Alain Giresse, pépite tardive

Publié le 2 août 2012 - Bruno Colombari

Cinq petites années : la carrière internationale d’Alain Giresse fut aussi brève qu’étincelante. Avec lui, pièce majeure du carré magique, les Bleus deviennent une des meilleures équipes du monde.

7 minutes de lecture
Mise à jour d’un article initialement paru en août 2012.

Son apport

Un peu de foot-fiction pour commencer : lors du Mundial 78 en Argentine, Michel Hidalgo titularise Alain Giresse aux côtés de Michel Platini, comme il l’avait fait un an plus tard en Suisse (résultat : 4-0). Devant Dominique Bathenay placé en récupérateur, les deux meneurs de jeu se complètent admirablement, l’un dans le jeu court et l’art du une-deux millimétré, l’autre dans sa science des passes à longue portée et sa facilité devant les buts. Et ils réalisent la sensation du premier tour en sortant le pays organisateur avant de ne s’incliner qu’au second tour contre le Brésil. Fin de la parenthèse : en juin 1978, le Bordelais est en vacances et regarde l’équipe de France de très loin.

Longtemps, Alain Giresse a cru que les portes des Bleus lui seraient fermées pour cause de concurrence déloyale. Lancé par Stefan Kovacs en 1974, le meneur bordelais de poche ne joue que les utiités une fois Platini installé au milieu de terrain tricolore : une titularisation contre la Suisse en 1977, dix minutes contre l’Argentine quelques semaines plus tard, et deux apparitions en 1978 avant (Portugal) et après (Suède) le Mundial, les deux fois parce que Platini ne joue pas. Et c’est tout jusqu’en mars 1981 à Rotterdam contre les Pays-Bas. Une misère.

C’est pourtant cette année-là que Giresse, qui fête ses 29 ans à l’été, va enfin s’imposer dans l’entre-jeu. Sa prestation contre la Belgique en avril (3-1) aux côtés, tiens tiens, de Tigana et de Genghini, est si brillante que lors du retour en septembre, il est rappelé alors que Platini joue en position d’avant-centre. L’expérience n’est pas concluante (0-2), mais Hidalgo ne renonce pas et trouve la formule gagnante avec l’incroyable milieu à trois numéros 10 dans le match décisif contre les Pays-Bas (2-0).

Giresse a enfin trouvé sa place. Lors de la coupe du monde 1982, il monte progressivement en puissance, pour réaliser deux matches phénoménaux contre l’Irlande du Nord (4-1, deux buts) et la RFA (3-3, un but). Sa complémentarité avec Platini et Tigana (son coéquipier à Bordeaux depuis l’été 1981) est évidente. Il est capable d’accélérer le jeu, d’éliminer plusieurs adversaires sur très peu d’espace et de délivrer des passes décisives (notamment piquées) au moment le plus inattendu.


 

Quand l’année se termine, il termine deuxième au classement du Ballon d’or France-Football, derrière Paolo Rossi mais très loin devant Platini. Il a alors 30 ans, et on pourrait croire que le meilleur de sa carrière est derrière lui. Erreur. S’il ne joue que la moitié des matches entre le Mundial et l’Euro, il est bel et bien prêt quand ce dernier commence, avec un titre de champion de France obtenu avec Bordeaux.

Le grand carré magique est en place avec l’arrivée de Luis Fernandez depuis l’automne 1982. Le Parisien est aligné simultanément avec le Turinois et les deux Bordelais contre l’Angleterre en février 1984 : victoire 2-0, dont un but de Platini sur une passe de Giresse. Même tarif contre l’Ecosse à Marseille, et que le feu d’artifice commence. A Nantes, les Bleus font du petit bois de la grande Belgique (5-0), avec un Gigi somptueux (un but, deux passes décisives) et un Platoche en lévitation (triplé). L’autre sommet, c’est bien sûr face au Portugal en demi-finale. Giresse et Platini percutent, distendent, écartèlent, contournent et transpercent le bloc défensif portugais au cours d’une deuxième mi-temps à sens unique. Il faudra un miracle pour que le match se joue sur un coup de dés à la fin des prolongations.


