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Comment avez-vous rejoint l’équipe de France fin 2017 ?
En fait je souhaitais rejoindre la Fédération, où il y avait un projet de cellule performance et innovation initiée par la DTN (direction technique nationale). Je me suis proposé et j’ai été recruté. C’était en novembre 2017. Didier Deschamps l’a appris et a souhaité me rencontrer pour savoir comment je travaillais, connaître mon approche. Il m’a proposé de rejoindre l’équipe de France pour en devenir le préparateur physique.
Vous avez été préparateur physique à Lille pendant près de 20 ans. Travailler avec une sélection qui se réunit six fois dix jours dans l’année, ça doit être très différent… Qu’est-ce qui change ?
Oui, c’est très différent. Quand on travaille dans un club, on a une planification sur le long terme, les joueurs sont en permanence avec nous, et donc on peut vraiment travailler sur une saison complète avec à peu près le même effectif. En sélection les joueurs changent, on est sur des cycles courts, on travaille sur deux matchs en dix jours. Sauf sur les compétitions comme la Coupe du monde où on retrouve un peu ce cadre similaire au club, on a plus de temps, on a une période de préparation et une compétition à jouer.
« On est là pour faire en sorte que les joueurs soient performants sur le terrain, qu’ils ne se blessent pas et qu’ils récupèrent rapidement. »
Pendant les rassemblements courts on est sur une logique à court terme. On n’est pas là pour développer la force, l’endurance, identifier les points forts et les points faibles. On est là pour faire en sorte que les joueurs soient performants sur le terrain, qu’ils ne se blessent pas et qu’ils récupèrent rapidement. Et donc on a beaucoup de travail à mettre en place avec les autres clubs pour échanger des informations, pour mettre les joueurs dans les meilleures conditions.
Est-ce que les clubs collaborent facilement ? Il y a quelques années, certains clubs polémiquaient en accusant les sélections de rendre les joueurs blessés…
C’est du gagnant-gagnant. Si on échange des informations, c’est bénéfique pour les joueurs, et donc pour les clubs si on évite de les rendre blessés. En connaissant la charge d’entraînement, les routines, son alimentation, on va pouvoir mettre en place ses choses-là en sélection et permettre au joueur d’être performant et ne pas se blesser. Et si c’est le cas, le club est gagnant également. Il y a un double intérêt.
Sur un tournoi comme la Coupe du monde où les joueurs sont disponibles pendant une cinquantaine de jours, vous pouvez travailler dans de meilleures conditions. Comment définir le moment où les joueurs vont connaître un pic de forme ?
Il y a des objectifs. Il y a les trois premiers matchs qu’on connaît, au premier tour. Si on passe le premier tour, il faut pouvoir passer les autres sans être épuisés. Il y a une gestion à mettre en place sur du court terme, et en même temps sur du long terme. L’objectif n’est pas d’être à 100% au premier tour, mais il faut être performant dès le premier match.
« Le travail a commencé à être bénéfique après le premier tour »
Pour la Coupe du monde, on a fait une préparation assez importante, mais on a allégé la semaine précédent le match contre l’Australie avec un travail d’explosivité et de puissance. Le travail a commencé à être bénéfique après le premier tour. Mais sincèrement, l’objectif n’était pas de faire en sorte que les joueurs ne soient pas performants sur les premiers matchs. D’autant que les équipes en face étaient préparées pour être au top et au pic de forme immédiatement, notamment l’Australie et le Pérou.
Pour préparer la Coupe du monde, avez-vous analysé ce qui s’est passé à l’Euro 2016, où de nombreux joueurs semblaient très fatigués en finale contre le Portugal ?
Je ne suis pas là pour juger ce qui s’est fait avant. Quand on arrive dans une organisation, on regarde ce qui s’est fait. L’idée était de faire en sorte que les joueurs soient bien tout au long de la compétition. J’ai eu des informations sur ce qui a été fait en 2016, les décisions ont été prises au sein du staff de façon collective.
Est-ce que le sélectionneur vous consulte au moment de former sa liste des 23, ou pour définir les joueurs aptes pour le prochain match ?
C’est lui qui constitue le groupe des 23. S’il y a des incertitudes sur le plan physique ou une interrogation sur un joueur qui revient de blessure, il peut me consulter, mais c’est lui qui prend les décisions. Il a toutes les informations à sa disposition pour décider dans les meilleures conditions.
