Chute, rebond, sommet (1/3) : 1980-1984

Publié le 16 mai 2019 - Bruno Colombari

Premier volet de la trilogie sur le moteur à trois temps des Bleus : avant de gagner l’Euro 1984, Michel Hidalgo avait connu la chute de Hanovre contre la RFA en 1980 et le rebond du Parc face aux Pays-Bas en 1981.

4 minutes de lecture
Lire la deuxième partie : Chute, rebond, sommet (2/3) : 1993-1998

En préalable, que l’on soit bien d’accord : ce moteur à trois temps n’est pas un modèle généralisable à toutes les équipes de France et applicable à toutes les époques. Les points bas, que l’on peut aussi appeler chutes, sont très nombreux dans l’histoire de la sélection, et quasiment chroniques jusque dans les années 1930. Les rebonds sont moins fréquents mais encore conséquents, même si pendant longtemps, jusqu’au début des années 1980, les promesses qu’ils généraient restaient sans lendemain. Enfin, les sommets (titres européens et mondiaux) se comptent sur les doigts d’une main, sans l’auriculaire.

Autrement dit, une chute n’entraîne pas toujours un rebond, lequel ne conduit pas systématiquement à un sommet. Ce serait évidemment trop facile. En fait, c’est même en partant de la fin qu’on peut définir un enchaînement : à partir d’une finale gagnée de Coupe du monde ou d’Euro, en rembobinant sur une période de quatre ou cinq ans, il est parfois possible de définir une chute initiale, c’est-à-dire un match où l’équipe a manifestement failli dans tous les domaines (technique, engagement, état d’esprit, résultat) et où les choix du sélectionneur sont mis en cause, parfois violemment. Puis de chercher où se trouve le rebond, c’est-à-dire le moment où la tendance s’inverse et où quelque chose se passe au sein du groupe, un déclic, une prise de conscience, une prise de confiance même, renforcée par la frayeur d’une élimination entrevue.

C’est pour tout ça que cet enchaînement de causes et de conséquences est intéressant à observer. C’est ce que j’ai fait pour les séquences 1980-1984, 1993-1998 et 2013-2018. Les trois sont très différentes dans leurs étapes (pas dans leur conclusion, puisque c’est elle qui définit rétrospectivement la séquence) mais présentent quelques points communs. Voici la première partie de cette trilogie.

1980-1984 : de la gifle de Hanovre au titre européen

La chute : 19 novembre 1980, RFA-France (4-1)

A l’automne 1980, au début de la cinquième saison de Michel Hidalgo comme sélectionneur, l’équipe de France ne sait pas trop où elle habite, même si le début de sa phase qualificative pour la Coupe du monde en Espagne s’est bien passée (victoires à Chypre et contre l’Irlande). L’après Coupe du monde 1978 a été un échec, l’Euro 1980 (le premier de l’histoire à huit) s’est joué sans elle et a consacré la RFA de Kaltz, Schuster et Hrubesch.

C’est justement là que les Bleus vont se tester contre l’un des favoris, avec l’Argentine de Maradona et le Brésil de Zico, de la prochaine Coupe du monde. À Hanovre, les hommes d’Hidalgo sont balayés dans des propositions inquiétantes (1-4) et dominés dans à peu près tous les secteurs du jeu : techniquement, tactiquement et physiquement. Horst Hrubesch, notamment, sème la panique dans l’axe de la défense française Specht-Lopez, marque le troisième but d’un grand coup de caboche sur un coup franc joué rapidement par Kaltz, et sert parfaitement Klaus Allofs pour la clôture du score.

Après la rencontre, le sélectionneur Jupp Derwall chambre Platini, comparé à un général observant de loin le champ de bataille avec des jumelles. Bref, la hiérarchie est respectée et va semer le doute chez Michel Hidalgo, d’autant plus qu’il aligne cinq Stéphanois et que Saint-Etienne va atomiser Hambourg (alors vice champion d’Europe) à l’extérieur quelques jours plus tard en coupe UEFA (5-0). Qu’est-ce qui ne va pas chez les Bleus ?


 

Le rebond : 18 novembre 1981, France-Pays Bas (2-0)

Un an plus tard, les doutes semés à Hanovre ont poussé de façon exubérante tout au long d’une année 1981 calamiteuse avec ses six défaites [1]. Sans une belle victoire contre la Belgique en avril (3-2), la Coupe du monde en Espagne serait déjà envolée. La sélection est un chantier permanent, les gardiens se succèdent sans s’imposer, et une fronde anti-Platini prend de l’ampleur.

