2022, la plus belle finale de tous les temps, vraiment ?

Publié le 10 janvier 2023 - Pierre Cazal

Qualifier Argentine-France 2022 de plus belle finale de tous les temps a étonné pas mal de connaisseurs. Trois semaines plus tard, une fois l’émotion du moment retombée, où placer ce match parmi les 21 qui l’ont précédé ?

6 minutes de lecture

Malgré la défaite des Bleus, la finale de Coupe du monde Argentine-France a soulevé un enthousiasme étonnant, tant dans la presse, y compris sportive, que dans les réseaux sociaux. Certains n’ont même pas hésité à déclarer (à chaud…) que c’était la plus belle finale de toutes !

Qu’en est-il, maintenant que la tension est retombée ?

Il faudrait d’abord définir ce qu’on entend par « belle finale », de façon autre que subjective et sous le coup de l’émotion ; puis circonscrire le champ des comparaisons, qui n’est pas le même selon qu’on a 20, 30, 40 ans ou plus et qu’on a pu voir 2, 3 ou 10 finales de Coupe du monde !


 

Les finales disponibles sur Internet depuis 1954

Etant donné que, dans l’immense majorité des cas, c’est sur un écran de téléviseur que les finales ont été vues (depuis 1966 dans mon cas personnel), il n’y a pas de différence, hors suspens, à y visionner les finales antérieures, qui sont disponibles sur le Net à partir de 1954. Cela constitue donc un « panel » assez étendu composé de 18 finales, autorisant des comparaisons objectives. Avant 1954, il existe certes bien quelques vidéos, plus ou moins partielles, de plus ou moins bonne qualité, concernant les éditions de 1930 à 1950, mais il faut surtout s’appuyer sur les compte-rendus écrits parus dans les journaux, ce qui n’est pas pareil. Néanmoins, restent les données brutes.

Cette étude prendra donc en compte l’intégralité des 22 finales, sachant que j’ai revu pour l’occasion toutes celles qui sont disponibles depuis 1954, en appui à mes propres souvenirs, ainsi qu’aux données statistiques, et j’ai relu les compte-rendus des finales précédentes.

J’ai ensuite défini des critères objectifs, qui décomposent le jugement en apparence subjectif attaché au concept de « belle » finale.

Pour qu’une finale s’inscrive plus particulièrement dans notre mémoire et se distingue des autres, il faut :

1, qu’elle comporte beaucoup de buts. Le jeu stérile lasse ; plus il y a de buts, plus il y a d’émotion, de séduction. Le but du jeu, c’est bien de marquer des buts ! Et pas n’importe quels buts, des buts dans le jeu, et non sur des phases statiques ( pénalties, corners, et bien sûr tirs au but, chargés de tension, certes, mais pas comparables à un tir consécutif à une phase de jeu construite).

2, qu’elle comporte des péripéties. Certes, le suspens existe quand la finale se termine à 0-0 et se dénoue dans les prolongations, comme en 2010 (but d’Iniesta 116 ème pour l’Espagne) ou 2014 (but de Götze 113 ème pour l’Allemagne), mais, quand il y a des renversements de score, c’est beaucoup plus passionnant. A 8 reprises, le futur perdant a ouvert le score, et par 3 fois, le futur gagnant, qui avait ouvert le score, s’est fait remonter, avant de finir par prendre l’avantage, et ces 3 fois-là concernent …l’Argentine (en 1978, 86, et 2022 !) . Ces péripéties animent un match, comme elles animent un roman ou un film, et c’est ce que le spectateur aime.

3, qu’elle propose du jeu. Rien n’est pire que de voir une équipe massée devant son but, obligeant l’autre à faire l’essuie-glace, de gauche à droite et de droite à gauche en essayant désespérément de trouver une ouverture ; rien n’est pire que de voir une équipe se livrer à de l’anti-jeu, par des brutalités incessantes, ciblant le meilleur joueur de l’équipe adverse (Pelé, Platini ou Maradona). Le jeu de contre-attaque (dit de transition par euphémisme) pose à l’adversaire un piège, dans lequel il n’est pas rare qu’il tombe, mais il plaît rarement au spectateur (neutre…), qui apprécie de voir du jeu construit, des dribbles, des ouvertures lumineuses et de beaux buts.


 

1998, 2006 et 2022 éliminées d’entrée

Ces critères éliminent pas mal de finales, qui se terminent sur des 1-0, ou bien aux tirs au but, ou sur des pénalties : curieusement, elles sont récentes. Cela commence en 1990 (l’Allemagne gagne grâce à un pénalty de Brehme, qui plus est au terme d’un match fermé, à la 85e minute), et concerne 1994 (0-0) 2006 (1-1), 2010 et 2014 (1-0), des finales tendues, agaçantes plus que plaisantes. 2022, qui repose sur la bagatelle de 3 pénalties et en plus, des tirs au but, bat les records en la matière. Cela élimine aussi 1998, ô combien chargé en émotions, mais dont les buts résultent de phases statiques (corners), et dont le suspens fut rapidement tué.

Risquons-nous à un classement :

1970 (Brésil-Italie, 4-1) l’emporte.
Il y a les buts, et ils sont parfois beaux, je pense au tir de Gerson après une percée, ou au sublime décalage de Carlos Alberto par Pelé, c’est ça le beau jeu ! Quelques péripéties, puisque les Italiens ont égalisé ( cadeau de la défense brésilienne..), mais peu de vrai suspens, en vérité. Mais que de beaux gestes des brésiliens, de Rivelino en particulier, un régal à voir et à revoir.

