Saint-Etienne 1981, ses dix internationaux et son déclin

Publié le 14 mai 2025 - Bruno Colombari

Quand les Verts remportent leur dixième titre national en 1981, on ne sait pas encore que ce sera le dernier. Mais cette équipe composée uniquement d’internationaux, dont dix Bleus, irriguera la sélection de Michel Hidalgo.

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Après avoir été hégémonique sur la scène nationale pendant une décennie en mode Lyon au début des années 2000 ou PSG depuis 2013 (7 fois champion de France entre 1967 et 1976, 5 Coupes de France dont 4 doublés) et frôlé une Coupe des clubs champions en 1975 et 1976, l’AS Saint-Etienne est à la croisée des chemins à l’été 1980. Elle sort de trois saisons sans titre, alors qu’elle a abandonné son ADN de club formateur pour recruter largement, notamment dans les internationaux français (Jacques Zimako en 1977, Michel Platini en 1979, Bernard Gardon et Patrick Battiston en 1980) ou étrangers (le vice champion du monde néerlandais 1974 et 1978 Johnny Rep en 1979).

Ce n’est pas vraiment du goût du public, ni de l’entraîneur Robert Herbin, mais qu’importe. Et s’il y a toujours des soirées européennes, les Verts sont passés de la prestigieuse C1 à la moins cotée C3 (Coupe de l’UEFA à l’époque), qui était pourtant beaucoup plus relevée que l’actuelle Ligue Europa, puisqu’elle accueillait les deuxièmes et troisièmes des championnats allemands, anglais, italiens, espagnols, etc…, la C1 (Coupe des clubs champions) étant réservée, comme son nom l’indique, aux 32 champions nationaux.

Jean Castaneda, gardien prometteur

Conséquence d’une saison 1979-80 inquiétante côté défense (70 buts encaissés en 53 matchs, dont 50 en championnat), du renfort arrive pendant l’été avec Gardon et Battiston, et le jeune gardien Jean Castaneda (23 ans) va pousser le vétéran Ivan Curkovic (37 ans) sur le banc après seulement trois journées et déjà deux défaites et 7 buts encaissés. Il ne lâchera plus l’affaire et, avec lui, les Verts n’encaisseront plus que 19 buts jusqu’à la fin du championnat, lui-même signant 19 clean-sheets ! A un moment où Michel Hidalgo essaie des gardiens à tour de bras sans en trouver un satisfaisant (quatre différents en 1979-1980 : Dropsy, Rey, Ettori et Bergeroo), c’est plutôt une bonne nouvelle. Et le 18 février 1981, Michel Hidalgo l’aligne contre l’Espagne en amical à Madrid, où Castaneda (qui a des origines espagnoles) devient le 56e gardien de l’histoire des Bleus Gardiens de but de l’équipe de France : chronologie du poste. S’il fait plutôt un match satisfaisant, il s’incline à quatre minutes de la fin sur un pénalty de Juanito (0-1). Mauvais présage.

La deuxième nouvelle tête de la défense stéphanoise, c’est le stoppeur Bernard Gardon. Il a la rude tâche de faire oublier Oswaldo Piazza, mais il en a vu d’autres. Passé par Nantes, où il a obtenu sa seule sélection en 1973 contre l’URSS, il a évolué ensuite à Lille puis à Monaco, où il a été champion de France en 1978. A 28 ans, il espère évidemment retrouver les Bleus, mais il est barré en sélection par le Strasbourgeois Léonard Specht.

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Patrick Battiston, ça change tout

L’autre renfort défensif est déjà bien connu, c’est Patrick Battiston. Si l’ancien Messin ne s’est pas encore imposé en équipe de France, il y joue depuis l’âge de 19 ans et compte 14 sélections à son arrivée dans le Forez. Mais en Bleu, il est remplaçant de… Gérard Janvion, son désormais coéquipier en club. Pour pouvoir les aligner ensemble, Robert Herbin décale Janvion à gauche. Le Martiniquais est en effet polyvalent : il a commencé sa carrière au milieu de terrain, avant de jouer latéral droit, puis gauche, puis stoppeur aux côtés de Marius Trésor en 1982. Et si on ajoute Christian Lopez, le libéro moustachu spécialiste du tacle glissé, voici une défense composée exclusivement d’internationaux à partir de février 1981.

