On l’appelait Wisnieski

Publié le 8 mars 2022 - Pierre Cazal

Avec son nom écorché par la presse de l’époque, Maryan Wisniewski est surtout connu pour avoir fait partie de l’équipe de France brillante de 1958. Mais il a aussi joué à la Sampdoria de Gênes, et a même été champion du monde militaire

7 minutes de lecture

Il s’appelait Wisniewski, patronyme polonais très répandu (qui tire son origine du mot cerisier, en polonais), mais la presse écorchait son nom. C’est Wisnieski qu’on a connu sous le maillot bleu, 33 fois entre 1955 et 1963, mais c’est Maryan Wisniewski qui vient de décéder à Carpentras le 3 mars, âgé de 85 ans.

Il était l’un des derniers des Anciens de Suède, dont le gloire a longtemps persisté, tant qu’ils n’avaient pas de successeurs à leur niveau, c’est-à-dire demi-finalistes et même troisièmes de la Coupe du monde. Dès que la bande à Platini les a égalés et même dépassés à partir de 1982, les Anciens de Suède sont tombés dans l’oubli, dont ils ne sortent en général, et brièvement qu’à leur décès, le temps d’une nécrologie. Le football vit et vibre au rythme frénétique de l’actualité, mais c’est une des fiertés de Chroniques bleues que de ne pas oublier, et d’entretenir la mémoire des Anciens, qu’ils soient de Suède ou pas.


 

Wisnieski (puisqu’on va choisir de l’appeler ainsi) était un pur produit de la filière polonaise, celle des Kopa, Cisowski et autres, tous sortis de la mine (même si le jeune Maryan n’y est pas descendu), fils d’ouvriers venus de Pologne dans l’entre-deux guerres chercher du travail en France. Le RC Lens fit débuter ce surdoué à 16 ans, et la sélection B l’accueillit à 17 ans et demi, en octobre 1954 (contre la Sarre, alors encore indépendante). Pour l’anecdote, Wisnieski, l’ailier droit, était aligné à gauche pour laisser la place à droite à... Michel Hidalgo ! Puis ce fut la sélection A, en avril 1955, contre la Suède, à 18 ans à peine, à l’aile droite cette fois-ci. Mais le jeune Maryan déçut : l’arrière vétéran Orvar Bergmark l’avait rudoyé et maté. Jugé trop timoré, Wisnieski fut donc écarté provisoirement, le temps de mûrir.

Une carrière internationale en pointillés

Il faut dire qu’on lui reprochait alors de façon récurrente sa nonchalance, son dilettantisme sur le terrain ; voici la façon dont le Miroir des Sport, en 1959, rapporte ces critiques : « Il participait aux rencontres sans chercher à briller, sans prendre d’initiatives. Il demeurait à son aile droite, et s’il ne recevait pas le ballon, il ne s’en formalisait pas ; cela ne l’incitait pas à redoubler d’efforts. » Jules Bigot, entraîneur, n’était pas tendre, le qualifiant de « gamin nonchalant et passif ».

Ceci explique donc que, en dépit d’un talent évident, Wisnieski connut une carrière internationale en pointillé, alternant quelques matches en sélection A, en 1956 et 1957, avec quelques retours en sélection B : B contre les Tchèques en octobre 1956, A contre les Belges en novembre 1956 puis les Portugais en mars 1957, les Islandais et les Hongrois, en septembre et octobre, mais retour en B contre les belges en octobre 1957, avant de retourner en A, où il a désormais un concurrent, le toulousain Saïd Brahimi. Mais ce dernier décidant en 1958 de fuir la France pour rejoindre l’équipe du FLN , les indépendantistes algériens, la voie est donc libre pour Wisnieski, qui se retrouve titularisé pour la Coupe du monde en Suède, non par défaut, mais sans être indiscutable.

Il s’y montre métamorphosé, n’hésite pas à faire les efforts pour se replier en défense et remonter ensuite tout le terrain, sprinter sur son aile, centrer et même tirer au but. Il marque deux fois (contre la Paraguay et l’Irlande du Nord), et donne deux passes décisives (à Fontaine, contre l’Allemagne) ; il joue son meilleur match en quart de finale contre l’Irlande du Nord, qui pratique pourtant le béton ! Mais ce jour-là (19 juin 1958, à l’Idrottsparken de Norköpping), Wisnieski est irrésistible.