Contre les Pays-Bas, une victoire est obligatoire. Michel Hidalgo tente un coup de poker en alignant les meneurs de jeu Giresse, Genghini et Platini au milieu derrière trois attaquants (Rocheteau, Lacombe,Six) dans un 4-3-3 hyper offensif. Et ça marche : grâce à un coup franc victorieux de Platini (après trois tentatives manquées), les Bleus battent les vice-champions du monde 1974 et 1978 (2-0) emmenés par Krol, Neeskens et Rep, ce qui n’est pas rien. Tigana remplace Platini à un quart d’heure de la fin, préfigurant ce qu’on appellera le carré magique l’été suivant. Dans la foulée, ils l’emportent 4-0 contre Chypre et se qualifient pour la Coupe du monde où ils écriront la légende de Séville.


 

Le sommet : 27 juin 1984, France-Espagne (2-0)

Sans Séville et son dénouement cruel au terme de prolongations où les Bleus se sont laissés emporter par leur élan offensif, il n’y aurait pas eu Marseille et son final renversant contre le Portugal en demi-finale de l’Euro 84 (3-2 après prolongations, deux buts dans les cinq dernières minutes). Face à l’Espagne, Michel Hidalgo aligne un secteur défensif largement remanié depuis 1981 avec le gardien Joël Bats, le stoppeur Yvon Le Roux, le latéral gauche Jean-François Domergue et le récupérateur Luis Fernandez. On pourrait y ajouter Manuel Amoros, de retour de trois matchs de suspension après son expulsion contre le Danemark, et qui remplace Battiston en fin de partie.

Les Espagnols dominent la première mi-temps, sont tout près d’ouvrir le score sur une tête de Santillana sauvée sur la ligne par Patrick Battiston. Mieux équilibrés et plus solides que deux ans plus tard, les Bleus ont appris la patience et à forcer le destin, comme quand Lacombe gratte un coup franc sur une faute imaginaire à l’entrée de la surface. Au même endroit que contre les Pays-Bas trente mois plus tôt. Platini marque, Le Roux est expulsé, et dans les arrêts de jeu Tigana lance Bellone qui enfonce le clou (2-0). Les Bleus se sont convertis au réalisme froid qu’ils ressortiront contre la Yougoslavie en novembre 1985 ou face à l’Italie au Mexique, en juin 1986.


 

Rotations 1980-1981-1984

Entre le match de la chute et celui du rebond, les compositions sont relativement proches : les sortants parmi les titulaires sont le gardien Dominique Dropsy, le stoppeur Léonard Specht, le relayeur Jean-François Larios et l’attaquant Loïc Amisse. Fin 1981 les entrants sont Jean Castaneda dans les buts, Marius Trésor en défense, Alain Giresse et Bernard Genghini au milieu et Bernard Lacombe en attaque. Mais tous, sauf Castaneda, étaient déjà internationaux en 1980.

Pour la finale de l’Euro 1984, ils sont six à avoir joué le match du rebond en 1981 (Bossis, Tigana, Giresse, Platini, Lacombe et Genghini qui entre en fin de rencontre) auxquels on peut ajouter Six et Rocheteau sur le banc et Bellone qui n’était pas rentré en jeu en 1981. Battiston était lui remplaçant lors de la chute de Hanovre en 1980, alors que Bossis, Tigana, Platini, Rocheteau et Six avaient joué tout ou partie du match. Autant dire que ceux-là savent d’où ils viennent.

La liste des 20 à l’Euro compte donc dix anciens pour dix nouveaux, un équilibre subtil entre l’équipe qui est allée à Séville et les nouveaux arrivés depuis (Bats, Rust, Ferreri, Fernandez, Le Roux, Domergue) ou qui n’étaient pas en Espagne (Bergeroo, Bravo, Tusseau). Manuel Amoros étant un cas particulier puisqu’il a débuté quelques mois après le France-Pays-Bas de novembre 1981.

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[1Espagne 0-1, Pays-Bas 0-1, Brésil 1-3, Belgique 0-2, Irlande 2-3, auxquelles on peut ajouter un match non officiel contre Stuttgart, 1-3.

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