Vous dites vouloir associer la recherche et la pratique. Vous travaillez aussi avec l’UEFA sur la prévention des blessures. Les préparateurs physiques comme vous ne devraient-ils pas être consultés au moment d’établir les calendriers des compétitions ?
On va dire qu’il y a des enjeux financiers qui sont plus importants… Le fait de jouer de nombreux matchs arrange les institutions. Mais en jouer autant n’est pas sans conséquences sur la santé des joueurs et des blessures. Au niveau de la commission médicale, l’idée est de mettre en place des études pour voir ce que ça produit. On cherche à avoir des évidences scientifiques qui vont montrer les conséquences de ce calendrier sur les blessures. Quand on fait de la science on ne part pas de préjugés.
« Il y a six fois plus de blessures quand on joue tous les trois jours »
On ne prend pas de décisions. On fait un constat : quand on joue tous les trois jours par exemple, on sait que l’incidence est six fois plus importante que lorsqu’il y a un match par semaine. Quand il y a soixante-douze heures et moins entre deux matchs, il y a six fois plus de blessures que lorsque ce délai est de quatre-vingt seize heures et plus. C’est le résultat d’une étude qu’on a faite.
Les données disponibles étant de plus en plus abondantes, comment faire pour les utiliser à bon escient sans se laisser déborder ?
Il y a une pression aujourd’hui dans les entreprises pour collecter des données, qui vient de la société. Mais il faut décider du type de données que l’on veut collecter, et comment ça influence la prise de décisions. En fait, on part des décisions que l’on prend, et on cherche quelles sont les informations nécessaires pour prendre ces décisions. Et quand on les connaît, on vérifie la fiabilité des informations. Ça on ne le fait pas souvent, mais c’est important.
Dire « on collecte des tas d’informations et on optimise après la prise de décisions, » je ne suis pas dans ce schéma-là. Je préfère partir des décisions que l’on prend et identifier les informations requises. Et s’assurer de la fiabilité des informations.
Quand vous dites qu’elles ne sont pas fiables, ça dépend de quoi ? Du matériel, de la façon dont on les collecte ?
Exactement. On a testé différents appareils, par exemple des GPS. Sur certains modèles, il y a 30% à 40% de différence d’un appareil à l’autre. Tester, c’est ce qu’on fait spontanément quand on achète une balance. Vous montez dessus, elle affiche 80 kg, vous remontez dessus elle affiche 85, vous ne l’achetez pas, la balance ! Et vous testez aussi la validité : si vous pesez 75 kg, vous ne l’achetez pas non plus. On a tendance à faire confiance à la technologie sans vérifier, et plus on paie cher et moins on vérifie.
« Le bain froid est plus efficace que la chambre de cryothérapie ! »
J’ai lu dans un article que vous aviez mis en cause les techniques de cryothérapie en disant que c’étaient des machines extrêmement chères et qui n’étaient pas plus efficaces qu’un bain d’eau froide.
Ce n’est pas ça : le bain froid est plus efficace que la chambre de cryothérapie ! Il y a encore des clubs qui les achètent [1]. Après, il y a beaucoup de nouvelles technologies et il faut faire le tri. Quand je dis ça, ce n’est pas moi qui le dit, ce sont les résultats. On n’a pas de préjugés : la question, c’est est-ce que c’est efficace ? On a donc comparé le bain froid à une chambre de cryothérapie et on s’est aperçu que le bain était plus efficace sur la récupération de la force et du sprint.
Partant de là, la question c’est faut-il investir dans ce matériel ? La réponse est non. Il y a toujours des effets de mode, il y a une pression de la part des joueurs qui disent que le club est dépassé s’il n’achète pas de matériel. Ils peuvent être prescripteurs.
Vous aviez dit avant la Coupe du monde que vous auriez les données en temps réel sur le banc, ce qui permettrait d’être plus réactif. Est-ce que ça a été le cas ?
Oui. Et c’est plus facile. On a des données images que nous envoie Thierry Marszalek depuis la tribune : sur les coups de pied arrêtés, l’entraîneur peut tout de suite réajuster si par exemple sur un corner il y a cinq joueurs qui montent au lieu de six. On a des arrêts sur image. On a aussi la performance physique des joueurs. Si un joueur est inactif pendant un certain temps et qu’on sait que lorsque ce joueur baisse physiquement, il a du mal à remonter, ça peut être utile pour optimiser la décision. Mais un autre joueur peut être inactif un moment et performant après, ça dépend du profil de chacun. Il faut prendre ces informations avec méthode et précaution.