 

Reconverti en avant-centre en 1960

Malheureusement, il ne peut pas maintenir ce niveau, et après trois matches pauvres en 1959 (trois nuls contre l’Italie, la Grèce et la Belgique), il est à nouveau écarté par le nouveau sélectionneur Alex Thépot (l’ancien gardien de la Coupe du monde 1930) qui succède à Paul Nicolas, mort dans un accident de voiture. Il ne réapparaît qu’en mars 1960, mais en sélection B seulement, rétrogradé, en quelque sorte, en dépit de son statut, contre l’Irlande (encore), battue 5-0. A l’aile droite, bien sûr. Si je donne cette précision, c’est parce que Wisnieski va être rappelé en sélection A pour le phase finale de la première Coupe d’Europe des Nations, en juillet, mais au poste... d’avant-centre !

En effet, Thépot se retrouve privé de la triplette Kopa-Fontaine-Piantoni, qui s’était illustrée en 1958, et fort dépourvu. Il dispose de trop d’ailiers... et pas d’avant-centre. Alors il tente l’expérience Wisnieski au centre, car il sait le Lensois capable de marquer, et fin technicien, capable de passer. Il n’a pas tout à fait tort car l’attaque des Bleus, lors de la demi-finale l’opposant à la Yougoslavie, cartonne : elle mène 4-2 au bout d’une heure de jeu et Wisnieski a marqué son but. Mais on connaît la suite : la défense, novice, craque brutalement et le match est perdu 4-5 ! Wisnieski n’en est en rien responsable ; mais, contre les Tchèques , pour le match dit de classement, il retombe dans son travers de nonchalance, et comme il n’est pas le seul, c’est une défaite plus humiliante sur la forme que sur le fond (0-2).

Wisnieski, qui n’a pas sa langue dans sa poche, n’hésite pas à dire : « Jamais je n’ai vu un match international aussi mauvais. Quelle catastrophe ! ». Et de taper sur la préparation, à Chantilly : « quinze jours à se faire chier , à glandouiller , à jouer aux cartes ». Mais est-il objectif ? Dans les journaux d’époque, Batteux ne tenait pas le même discours. Selon lui, les joueurs étaient gonflés à bloc, prêts à montrer que, quoique jeunes et inexpérimentés en majorité, ils étaient capables d’égaler les « héros » de Suède ! La vérité doit se situer entre les deux versions...

Il arrive qu’une défaite démoralise une sélection, et pour longtemps ; ce fut le cas, malgré le retour de Kopa. L’équipe de France sombra dans la médiocrité en 1961, et, au fiasco du championnat d’Europe, ajouta celui de l’élimination de la Coupe du monde 1962, par les Bulgares, déjà, comme en 1993 ! Il y fallut un match de barrage, joué en décembre 1961 au stade San Siro (celui de l’Inter), à Milan, et par un but contre son camp du malheureux André Lerond. Wisnieski eut une occasion en or d’égaliser, mais il rata sa reprise de volée aux six mètres, et en reçut une volée...de bois vert de la part de la presse, de façon assez injuste, quand on revoit les images. Mais le fait est que le poids de la défaite reposa sur lui et sur Lerond, bien entendu. Raison pour laquelle le sélectionneur (Verriest, Thépot ayant jeté l’éponge après l’Euro) écarta de nouveau Wisnieski.

Un doublé contre l’Angleterre et un but face au Brésil pour terminer

Il revint cependant ! En 1963. Pour son retour, il fit fort, étant sans doute ultra-motivé. Il s’agissait d’affronter l’Angleterre du nouveau sélectionneur Alf Ramsey, qui préparait la Coupe du monde 1966, que l’Angleterre accueillait. Dans l’équipe qu’il opposa à la France figuraient les futurs champions du monde Bobby Moore, Bobby Charlton, Jimmy Greaves... Les Bleus gagnèrent 5-2, les fautes du gardien anglais Springett n’y furent pas pour rien, mais Wisnieski, pour sa part, marqua deux buts et en donna un autre à Douis. Depuis le match contre l’Irlande en 1958 (décidément, les Britanniques lui réussissaient), Wisnieski n’avait pas joué un match aussi plein.