 

Le Mundial 86 arrivera malheureusement un an trop tard pour le capitaine girondin, encore champion de France en 1985. La chaleur et l’altitude du Mexique lui collent des semelles de plomb, aux côtés d’un Platini diminué par les infiltrations. Giresse brille toutefois contre l’URSS (passe décisive pour Fernandez) puis disparaît de la circulation face aux virtuoses brésiliens (remplacé par Ferreri) et contre la RFA en demi (remplacé par Vercruysse). Triste fin pour un joueur dont on peut mesurer rétrospectivement à quel point il a fait franchir un palier à la sélection, tel un Xavi des années 80.

Giresse au classement des sélections

En décembre 1980, Alain Giresse a 28 ans et demi. Il ne compte que cinq sélections. Cinq ans et demi plus tard, il en totalise 47. C’est le moins bien capé du carré magique (Tigana 52, Fernandez 60, Platini 72), mais il côtoie des grands noms de différentes générations, celle des années 30 (Mattler), 50 (Vincent), 60 (Jean Djorkaeff), 70 (Dominique Rocheteau) ou 90 (Eric Cantona). La génération 2018 l’a fait sortir du top 50, Kylian Mbappé étant le dernier à l’avoir dépassé au cours de l’Euro 2020.

Clas. Joueur Sel Tps jeu G N P Abs.Densité Année Ordre
53 Sidney Govou 49 2244 27 13 9 58 46% 2002 787
54 Jean Djorkaeff 48 4276 20 10 18 8 86% 1964 512
55 Yohan Cabaye 48 2834 29 10 9 32 60% 2010 848
56 Alain Giresse 47 4069 29 11 7 54 47% 1974 591
57 Etienne Mattler 46 4170 21 6 19 14 77% 1930 245
58 Jean Vincent 46 4081 23 11 12 12 79% 1953 430
59 Lucas Digne 46 3062 29 11 6 66 41% 2014 875
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Giresse au classement des buteurs

Six buts seulement, c’est peu, sachant qu’en club, il a marqué 187 fois. Mais quels buts ! Un doublé contre l’Irlande du Nord au Mundial 82 (dont une tête sous la barre !), une merveille d’extérieur du droit contre la RFA à Séville quatre jours plus tard et un amour de ballon piqué au dessus de Pfaff après un double une-deux dans la surface avec Tigana contre la Belgique à l’Euro 84. Au classement, il côtoie Luis Fernandez et Bernard Genghini, deux autres membres du carré magique, mais aussi deux de ses héritiers du milieu de terrain, Emmanuel Petit et Patrick Vieira.

Joueur Buts Sel buts/
match
CF Pe 2 3+ tmps jeumn/but
60 Henri Bard 6 18 0,33 0 0 1 0 1620 270
61 Steve Marlet 6 23 0,26 0 0 1 0 1021 170
62 Bernard Genghini 6 27 0,22 2 0 0 0 1978 330
63 Alain Giresse 6 47 0,13 0 0 1 0 4069 678
64 Luis Fernandez 6 60 0,10 0 1 0 0 4680 780
65 Emmanuel Petit 6 63 0,10 1 0 0 0 4507 751
66 Patrick Vieira 6 107 0,06 0 0 0 0 7656 1 276
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Son équipe préférentielle

Avec 66 partenaires différents en 45 matches, la moyenne d’Alain Giresse n’est pas considérable. Il faut dire que sur sa période la plus active en Bleu (1982-1986), l’effectif s’est peu à peu stabilisé avec un noyau dur d’une vingtaine de joueurs à partir de 1984. Hormis Marius Trésor, dont la carrière s’est achevée fin 1983, et à un degré moindre Didier Six (qui a arrêté en 1984), tous ses partenaires préférentiels ont joué plus de la moitié des matches avec lui. Mention spéciale à Max Bossis, qui n’a manqué que six sélections de Giresse. Homis Six et Trésor, donc, on a là quasiment l’équipe-type des Bleus de 82 à 86. Gengini, Janvion, Le Roux et Bellone arrivent juste derrière.

