1975, une année dans le siècle

Publié le 27 septembre 2015 - Bruno Colombari

Saigon, Pol Pot, Romy Schneider, Pasolini, les Dents de la mer mais aussi les adieux de Kovacs, les débuts de Rocheteau et le carton rouge de Larqué, c’était 1975, dernier épisode du grand coup de mou de l’équipe de France qui aura duré quinze ans.

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Le contexte international

Les Khmers Rouges de Pol Pot entrent le 17 avril dans Phnom Penh, au Cambodge, et établissent un régime criminel qui fera deux millions de morts en quatre ans. A Saigon, les Américains évacuent le sud-Vietnam, mettant un terme à vingt ans de guerre, pendant qu’à Beyrouth commence celle du Liban, qui durera quinze ans. Le 20 novembre, Francisco Franco meurt. Il était à la tête de l’Espagne depuis 1939. Le cinéaste Pier Paolo Pasolini est assassiné le 2 novembre sur la plage d’Ostie.
En France, l’ORTF est dissous et remplacé par trois chaînes de télévisions (TF1, Antenne 2, FR3, l’INA, Radio France, la SFP et TDF. La loi Veil sur l’interruption volontaire de grossesse est adoptée en janvier par l’Assemblée nationale.
Au cinéma, les Dents de la mer de Steven Spielberg remplissent les salles et vident les plages, tandis que Romy Schneider et Jacques Dutronc sont à l’affiche de L’important c’est d’aimer de Andrezj Zulawski et s’aiment vraiment pendant le tournage.

Le contexte sportif

Le football européen est largement dominé par les Allemands en 1975. Alors que l’équipe nationale de la RFA est championne d’Europe et championne du monde en titre, le Bayern Munich remporte sa deuxième Coupe des champions à Paris contre Leeds. le gardien Sepp Maier, le libéraux Franz Beckenbauer et l’avant-centre Gerd Müller ne craignent rien ni personne, hormis peut-être l’attaquant du Dynamo Kiev et de l’URSS, Oleg Blokhine, Ballon d’or à la fin de l’année. Côté français, les bons résultats de Saint-Etienne en Europe et l’émergence d’une jeune génération de joueurs prometteuse redonnent espoir aux supporters de ceux qu’on n’appelle pas encore les Bleus.

Le sélectionneur

Stefan Kovacs était sous contrat avec la FFF jusqu’en juillet 1976, mais les mauvais résultats en qualification du championnat d’Europe ont fragilisé sa position. Du coup, la Fédération roumaine le rappelle pour qu’il s’occupe de l’équipe qui représentera la Roumanie aux JO de Montréal en 1976. Il quittera le banc de l’équipe de France à la fin de l’année. Pour le remplacer, plusieurs noms circulent, dont ceux d’Albert Batteux (entraîneur des demi-finalistes en Suède en 1958) et Robert Herbin, le coach de Saint-Etienne. Une autre hypothèse est de promouvoir Michel Hidalgo, actuel adjoint de Stefan Kovacs. On connaît la suite.

Comparer le bilan de Stefan Kovacs avec celui des autres sélectionneurs

Le récit de l’année

Ça fait bientôt quinze ans que ça dure et on dirait que ça n’en finira jamais. Le trou noir des années 60, entamé lors de la première coupe d’Europe des Nations, est en train de dévorer les années 70. Eliminés de la coupe du monde 1974, les Bleus de Stefan Kovacs sont bien partis pour ne pas voir le championnat d’Europe 1976, manquant ainsi leur cinquième phase finale consécutive. Après une défaite en Belgique et un nul au Parc contre la RDA à l’automne, l’affaire semble en effet bien mal engagée. Il n’y a plus de joker, et pour préparer au mieux les quatre matches couperet de 1975, la FFF organise deux marches amicaux à domicile, histoire de se rassurer.

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Le premier, face à la Hongrie le 26 mars, est remporté 2-0 sur des buts en deuxième période de Henri Michel et Patrick Parizon dans un intervalle de sept minutes autour de l’heure de jeu. Jean-Marc Guillou a montré toute sa classe en meneur de jeu, mais l’attaque Triantafilos-Hervé Revelli-Bereta ne montre rien de convainquant.

Un mois plus tard, à Colombes (la pelouse du Parc, qui accueillera un peu plus tard la finale de la C1 entre le Bayern et Leeds, est préservée pour l’occasion) dans un vieux stade crépusculaire, l’équipe de France sans les Stéphanois sombre corps et bien contre un Portugal orphelin de Eusebio (0-2). Rien en fonctionne, le gardien marseillais René Charrier encaisse un but casquette après une mésentente avec Marius Trésor, et en deuxième période, Dominique Baratelli ne peut rien faire face à Marinho après une erreur de Jodar. A deux minutes de la fin, ce dernier sort pour être remplacé par Bernard Boissier, qui commence et finit ce jour-là sa carrière internationale.

