François da Rocha Carneiro : « le talent exceptionnel de Kylian Mbappé rend son capitanat presque évident »

Publié le 22 mars 2023 - Bruno Colombari

Quelle place prend Mbappé dans la succession des capitaines de l’équipe de France ? Pourquoi lui ? L’historien François da Rocha Carneiro, auteur d’un article très documenté sur le sujet, commente le choix de Didier Deschamps.

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Kylian Mbappé présente la double particularité, inédite en équipe de France, d’accéder au capitanat relativement jeune (24 ans), mais avec déjà 6 ans de présence et 66 sélections. A quels précédents cette situation pourrait toutefois ressembler ?

On peut évidemment penser à Zinédine Zidane, qui ne prend le brassard pour la première fois qu’en 2001 lors de sa 68e sélection (et seulement pour la 2e mi-temps en remplacement de Marcel Desailly), mais il a alors déjà plus de 29 ans, ou à Thierry Henry qui devient capitaine lors de son 67e match en bleu, après l’expulsion de Patrick Vieira, mais il a alors déjà 27 ans.

La carrière de Kylian Mbappé est telle qu’elle est très difficilement comparable, car elle allie précocité, fulgurance et solidité. Évidemment, la fréquence accrue des rencontres internationales depuis quelques décennies facilite la construction rapide d’un palmarès, mais il faut bien avoir en tête qu’il compte aujourd’hui plus de sélections que Roger Marche, qu’on qualifiait de sénateur à la fin de sa carrière, à l’âge où beaucoup d’internationaux enregistrent leur première cape.

« Paul Nicolas devient capitaine à 25 ans et demi après la retraite de Raymond Dubly »

La comparaison est audacieuse, mais j’aurais finalement tendance à aller voir un siècle en arrière et trouver une analogie avec Paul Nicolas, qui devient le capitaine à 25 ans et demi, peu après la retraite du titulaire d’alors, Raymond Dubly. L’attaquant-vedette du Red Star, présent depuis cinq ans en équipe de France, ne compte alors que 17 sélections, mais c’est une époque où ne joue qu’entre trois et sept matchs internationaux par an.

L’expérience montre qu’il n’y a pas de corrélation entre le joueur le plus doué de l’équipe et le capitaine, même si Michel Platini et Zinédine Zidane l’ont été. Au contraire, de nombreux capitaines avaient d’autres qualités que techniques… Lesquelles ?

Elles sont nombreuses, mais ne sont pas toujours utiles, cela dépend fortement du contexte du moment et des représentations qu’on se fait du capitanat comme de l’équipe de France. On attend tantôt que le capitaine soit un leader de groupe, tantôt qu’il offre une image apaisée ou volontaire du football français. Mais même lorsqu’on veut qu’il soit un leader, on peut se retrouver face à des figures entendant incarner des positions très différentes les unes des autres, entre le joyeux drille de la petite bande de conscrits, le grand frère des caïds de banlieue ou l’élève sage qui fait office de délégué de classe.

Comment expliquer que Raymond Kopa (6 fois), tout comme Alain Giresse (1) et Antoine Griezmann (1), soient passés à côté du capitanat en bleu ?

La première des explications tient à la concurrence de capitaines titulaires. Raymond Kopa ne devient le capitaine qu’à partir du moment où Robert Jonquet et Roger Marche sont à la retraite. Malgré sa brillante Coupe du monde 1982, Alain Giresse, dont la carrière internationale n’a rien d’un long fleuve tranquille, n’a pas la légitimité de Michel Platini, dépositaire du jeu depuis le premier match de Michel Hidalgo comme sélectionneur, lorsqu’il faut trouver un successeur à Marius Trésor. Quant à Antoine Griezmann, l’extraordinaire longévité d’Hugo Lloris et la présence de deux vice-capitaines incontestables, Laurent Koscielny puis Raphaël Varane, lui ont fermé la porte du capitanat. On aurait pu penser que c’était le moment pour lui, et il doit certainement être frustré que Didier Deschamps ne lui accorde pas cette fonction, lui qui n’a de cesse de le sélectionner.

« L’attaquant arrive en aval de la chaîne de production »

Le dernier capitaine attaquant, hormis quelques exceptions très ponctuelles, a été Thierry Henry lors des ultimes saisons qu’il a jouées en Bleu. Le statut d’attaquant, beaucoup plus concerné par les remplacements en cours de match ou les risques de blessure, est-il un handicap pour le capitanat ?

La possibilité du remplacement peut jouer mais il me semble qu’il faut surtout aller voir du côté du placement du joueur. L’attaquant, surtout de pointe, arrive en aval de la chaîne de production et n’a qu’une vision pour ainsi dire finale sur la construction du jeu. Il faut avoir une légitimité particulière, qui tient de l’âge, de l’expérience ou de l’ancienneté, bien plus que du caractère, pour que l’attaquant apparaisse comme un possible capitaine.