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Ses sélectionneurs

On l’a dit plus haut, c’est à Stefan Kovacs que revient le mérite d’avoir lancé Alain Giresse en septembre 1974 contre la Pologne, même s’il ne le rappellera pas. Pendant les cinq premiières années de son mandat, Hidalgo ne verra en Giresse qu’un substitut éventuel de Platini (4 sélections en 77-78). C’est pourtant lui qui lui offrira l’essentiel de ses sélections (32 sur 47). Ses statistiques entre 1981 et 1984 sont d’ailleurs excellentes, avec vingt victoires pour sept nuls et cinq défaites seulement. A noter que dans toute sa carrière, Giresse a été presque toujours titulaire. Il n’est entré en cours de match que deux fois, en juin 1977 contre l’Argentine et en septembre 1978 contre la Suède. Les deux fois il a remplacé Henri Michel dans le dernier quart d’heure.

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Son premier match : 7 septembre 1974, Pologne-France

Juste avant que ne débutent les éliminatoires pour la coupe d’Europe des Nations 1976, l’équipe de France de Stefan Kovacs affronte en amical la Pologne, troisième de la coupe du monde en Allemagne et championne olympique en titre. Et pourtant, les Bleus l’emportent facilement (2-0), malgré les absences de Serge Chiesa et de Bernard Lacombe. Pour l’occasion, Christian Coste et Alain Giresse font leurs débuts, ce dernier dans une position d’ailier droit qui ne lui convient pas. Il est d’ailleurs remplacé par Patrik Revelli à la 71e sans avoir montré grand chose, et il lui faudra patienter deux ans et demi pour avoir une nouvelle chance.

Son match référence : 8 juillet 1982, France-RFA

Après un premier tour très laborieux, l’équipe de France a enfin trouvé la bonne carburation lors d’un second tour maîtrisé facilement contre l’Autriche (1-0) et l’Irlande du Nord (4-1). Giresse est en très grande forme quand arrive la demi-finale de Séville. Si on se souvient évidemment de son troisième but (99e), celui qui aurait dû ouvrir les portes de la finale, marqué d’un extérieur du droit au terme d’une action initiée par lui-même et relayée par Rocheteau, Platini et Six, il ne faudrait pas oublier son très grand match, où avec Tigana et Platini, il allait écœurer le milieu allemand pourtant composé de Briegel, Dremmler, Magath et Breitner. C’est lui qui tire le coup-franc sur lequel Marius Trésor claque sa volée victorieuse (92e), c’est encore lui qui auparavant avait initié l’action qui a abouti au pénalty de Platini, par un coup franc piqué dans la surface dévié de la tête par le capitaine des Bleus pour Rocheteau ceinturé par Foerster. Enfin, c’est lui qui marque le premier tir au but au bout de deux heures d’un match éreintant pour les muscles et pour les nerfs.


 

Son dernier match : 25 juin 1986, RFA-France

Quand arrive la revanche tant attendue de Séville, la RFA semble bonne à prendre. Mais l’équipe de France est à ramasser à la petite cuillère, laminée par l’altitude, la chaleur et trois énormes matches disputés contre l’URSS, l’Italie et surtout le Brésil. Platini joue sur une jambe et Alain Giresse est carbonisé. Henri Michel lui maintient pourtant sa confiance, mais le capitaine bordelais (qui va bientôt signer un dernier contrat à Marseille) n’a plus d’influence dans le jeu. On ne lui en voudra pas, bien sûr, d’autant plus que ses deux remplaçants lors de ses deux dernières sélections (Ferreri contre le Brésil et Vercruysse contre la RFA) n’ont rien apporté de plus. Il n’y avait qu’un seul Giresse.

Et après ?

A 34 ans, Giresse va s’offrir deux ans de prolongations en club, à l’OM, avant de raccrocher définitivement. Sa deuxième carrière va commencer en 1995, en tant qu’entraîneur du Toulouse FC où il restera jusqu’en 2000, avec un intermède de trois mois au Paris SG de Bietry. Après un passage de deux ans au Maroc, à Rabat, il devient sélectionneur national de la Géorgie, puis du Gabon pendant quatre ans (2006-2010), performance appréciable en Afrique, et enfin du Mali (2010-2012). Après la fin de contrat de Laurent Blanc, son nom avait été évoqué pour prendre en charge l’équipe de France. En 2013, il est devenu sélectionneur du Sénégal, avant d’être rappelé à la tête du Mali entre 2015 et 2017, avant une dernière (?) pige en Tunisie, en 2018-2019.

