils n’ont guère eu les faveurs des sélectionneurs, se contentant chacun d’une seule et unique sélection, en 1908 tous deux, mais pas la même, quoiqu’avec un sort identique. André a joué contre l’Angleterre (0-12) et Charles contre le Danemark (1-17). Est-ce à dire qu’il existait un gouffre séparant le niveau national du niveau international ? Sans doute.

L’Angleterre (amateur) et le Danemark ont été les finalistes des tournois olympiques de 1908 et de 1912, les deux formations planaient au-dessus des autres. Pas étonnant de la part des Anglais, où le football se pratiquait depuis les années 1850 (40 ans plus tôt qu’en France , ça compte), un peu plus de la part des Danois, qui avaient dix ans d’avance sur les Français et entretenaient des rapports étroits avec les clubs anglais.

André Renaux regarde la balle entrer et en prend 12 contre les Anglais

En ce qui concerne la performance de Charles, contre les Danois, on ne sait strictement rien, les commentaires sont si désabusés qu’ils ne font pas de cas particuliers, tous les joueurs sont dans le même sac. Par contre, André, face aux Anglais, en a pris pour son grade, y compris de son capitaine Pierre Allemane, qui ne s’est pas estimé contraint par la camaraderie ni la solidarité. Qu’on en juge au vu de cette déclaration : « Je crois que si notre gardien de but habituel (Zacharie Baton) avait pris part au match, nous aurions pu éviter 3 ou 4 buts », ce qui revient à rendre André Renaux responsable de ces buts !

  • La Vie au Grand Air du 4 avril 1908 (BNF Gallica)

La presse n’est pas plus tendre, mais au moins c’est son métier. Robert Desmarets, dans L’Auto, dit clairement que Renaux « regarde la balle entrer », « n’essaie même pas d’arrêter la balle », surtout en seconde mi-temps où 5 buts sont marqués coup sur coup en l’espace de 20 minutes. Même la presse anglaise (Sporting Life, Daily Mail) s’y met, signalant que Renaux était fébrile. Bref, il est passé à côté de son match et c’est bien dommage pour lui, car il n’était pas titulaire, il était même le troisième choix derrière Baton et Tilliette, indisponibles (pas de permission pour l’un, blessure pour l’autre) et avait une occasion de s’imposer à ses rivaux. Raté !

Pourtant André Renaux, né le 29 août 1882 à Roubaix, était de grande taille (1,82m pour L’Auto en 1908, soit 20 centimètres de plus que la taille du conscrit moyen, 1,63m en 1900), ce qui l’avantageait sur les balles hautes, et quand on lit les compte-rendus des finales du championnat de France , on ne voit que des compliments à son égard ! Il est « doué de beaucoup d’adresse », se fait « fréquemment applaudir », « ne laisse rien passer », « fait merveille », et j’en passe !

Attention, Renaux n’est pas un gardien qui plonge, ça ne se fait d’ailleurs guère : le modèle anglais fourni par Robinson (on appelle « robinsonade » un plongeon) n’a pas encore suscité beaucoup d’émules en France. Par contre, il boxe les ballons, en l’air, ou à mi-hauteur ; par exemple, en finale du championnat 1905, il ne s’incline que sur un but de Jouve, à la 118 ème minute, inscrit de la tête alors que Renaux a repoussé du poing la balle déjà trois fois. Mais il est très vulnérable à terre, pour peu qu’il ne soit pas sur la trajectoire du ballon, ce qui explique qu’il ne tente aucune parade quand le ballon entre dans les coins du but… que les Anglais, qui ont identifié son point faible, visent, en 1908.

Charles, arrière travailleur

Son frère Charles est né le 3 décembre 1884. Il est plus petit, quoique de bonne taille (1,73 m). Tous deux sont les enfants d’un courtier en laines (la grande industrie du Nord) et travailleront dans cette branche, André en tant que représentant, Charles comme dessinateur sur tissus ; André joue dans les cages depuis 1900, son frère comme demi-centre depuis 1901, mais il s’impose plus difficilement, on note des « progrès considérables » en 1906 seulement.

  • L’Auto du 4 mai 1908 (BNF Gallica)

Pourtant il devient alors le capitaine de l’équipe roubaisienne, la plaque tournante du jeu qu’il oriente. En 1912, on note qu’il « fournit une somme considérable de travail », d’autant qu’il privilégie alors la défense et recule au poste d’arrière, où il se distingue par sa technique plus affinée. Il faut dire que le Racing club de Roubaix pratique le « jeu anglais », le « passing game », basé sur des échanges de passes courtes et des démarquages, ce qu’on appelle alors un jeu « scientifique », par opposition au « kick and rush » privilégié par les clubs parisiens, encore adeptes du « dribbling game » originel.

Ceci dit, le fossé évoqué plus haut est confirmé par les performances du RC Roubaix (avec les frères Renaux) dans le Challenge International du Nord, la première compétition internationale de clubs : Roubaix n’est finaliste que deux fois, en 1903 et 1909, et défait nettement : 0-4 par le Racing de Bruxelles en 1903, et 1-5 par le modeste club amateur anglais d’Eastbourne Town en 1909 (1-5). Les frères Renaux sont donc de bons joueurs de club… au niveau français de l’époque, mais n’ont pas le niveau international.

Quatre ans et quatre mois de stalag

André Renaux est mort le 27 mai 1924, à même pas 42 ans, d’une crise cardiaque. Pas étonnant, puisqu’il avait été réformé au conseil de révision en 1903 pour hypertrophie cardiaque ; ce qui est plutôt surprenant, c’est que le joueur ait continué quand même à pratiquer le football en compétition jusqu’en 1914 ! Certes le rythme n’avait rien à voir avec celui d’aujourd’hui, le poste de gardien ne requérait pas autant d’engagement physique, mais André Renaux a pris un gros risque.

D’ailleurs l’Armée a dû s’en émouvoir, car en 1914, le joueur a été mobilisé et envoyé au front en dépit de sa réforme et de son absence de service militaire ! Il a été fait très vite prisonnier (dès le 24 août 1914) et a passé 4 années au stalag d’Altengrabow, jusqu’en décembre 1918…

Son frère Charles, pour sa part, est sorti indemne de la Guerre et est décédé le 17 octobre 1971, à Roubaix, ville que les deux frères n’ont jamais quittée.

Le seul match d’André Renaux avec l’équipe de France A

Sel.GenreDateLieuAdversaireScoreTps JeuNotes
1 Amical 23/03/1908 Londres Angleterre 0-12 90

Le seul match de Charles Renaux avec l’équipe de France A

Sel.GenreDateLieuAdversaireScoreTps JeuNotes
1 JO 22/10/1908 Londres Danemark 1-17 90 plus large défaite

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