Généralement, les joueurs n’aiment pas trop le travail physique sans ballon. Comment arrivez-vous à les intéresser et à les motiver ?
En les impliquant. L’idée ce n’est pas leur dire « il faut courir, il faut faire de la musculation », c’est de leur expliquer pourquoi on le fait, l’intérêt des programmes qu’on met en en place, ce que ça va développer chez eux. Si ça n’est pas le cas, si ça ne développe rien, il ne faut pas le faire. Et ça se passe beaucoup mieux si on vous explique pourquoi il faut faire quelque chose, en quoi ça va être utile, en quoi vous allez être plus performant : vous serez plus motivé, votre niveau d’engagement sera plus important. Je suis dans cette approche pédagogique plutôt que d’imposer et d’appliquer bêtement des modèles.
On dit que la préparation invisible (hygiène de vie, sommeil, diététique) est décisive pour la carrière d’un joueur. Que leur conseillez-vous dans ce domaine ? Est-ce facile de repérer un joueur qui n’est pas rigoureux ?
C’est un point intéressant, parce que la nutrition c’est essentiel. La première étude date de 1967. Je l’ai montrée hier aux Espoirs : c’est un Suédois [2] qui montrait que lorsqu’on consommait 25% de glucides et qu’on réalisait un exercice à 70% de VO2max, on tenait une heure. Avec les mêmes individus, quand on leur donnait 75% de glucides, on tenait plus de trois heures. Juste en jouant sur le paramètre nutrition, on était beaucoup plus performant.
« La nutrition est utile pour la santé, mais aussi pour la performance »
L’idée, c’est d’optimiser chaque détail. Un match de foot, c’est une accumulation de détails, mais il faut optimiser tous ces détails pour ne pas avoir de regrets à la fin du match parce qu’on a frappé sur un poteau, parce qu’on n’a pas été lucide à un moment donné et qu’on a pris un but… La nutrition pour ça est très utile. Utile d’abord pour la santé, mais aussi pour la performance. Il y a des recommandations sur les apports, les dépenses, les interactions : si vous faites une séance d’une heure, vous n’avez besoin des mêmes apports que pour une séance d’une heure et demie. Si vous faites une séance de musculation, l’assiette doit être complètement différente que si vous venez de faire une heure et demie de séance sur le terrain.
Ça paraît évident quand on le dit, mais ce sont des habitudes à mettre en place. Par exemple, il y a des pâtes complètes, qui vont être mangées en semaine, les pâtes blanches qui vont être consommées les jours de match, la cuisson qui joue aussi sur l’indice glycémique. L’idée c’est d’articuler la science et l’application pratique. C’est un exemple typique.
Il y a aussi tout ce qui est récupération et le travail de prévention de blessure. On a une cartographie du corps, on sait que le risque de blessures est plus important sur certaines parties du corps, et on met en place des exercices qui vont compenser les zones à risque.
Pour en revenir à ma question, êtes-vous en mesure de repérer un joueur qui ne serait pas rigoureux dans ce travail-là ?
Quand on est ici en équipe de France, ils sont toute la journée avec nous, donc on voit ce qu’ils mangent le matin, le midi et le soir. L’avantage de la sélection par rapport au club, c’est qu’on les a tout le temps. On a un meilleur contrôle de leur hygiène de vie. En club, ils prennent le petit déjeuner ensemble, mais le dîner est le plus souvent à la maison, et ils dorment chez eux.
Le but, c’est de les responsabiliser, qu’ils soient autonomes et acteurs de leur corps. Si on est dans une logique de surveillance, le joueur n’a pas envie d’adhérer à ça, ou alors pour de mauvaises raisons.
Vos commentaires
# Le 21 juin 2019 à 00:21, par Pierre Grx En réponse à : Grégory Dupont : « Un match de foot, c’est une accumulation de détails »
Cet article est l’un des plus passionnants que je connaisse. C’est complet, détaillé et précis. Il attire ma curiosité, notamment sur la partie nutrition. Et sa pédagogie est très proche de la mienne, ce qui m’amène a confirmer qu’en expliquant le pourquoi d’un exercice, on attire son public.
Continuez ainsi !
# Le 21 juin 2019 à 07:12, par Bruno Colombari En réponse à : Grégory Dupont : « Un match de foot, c’est une accumulation de détails »
Merci pour votre retour. Je compte sur vous pour relayer cet article autour de vous. Pour qu’une interview soit réussie, il faut un interlocuteur disponible et de grande qualité. C’était le cas.