1958 (Brésil-Suède 5-2), en second, toujours Pelé !
Qui n’a pas revu son lob aérien exécuté sur le pauvre Parling, qui regarde le phénomène jouer, sans oser le brutaliser…Sans doute le plus joli geste des 22 finales de Coupe du Monde. Et les dribbles de Garrincha, toujours le même mouvement, et le pauvre Axbom, long comme un jour sans pain, et raide, qui se fait déposer sur place à chaque fois ! Zéro suspens, même si, ô surprise, c’étaient les Suédois qui avaient ouvert le score face à des Brésiliens tétanisés par le souvenir de 1950…


 

1966 (Angleterre-Allemagne 4-2), en troisième.
Un jeu ouvert, des buts, des péripéties : les Allemands ouvrent le score, sont doublés, reviennent à 2-2 à la 89 ème minute, et puis il y a l’inoubliable faux-but de Hurst en prolongation, qui en a fait couler, de l’encre ! Avec une mauvaise foi tout anglaise, les Anglais ont soutenu pendant 50 ans qu’il y avait but, alors qu’il était évident que le ballon était retombé sur la ligne (et pas derrière). Mais je reconnais que le tir de Hurst, en pivot, était de toute beauté, il méritait le but. Trois des 6 buts sont entachés de fautes, 1966 est la finale la plus polémique, inoubliable.

1954 et 1986 ( Allemagne-Hongrie et Argentine-Allemagne 3-2).
Même score, mêmes péripéties. En 1954, les Hongrois (la fameuse Aranyicsapat) mènent 2-0 et croient que c’est fait ; en 1986 les Argentins mènent eux aussi 2-0…mais à chaque fois, l’Allemagne, coriace (on en sait quelque chose, à Séville, en 1982…) revient à 2-2 ! Sauf que si, en 1954, c’est Rahn qui marque un dernier but victorieux (pas beau, mais il compte), en 1986 c’est Burruchaga qui donne la victoire à l’Argentine. Deux finales très animées, avec du jeu : Hidegkuti et Puskas contre Fritz Walter, Maradona…

1950 (Uruguay-Brésil 2-1).
On n’a pas vraiment les images (sauf celles des buts, et notamment les échappées de Ghiggia), mais on a l’enregistrement du commentaire radio brésilien, qui restitue bien l’émotion. Le choc émotionnel de cette finale (qui n’en était pas une, stricto sensu) fut immense, il plongea le Brésil dans le désespoir, notamment le second but de Ghiggia : car, selon le système de poule finale à 3 en vigueur alors (pour la seule et unique fois), un match nul suffisait aux Brésiliens. Ils avaient ouvert le score, par Friaça, péniblement, et puis Ghiggia, sur une première échappée, avait égalisé. Il suffisait donc de tenir le score, mais c’était trop demander à une équipe à vocation offensive…

Je pourrais poursuivre cette liste, mais c’est inutile, on voit bien que 2022 n’y est pas !


 

L’émotion ne suffit pas à faire une belle finale

Pourquoi ? Il y a certes eu 6 buts, mais 3 pénalties ; deux beaux buts seulement, ceux de Di Maria et de Mbappé ; le dernier but argentin, de Messi, n’est pas beau, mais il est construit, et il faut reconnaître que, si une équipe a fait du jeu, c’est bien l’Argentine. Elle s’est arrêtée, comme en 1986, parce qu’elle croyait qu’à 2-0, c’était plié, alors qu’avec le souvenir du stade Aztèque, elle aurait dû se méfier ! Côté français, on n’a rien vu : 80 minutes de non-jeu, agaçantes. Suivies de 40 de jeu à l’abordage, à coups de boutoir. Un commentateur (je ne sais plus qui) a dit fort justement que Deschamps avait fort bien compris que, pour gagner, il n’était pas nécessaire de bien jouer, alors il a retiré les joueurs qui construisaient pour lancer des joueurs d’assaut. Des péripéties, donc, il y en a eues, mais sur la fin.

Ce fut donc un match chargé en émotions, mais uniquement liées au suspens, pas des émotions provoquées par le beau jeu, qui sont teintées d’admiration, à l’exception du but de volée de Mbappé. Cela ne suffit pas à faire une « belle » finale, surtout vu du côté français, car les 80 minutes d’apathie ne sont pas annulées par les 40 qui ont suivi, en dépit des péripéties qui se sont brutalement accumulées. Un renversement de score de 2-0 à 2-2 en deux minutes, il est exact que ça ne s’était jamais produit encore : en 1986, le même renversement avait pris six minutes, mais l’Argentine avait repris le dessus trois minutes plus tard !

C’est dire que le fameux « ascenseur émotionnel », dont on parle tant, n’a pas été l’apanage de la seule finale de 2022, bien au contraire, et n’est pas un critère d’excellence pour une finale.

J’ajouterai, pour finir, que ce match est très loin d’avoir été le plus beau que les Bleus aient disputé en phase finale de Coupe du monde. Si l’on privilégie les péripéties et les émotions, Séville est loin devant, et si l’on pense au beau jeu, France-Brésil 1986 vient à l’esprit en premier, il n’y manquait que davantage de buts ; et, pour ce qui se rapporte aux buts, je pense que France-Allemagne 1958 (6-3) est difficilement égalable !

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