1984, une année dans le siècle

Publié le 4 novembre 2014 - Bruno Colombari

C’est l’année parfaite, celle de toutes victoires et de tous les records. Collectifs avec le titre européen et un fond de jeu inégalé, individuels avec les treize buts d’un Michel Platini en état de grâce.

7 minutes de lecture

Le contexte historique

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En 1984 en France, le président socialiste François Mitterrand cède à la pression de la rue pour l’école privée et appelle à Matignon un jeune Premier ministre de 39 ans, Laurent Fabius. Aux Etats-Unis, Ronald Reagan est réélu triomphalement en novembre face au démocrate Walter Mondale. La vague ultralibérale qui balaie les années 80 est partie du Royaume-Uni où Margaret Thatcher détruit le secteur public et remporte un conflit très dur contre les mineurs qui durera un an, jusqu’en mars 1985.

En URSS, Youri Andropov meurt en début d’année et est remplacé par Konstantin Tchernenko, un ultra-orthodoxe septuagénaire et déclinant qui mourra à son tour en mars 1985. Les Jeux Olympiques de Los Angeles sont marqués par le boycott des pays du bloc de l’Est et par l’émergence du jeune sprinter américain Carl Lewis, alors que l’équipe de France olympique dirigée par Henri Michel emporte le tournoi face au Brésil, déjà. Marguerite Duras obtient le Prix Goncourt pour l’Amant, tandis que Madonna triomphe avec son album Like a Virgin.

Le contexte sportif

Quatrième finale européenne et quatrième victoire en C1 pour le FC Liverpool de Ian Rush et Bruce Grobelaar contre l’AS Roma de Falcao (le Brésilien). C’est aussi le dernier titre européen pour un club anglais avant un tunnel de 15 ans. Platini et la Juve gagnent quant à eux la C2 contre Porto.

En France, les Girondins de Bordeaux de Giresse et Tigana fêtent leur deuxième titre de champion, 34 ans après leur premier. L’entraîneur est Aimé Jacquet. L’Euro 84 en France se distingue par les absences du champion du monde italien, de l’Angleterre, des Pays-Bas, de l’URSS et de la Pologne. La Roumanie, le Danemark et le Portugal sont les invités surprise.

Le sélectionneur en poste

Quand l’année commence, Michel Hidalgo vit sa huitième et dernière saison à la tête des Bleus. Il prépare sa troisième phase finale et tient à finir en beauté. Le Ballon d’Or raflé par Michel Platini en décembre et l’excellente saison des Bordelais le rendent optimiste. Mais jusqu’à présent, ses Bleus ont beaucoup promis mais peu tenus. Pour franchir un cap, il a misé sur un nouveau gardien, Joël Bats, et a blindé son carré magique avec un milieu défensif fougueux et prometteur, le Parisien Luis Fernandez. En attaque, Bruno Bellone s’affirme de plus en plus, mais José Touré, très prometteur pendant l’hiver, doit déclarer forfait sur blessure.

Le récit de l’année

Après une année 1983 morose, tout commence par un alléchant France-Angleterre au Parc le 29 février. Revanche de la défaite de Bilbao, celui-là va voir des Bleus brillants danser sur le ventre des Anglais (qui ne sont pas qualifiés pour l’Euro). Touré sème la panique dans la défense britannique, mais il faut attendre la deuxième période pour voir Platini faire sauter le verrou adverse, d’une tête renversée sur un centre de Giresse, puis sur un coup franc plein axe à 17 mètres qui ne laisse aucune chance à Peter Shilton (2-0).
 

Contre l’Autriche en mars à Bordeaux, Touré est forfait (il manquera l’Euro sur blessure), tout comme Platini. Les Bleus sont à la peine, Bernard Lacombe fait son come-back deux ans après son dernier match, et c’est Rocheteau qui débloque la situation en fin de match (1-0) sur un centre d’Amoros.

L’opposition est tout autre à Strasbourg pour un France-RFA aux allures de revanche de Séville et de possible finale européenne avant la lettre. Mais les Bleus jouent sans Tigana, Giresse et Platini et Hidalgo aligne un 4-3-3 culotté avec un milieu Fernandez-Genghini-Bravo et une attaque Six-Rocheteau-Bellone. L’audace paye, et si Schumacher retarde longtemps l’échéance, Genghini finit par marquer sur un centre de Didier Six à la 79e (1-0). Ce n’est qu’un match amical, mais c’est toujours bon à prendre. Et quel maillot magnifique !
 