Il joua pour la 33ème fois (et marqua son 12ème but) deux mois plus tard, en avril 1963, contre le Brésil. Il y retrouvait les Gilmar, Djalma Santos, Zito, et surtout Pelé, qu’il avait affrontés cinq ans plus tôt en Suède. Et Pelé sala la note de la même façon (3 buts !), pour une défaite moins humiliante, cependant (2-3, contre 2-5 en 1958, mais les Bleus jouaient à 11, cette fois-ci...)


 

C’est sur ce point d’orgue que s’arrêta la carrière internationale de Wisnieski, à 26 ans à peine. Sa performance contre les Anglais n’avait pas échappé à l’ex-star autrichienne Ernst Ocwirk, qui entraînait alors la Sampdoria de Gênes, et convainquit Lens de le lui céder. Il faut savoir qu’à l’époque, le contrat à temps n’existait pas, les joueurs étaient les « esclaves » de leur club , comme l’a dénoncé Kopa, jusqu’à 35 ans, et les vendaient comme bon leur semblait. La législation obligeant les clubs à libérer leurs joueurs étrangers sélectionnés n’existait pas encore : cela signifiait concrètement l’impossibilité de jouer en sélection dès qu’on s’engageait pour un club étranger.

L’expérience italienne ayant vite tourné court (il n’était pas fait pour le catenaccio, Wisnieski ne parvint plus à s’imposer dans les clubs français où il rejoua (Saint-Etienne, Sochaux), et il ne fut plus question de lui pour l’équipe de France, car les différents sélectionneurs (Guérin, Fontaine, Dugauguez) cherchaient à faire du neuf, sans réussite d’ailleurs. Wisnieski, redevenu Wisniewski dans les petits clubs du Vaucluse où il officia, jusqu’à être superviseur pour l’US du Pontet en 2017 encore, tomba dans l’oubli, davantage encore qu’un Kopa ou un Fontaine, dont la réputation a tenu bon face à l’épreuve des années.

Champion du monde avec les militaires

Terminons cependant sur une note positive : Wisnieski n’a rien remporté sous le maillot bleu, sauf... un titre de champion du monde militaire, en 1957. Cette compétition n’attire guère les projecteurs, pourtant l’édition de 1957 le méritait. Pour la première fois, elle se disputait en Amérique du Sud, en Argentine précisément, et opposait 4 sélections : deux européennes (France et Italie), deux sud-américaines (Argentine et Brésil) : une belle affiche, à une époque où le service militaire était obligatoire pour tous, et où les sportifs français se retrouvaient affectés dans le bataillon de Joinville, et disputaient des compétitions [1].

Pour Chroniques Bleues, je réserve un scoop : la fiche de la finale opposant la France à l’Argentine. La composition de l’équipe d’Argentine n’a, à ma connaissance, jamais été donnée. Voici cette fiche : le match eut lieu le 14 juillet 1957 (pour la fête nationale !) au Monumental de Buenos-Aires, et la France gagna 5-0. Qu’on se rende compte , une équipe française gagnant par cinq buts d’écart en Argentine (et après avoir éliminé le Brésil 4-1, par surcroît !), c’est unique ! Les buts furent inscrits par Douis (28 ème) Mekhloufi (47 et 53 èmes) Théo (86 ème) et Douis encore (89ème).

France : Alberto, Wendling, Siatka, Nowak, Ferrier, Cossou, Wisnieski, Mekhloufi, Douis, Théo, Fulgenzi.

Argentine : Capasso, Sacchi, Urriste, Cainzo, Diez, Marinovich, Nardiello (Pereyra), Zurita, Menendez, Bayo, Urquiza.

Dans l’équipe française, 9 joueurs furent internationaux A et les eux autres internationaux B (Alberto et Nowak). On remarquera que Lucien Cossou, qui était un ailier, dut être aligné comme demi, pour suppléer un blessé.

Dans l’équipe argentine, Federico Sacchi (15 sélections), Angel Nardiello (11 sélections, 5 buts) et Norberto Menendez (14 sélections, 4 buts) furent internationaux A. Maryan Wisniewski a donc été champion du monde...

[1La plus connue en Europe était le challenge Kentish, créé en 1919, opposant Anglais, Belges et Français.

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