C’est donc en grande confiance que les Tricolores se déplacent à Reykjavik le 25 mai, avec interdiction de ramener autre chose qu’une victoire. Mais ce jour-là, en Islande, il fait froid, le vent souffle et le terrain est pelé. Les Français dominent logiquement une équipe composée de joueurs amateurs mais ne trouvent pas la faille et rentrent avec un 0-0 qui dit tout de leur niveau réel.

Retrouvez le bilan de l’année 1965 dans le tableau des années.

Le 3 septembre à Nantes, Stefan Kovacs tire les conclusions du faible niveau de son attaque et lance deux jeunes prometteurs, le Stéphanois Dominique Rocheteau (20 ans) et le Marseillais Albert Emon (22 ans). Le résultat est immédiat, avec deux passes décisives des petits derniers pour Guillou (qui signe un doublé) et Berdoll. Les choses étant ce qu’elles sont, les Bleus peuvent encore se qualifier pour le championnat d’Europe 1976, à condition de faire au moins un nul en RDA et de battre la Belgique.

Le 12 octobre à Leipzig, l’équipe de France mène au score en début de deuxième mi-temps grâce à Bathenay et croit tenir le bon bout, même si Streich égalise cinq minutes plus tard. Mais un penalty convertit par Vogel à la 77e douche les derniers espoirs tricolores (1-2). Rocheteau et Emon, encore alignés en pointe, ne peuvent pas tout faire.

La mission de Stefan Kovacs s’achèvera donc le 15 novembre contre la Belgique au Parc. Les Français pourraient essayer de l’emporter pour saluer leur sélectionneur (dont on mesurera après coup ce qu’il a apporté au football français), mais ils n’y arrivent pas face à des Belges à qui un 0-0 est suffisant pour se qualifier. 0-0 donc, avec pour noircir un peu plus le tableau une expulsion de Larqué vingt minutes après son entrée sur le terrain pour un coup de poing sur Dockx. Pour l’anecdote, il y avait sur la pelouse deux futurs sélectionneurs français : Henri Michel et Raymond Domenech.

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La révélation de l’année

Dominique Rocheteau. A vingt ans, l’ailier droit de Saint-Etienne fait ses débuts en sélection à Nantes contre l’Islande, mais en réalité il étrenne le maillot bleu quinze jours plus tôt au Parc contre le Real Madrid, dans un match non-officiel au profit de l’UNFP. Et c’est peu dire qu’il brille : associé en attaque à Albert Emon, débutant comme lui, le futur Ange vert met tout le monde d’accord d’une frappe sous la barre et d’une tête en fin de match (3-1). Alors que Michel Platini fait son service militaire au bataillon de Joinville, l’attaquant stéphanois apparaît comme le grand joueur que la France attend depuis Kopa. A son égard, on parle déjà de Magnusson et de Garrincha. Il sera titulaire lors des trois derniers matches de l’année, prélude d’une riche carrière internationale qui durera près de onze ans.

Les joueurs de l’année

Ils sont 30 à avoir été appelés au moins une fois en sélection en 1975. En seulement six matches, c’est beaucoup. Quatre d’entre eux les ont tous joué : les défenseurs François Bracci et Marius Trésor, et les milieux Henri Michel et Jean-Marc Guillou. Le gardien Dominique Baratelli vient ensuite (5), devant un trio Jean-Pierre Adams, Jean Gallice et Jean-Noël Huck. Les Stéphanois se taillent la part du lion dans le reste de la troupe, avec Dominique Rocheteau (3), Christian Lopez et Jean-Michel Larqué (2), Gérard Janvion, Dominique Bathenay, Yves Triantafilos, Hervé Revelli et Alain Merchadier (1). Soit huit internationaux sur trente !

Neuf joueurs débutent en 1975. Cinq d’entre eux continueront leur carrière au-delà : Rocheteau, Emon, Lopez, Janvion et Bathenay. Quatre autres ne feront que passer : Charrier, Orlanducci, Victor Zvunka, Yves Triantafilos et Bernard Bosquier. Ils rejoindront dans la liste des anciens Bleus huit autres pour qui 1975 est le terminus de leur carrière internationale : Jean-Noël Huck, Georges Bereta, Christian Coste, Jean-François Jodar, Hervé Revelli, Marc Molitor, Yves Mariot et Alain Merchadier, témoins de l’intense brassage prôné (sans grand succès jusque là) par Stefan Kovacs.

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Les buteurs de l’année

Avec le total misérable de six buts en six matches, il ne fallait pas s’attendre à des miracles : seul Jean-Marc Guillou a marqué deux fois, devant Henri Michel, Patrick Parizon, Marc Berdoll et Jean-Michel Larqué.

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Carnet bleu

Naissances de Franck Jurietti le 30 mars, Frédéric Née le 18 avril et Laurent Robert le 21 mai. Ce dernier est le seul de la liste à avoir compté plusieurs sélections (9), alors que Franck Jurietti est entré dans l’histoire des Bleus pour avoir joué cinq secondes contre Chypre en octobre 2005 (photo ci-contre). On notera d’ailleurs que Jurietti est né quelques jours avant le précédent record établi par Bernard Boissier (deux minutes) contre le Portugal le 26 avril 1975.

Retrouvez le bilan de la génération 1975 dans le tableau des générations.
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