Le dernier match de préparation, le 1er juin à Marseille, se joue contre l’Ecosse. Une opposition que le trio Platini-Giresse-Lacombe plie en une demi-heure : les Bordelais champions de France et le Turinois vainqueur de la coupe des coupes se trouvent les yeux fermés (2-0). Tout est prêt pour cet Euro tant attendu. Que le spectacle commence ! On ne va pas être déçus.
 

Et pourtant, le 12 juin au Parc, le Danemark d’Allan Simonsen va en faire voir de toutes les couleurs aux Français, crispés, brouillons et très nerveux dans un match qui ressemble à un combat de tous les instants. Le Roux et Simonsen se percutent violemment, et en fin de match, Amoros perd son sang-froid sur une faute de Jesper Olsen : carton rouge. Heureusement, dix minutes plus tôt, Platini avait marqué sur un coup de billard, sa frappe étant déviée par la tête du défenseur Busk (78e, 1-0). L’essentiel est acquis, mais l’inquiétude gagne, car Le Roux est blessé et en attaque, Bernard Lacombe n’a pas montré grand chose.
 

Quand la Belgique se pointe à Nantes, quatre jours plus tard, avec son prodige Enzo Scifo, alors que les Bleus alignent une défense baroque avec Fernandez à droite et Domergue à gauche, beaucoup craignent une grosse désillusion. Elle viendra, mais elle sera pour Guy Thys, le sélectionneur belge, qui assiste au naufrage des Diables Rouges. A la mi-temps, le score est de 3-0 pour les Bleus avec notamment deux buts de Giresse et Fernandez qui ont donné le torticolis aux défenseurs belges. Il y aura encore deux buts dans le dernier quart d’heure, un pénalty de Platini (qui avait ouvert le score) et une tête décroisée du même qui s’offre au passage un coup du chapeau (5-0). La démonstration marquera longtemps les esprits.
 

Il reste tout de même un match à gagner pour finir en tête du groupe et éviter si possible la RFA en demi-finale. Mais les Yougoslaves sont contrariants, et ce sont eux qui mènent à Geoffroy-Guichard à la mi-temps. La rentrée de Tusseau à la place de Luis Fernandez, qui remonte d’un cran, stabilise le milieu des Bleus qui vont renverser la table en un gros quart d’heure par un triplé de Platini du gauche (59e), d’une tête plongeante plein axe (61e) et sur coup-franc (76e). Le public stéphanois fait alors un triomphe à son ancien joueur pendant que les Yougoslaves, vexés, réduisent le score (3-2).

 

Ni le Danemark, ni l’Allemagne n’ont atteint les demi-finales et c’est donc le Portugal qui se présente à Marseille le 23 juin dans un mistral à décorner les bœufs. L’équipe de France produit une heure de football extraordinaire, et sans un Bento en état de grâce (et particulièrement chanceux), les Portugais connaîtraient le sort des Belges. Mais à l’entrée du dernier quart d’heure, il n’y a que 1-0 (but de Domergue sur coup-franc), et après une série de grigris de Chalana sur l’aile, Jordao égalise. C’est la prolongation, c’est Séville, mais côté pile avec le Portugal dans le rôle de la victime expiatoire. Jordao donne l’avantage aux Blancs, Bats sauve une balle de 1-3 devant Nene, Platini joue avant-centre et fait tout sauter dans les six dernières minutes en percutant la défense adverse. But de Domergue (115e) et, sur une montée de l’increvable Tigana, frappe pleine cible du Ballon d’Or. Il restait moins d’une minute à jouer (3-2).
 

Voilà donc, 80 ans après leurs débuts, les Bleus en finale d’une compétition internationale. L’Espagne semble prenable, mais elle est bien meilleure que celle de 1982. Et surtout, l’équipe de France est cuite physiquement : c’est son cinquième match en quinze jours, dont une prolongation éprouvante pour les nerfs. Il faut un sauvetage de Battiston sur la ligne en première mi-temps pour sauver les meubles, et un coup franc de voleur gratté par Lacombe pour que Platini ouvre le score sur une faute de main d’Arconada (1-0). Il reste 33 minutes aux Bleus pour défendre leur titre comme des chiens. Battiston laisse sa place à Amoros, Le Roux est expulsé, et alors que les Espagnols sont tout près d’égaliser, Tigana lance Bellone dans l’espace pour une anticipation du but de Petit quatorze ans plus tard (2-0). Ce n’était pas le soir des poètes, les Espagnols crient au hold-up, Hidalgo s’en va et les Bleus sont champions d’Europe.
 