Tous ses matches

Dans ce tableau que vous pouvez trier colonne par colonne, la colonne « où » indique si les matches ont lieu à domicile (D), à l’extérieur (E) ou sur terrain neutre (N) ; les adversaires en bleu représentent les victoires, en gris les nuls et en rouge les défaites ; « bm » indique les buts marqués ; « tps » désigne le temps de jeu pour chaque match, l’astérisque avant la durée signale une entrée en jeu en tant que remplaçant. Enfin, « sel » indique le sélectionneur : « hM » pour Henri Michel, « mH » pour Michel Hidalgo et « sK » pour Stefan Kovacs.

#dategenreadversaireres.bmtpssel
47 25/06/1986 CM N Allemagne 0-2 0 71 hM
46 21/06/1986 CM N Brésil 1-1 0 84 hM
45 17/06/1986 CM N Italie 2-0 0 90 hM
44 09/06/1986 CM N Hongrie 3-0 0 90 hM
43 05/06/1986 CM N URSS 1-1 0 83 hM
42 01/06/1986 CM N Canada 1-0 0 90 hM
41 26/02/1986 Amical D Irlande du Nord 0-0 0 90 hM
40 16/11/1985 qCM D Yougoslavie 2-0 0 90 hM
39 30/10/1985 qCM D Luxembourg 6-0 1 90 hM
38 11/09/1985 qCM E RDA 0-2 0 90 hM
37 21/08/1985 Amical D Uruguay 2-0 0 90 hM
36 03/04/1985 qCM E Yougoslavie 0-0 0 90 hM
35 08/12/1984 qCM D RDA 2-0 0 90 hM
34 13/10/1984 qCM E Luxembourg 4-0 0 90 hM
33 27/06/1984 Euro D Espagne 2-0 0 90 mH
32 23/06/1984 Euro D Portugal 3-2 0 120 mH
31 19/06/1984 Euro D Yougoslavie 3-2 0 90 mH
30 16/06/1984 Euro D Belgique 5-0 1 90 mH
29 12/06/1984 Euro D Danemark 1-0 0 90 mH
28 01/06/1984 Amical D Ecosse 2-0 1 90 mH
27 28/03/1984 Amical D Autriche 1-0 0 90 mH
26 29/02/1984 Amical D Angleterre 2-0 0 90 mH
25 12/11/1983 Amical E Yougoslavie 0-0 0 90 mH
24 07/09/83 Amical E Danemark 1-3 0 90 mH
23 23/03/1983 Amical D URSS 1-1 0 90 mH
22 16/02/1983 Amical E Portugal 3-0 0 90 mH
21 06/10/1982 Amical D Hongrie 1-0 0 90 mH
20 08/07/1982 CM N Allemagne 3-3 1 120 mH
19 04/07/1982 CM N Irlande du Nord 4-1 2 90 mH
18 28/06/1982 CM N Autriche 1-0 0 90 mH
17 24/06/1982 CM N Tchécoslovaquie 1-1 0 90 mH
16 21/06/1982 CM N Koweït 4-1 0 90 mH
15 16/06/1982 CM N Angleterre 1-3 0 90 mH
14 02/06/1982 Amical D Galles 0-1 0 90 mH
13 14/05/1982 Amical D Bulgarie 0-0 0 90 mH
12 24/03/1982 Amical D Irlande du Nord 4-0 0 76 mH
11 23/02/1982 Amical D Italie 2-0 0 90 mH
10 05/12/1981 qCM D Chypre 4-0 0 90 mH
9 18/11/1981 qCM D Pays-Bas 2-0 0 90 mH
8 08/09/1981 qCM E Belgique 0-2 0 90 mH
7 29/04/1981 qCM D Belgique 3-2 0 90 mH
6 25/03/1981 qCM E Pays-Bas 0-1 0 90 mH
5 01/09/1978 qEuro D Suède 2-2 0 *13 mH
4 08/03/1978 Amical D Portugal 2-0 0 90 mH
3 26/06/1977 Amical E Argentine 0-0 0 *10 mH
2 23/04/1977 Amical E Suisse 4-0 0 90 mH
1 07/09/1974 Amical E Pologne 2-0 0 72 sK

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