Au contraire, le gardien de but ou le défenseur, voire le milieu défensif, possède une vision plus large du jeu tel qu’il se construit pendant le match. Cela dit, de nombreux attaquants sont apparus comme les capitaines en titre et pas seulement pour leur donner un bâton de maréchal, qu’il s’agisse de Jean Baratte après la Seconde Guerre mondiale, de Jean-Pierre Papin pendant les années Houllier ou d’Eric Cantona au début des années Jacquet.

Après douze ans avec Hugo Lloris, personnalité lisse et consensuelle, Didier Deschamps prend-il un risque en confiant le brassard à Kylian Mbappé, qui n’hésite pas à aller à la confrontation ou au rapport de force ?

Didier Deschamps sait ce qu’il fait. Je ne suis pas certain qu’il s’agisse d’un très grand risque, car les interventions de Kylian Mbappé, aussi surprenantes qu’elles paraissent parfois, ne sont jamais faites sur un coup de tête. Il réussit à allier mesure et justesse, ce qui n’est pas toujours évident à son âge. Par ailleurs, on sait très peu de choses finalement de ce qui se passe réellement dans le vestiaire et plus encore dans le bureau du sélectionneur. Si Didier Deschamps prend une telle décision, c’est sans nul doute qu’il a estimé y trouver plus d’avantages que d’inconvénients. Par ailleurs, le talent exceptionnel de Kylian Mbappé rend son capitanat presque évident, non pas seulement aux yeux des Français, mais aussi aux yeux du monde.

« Pour les joueurs actuels, Deschamps est plutôt le sélectionneur indéboulonnable que le capitaine influent »

Dans certains cas, la personnalité du sélectionneur ne laisse-t-elle pas de place à celle d’un capitaine qui soit un vrai leader ? Surtout quand le sélectionneur a été lui-même un capitaine très influent, comme Michel Platini et aujourd’hui Didier Deschamps ? Dit autrement, où passe la ligne de partage du pouvoir entre un sélectionneur et son capitaine ?

Là encore, c’est très difficile à mesurer. Je ne suis pas certain que l’expérience de capitaine très influent soit durable dans l’exercice du « métier » de sélectionneur, au contraire. Michel Platini s’est assez vite ennuyé dans cette mission au point de l’abandonner en 1992, au bout de quatre ans seulement, et a préféré exercer autrement son sens du pouvoir en devenant le dirigeant que l’on sait. Pour Didier Deschamps, n’oublions pas que la plupart des joueurs qui évoluent aujourd’hui dans son équipe ne l’ont jamais vu jouer en direct (c’est toujours possible de revoir des images d’archives) et n’en gardent donc pas le souvenir de « capitaine très influent » mais bien plus de « sélectionneur indéboulonnable » qui se rapproche doucement de la figure de Gaston Barreau.

L’an dernier, la prolongation de Kylian Mbappé au PSG avait semblé se faire sur la base de prérogatives beaucoup plus larges offertes au joueur par le club. Neuf mois plus tard, il porte désormais le brassard, mais son influence sur les recrutements ou les choix stratégiques ne semble pas flagrante. Peut-il être tenté, en sélection, de peser sur les choix du sélectionneur, ou, connaissant Deschamps, c’est totalement exclu ?

Tout est dans les mots. « Peser », qu’est-ce que cela veut dire ? Comment se font les choix du sélectionneur ? Ils ne reposent pas que sur de simples envies personnelles ou des images qui font le buzz sur les réseaux sociaux. Didier Deschamps a toujours souligné la complexité de la chose, en ce sens qu’il doit tenir compte d’informations multiples et parfois contradictoires.

« Nous étions ce que vous êtes, vous serez ce que nous sommes »

J’aurais tendance à m’abriter derrière un récit médiéval, le Dit des trois morts et des trois vifs. Trois beaux jeunes gens rencontrent trois morts qui leur lancent : « Nous étions ce que vous êtes, vous serez ce que nous sommes »… C’est sans doute ce qui se passe là, dans la sélection. Didier Deschamps peut dire à Kylian Mbappé ce que lui-même a été, un capitaine consulté par un sélectionneur qui garde la pleine et entière responsabilité de ses choix, comme l’avait été Michel Platini avec Michel Hidalgo avant lui, et l’inviter à devenir à son tour cette courroie de transmission entre le groupe et le sélectionneur, autant qu’entre le sélectionneur et le groupe.

En somme, Kylian Mbappé donnera probablement son point de vue, à l’invitation de Didier Deschamps, sur la forme de tel joueur, la possibilité de telle combinaison, les difficultés relationnelles entre tels individus, mais cela ne constituera qu’une partie des informations dont Didier Deschamps se saisira pour prendre sa décision.

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