Quand vient l’automne, c’est Henri Michel qui est sur le banc, auréolé par son titre de champion olympique acquis à Los Angeles au mois d’août. Le seul match à l’extérieur de l’année n’en est pas vraiment un, puisqu’il se joue au Luxembourg contre une des plus modestes sélections européennes. Les Bleus plient l’affaire en une demi-heure (doublé de Stopyra, 4-0) et attendent de passer aux choses sérieuses. La Bulgarie en est une, et en novembre, l’équipe de France est à la peine. Elle s’est fixée l’objectif de finir l’année avec autant de victoires que de matches joués, et elle s’en rapproche quand Platini, qui peut tout demander cette année-là, hérite d’un pénalty très généreux (1-0).
 

Pour rendre une copie parfaite (et lancer idéalement la qualification vers le Mexique), il reste à vaincre la RDA le 8 décembre au Parc. C’est chose faite avec quelques petits jeunes comme les défenseurs Michel Bibard et Didier Sénac et les attaquants Yannick Stopyra et Philippe Anziani, ces derniers marquant chacun à leur tour. Fernand Sastre, un président de la FFF comme on n’en fait plus, peut faire ses adieux au terme d’une année parfaite qu’il sera bien difficile d’égaler un jour.
 

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La révélation de l’année

Jean-François Domergue. Qui attendait le Toulousain à l’Euro ? Personne, et probablement pas lui-même. Quand l’année commence, il va sur ses 27 ans et sa convocation pour jouer contre la RFA en avril ressemble fort à une chance à ne pas rater. Il remplace Max Bossis à la mi-temps et réussit ses débuts dans le couloir gauche. Il entre donc dans la liste des 20 et pense cirer le banc tout le mois de juin. Mais à trois minutes de la fin du match d’ouverture contre le Danemark, Amoros perd la maîtrise de ses nerfs et et donne un coup de de tête à Jesper Olsen. Carton rouge et début du rêve bleu de Jef. Après deux prestations intéressantes contre la Belgique et la Yougoslavie, arrive la demi-finale contre le Portugal, le jour de l’anniversaire de Domergue. Et c’est dans le mistral de Marseille qu’il va s’offrir un cadeau somptueux sous la forme d’un doublé. Quatre jours plus tard, il sera le plus inattendu des champions d’Europe. Et s’il ne rejouera que trois fois (après le Mondial mexicain), peu importe. Il n’oubliera jamais l’année de ses 27 ans.

Les joueurs de l’année

L’année 1984, marquée par un titre européen et un changement de sélectionneur, ne laisse pourtant pas beaucoup de place à l’innovation. Vingt-cinq joueurs sont appelés par Michel Hidalgo puis Henri Michel, et dix d’entre eux vont disputer plus de la moitié des matches : Bats, Fernandez et Bossis n’en manquent aucun, Platini, Battiston, Tigana et Giresse en jouent dix, Amoros et Belote neuf et Le Roux sept. Lacombe et Six, qui disparaîtront des Bleus après l’Euro, en comptent six, tout comme Genghini et Domergue. Bergeron et Brisson jouent leur dernier match en Bleu tandis que Jean-François Domergue, Michel Bibard et Didier Sénac font leurs débuts.

Les buteurs de l’année

L’affaire est entendue : En 1984, Michel Platini réussit tout ce qu’il entreprend. Il va marquer treize fois en dix matches, dont neuf fois lors de l’Euro, performance extraordinaire. Surtout, sa palette technique est immense : buts sur coup-franc (contre l’Angleterre, la Yougoslavie et l’Espagne), sur pénalty (contre la Belgique et la Bulgarie), de la tête (Angleterre, Belgique et Yougoslavie), du droit (Danemark, Portugal et Luxembourg), du gauche (Belgique et Yougoslavie)... Les doublés de Giresse (Ecosse et Belgique) ou Domergue (Portugal) passent presque inaperçus.

Carnet bleu

Naissances de Bacary Sagna (14 février), Guillaume Hoarau (5 mars), Mathieu Flamini (7 mars), Rio Mavuba (8 mars), Michaël Ciani (6 avril), Mathieu Valbuena (28 septembre) et Florent Sinama-Pongolle (20 octobre).
Décès de Raymond François (23 avril), Joseph Gonzaes (26 juin) et Georges Meuris (8 septembre).

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