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Pas étonnant qu’elle soit aussi étanche, tant en championnat qu’en Coupe d’Europe : lors des trois premiers tours de C3 entre septembre et novembre, les Verts enchaînent cinq victoires et six clean-sheets en six matchs, dont un 5-0 à Hambourg (vice-champion d’Europe 1980) ou évolue notamment l’effrayant avant-centre Horst Hrubesch, que Gardon mettra dans sa poche à l’aller comme au retour. Juste après que les Bleus aient pris une volée à Hanovre face à la RFA (1-4), avec Specht comme libéro et Dropsy dans les buts…

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Au milieu, Zanon incarne la jeunesse, Larios la puissance et Platini le génie

Le milieu de ce 4-3-3 très offensif, avec Platini en 10 qui peut évoluer en deuxième avant-centre, est protégé par le jeune (20 ans en novembre) Jean-Louis Zanon, à la frappe dévastatrice, et qui commence à se faire remarquer en Espoirs. Il ne jouera qu’une fois en A, en octobre 1983 en amical contre l’Espagne, parce qu’Henri Michel en avait besoin pour les Olympiques dans la perspective des JO 1984 (qu’il gagnera). A ses côtés évolue Jean-François Larios, un milieu atypique car grand gabarit (1,87 m) mais très fin techniquement, une sorte de Pogba avant l’heure. A 24 ans, il a déjà brillé avec Bastia dans l’équipe de l’épopée de 1978, et son profil intéresse Michel Hidalgo, qui l’a appelé 5 fois en Bleu.

Et évidemment, le maître à jouer est Michel Platini. Mais il ne faut pas oublier qu’en 1980, le Lorrain n’a pas encore éclaté en équipe de France, dont il est le capitaine depuis l’été 1979 : il ne compte que trois matchs de phase finale (en 1978 en Argentine) et a manqué l’Euro 1980, les Bleus n’étant pas qualifiés. A 25 ans, il est évidemment le meilleur joueur français du moment, mais pas encore le triple Ballon d’or qu’il deviendra entre 1983 et 1985.

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Zimako l’insaisissable et Roussey le grand espoir

Devant, on trouve à gauche Jacques Zimako, incroyable dribbleur à la Didier Six, mais très inconstant et d’une efficacité devant le but, capable de marquer sur corner direct et de manquer la cage vide à cinq mètres. Lancé en sélection en 1977, il n’a jamais confirmé et n’a pas été retenu pour l’Argentine l’année suivante. Il reviendra pourtant, mais Hidalgo l’écartera de la liste pour le Mundial 1982, et le regrettera ensuite.

L’avant-centre est Laurent Roussey, 19 ans en décembre et grand espoir du football français. Quand la saison commence, il a déjà 30 matchs de Ligue 1 et 11 buts à son actif, car il a débuté à 16 ans et 3 mois. En 1980-81, il est au sommet de sa carrière, ce qui n’est pas bon signe à cet âge : avec 36 matchs et 12 buts en championnat, il frappe fort et Michel Hidalgo l’appelle en août pour le match amical contre la Juventus. Mais il ne compte pas pour une sélection officielle, et quand il fera ses vrais débuts, à l’automne 1982, ce sera trop tard. Diminué par les blessures, il fera une carrière en pointillés jusqu’en 1991.

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Cinq internationaux en défense, trois au milieu et deux en attaque. Le seul qui échappe aux Bleus parmi les titulaires, c’est Johnny Rep, qui a disputé deux finales mondiales avec les Pays-Bas en 1974 et 1978. Son influence, à 29 ans dans une équipe juvénile, est très importante, d’autant que lui aussi était de l’épopée bastiaise en 1978 avec Larios, avec qui il n’est pas le dernier à faire la fête. Il inscrit 14 buts en 32 matchs, deuxième buteur du club derrière Platini (20 buts).

Le doublé coupe-championnat manqué de peu

Ainsi équipés, les Verts dominent le championnat, ne perdent plus que deux matchs sur 35 et finissent avec deux points d’avance sur Nantes (coucou Richard !) grâce à trois victoires consécutives lors des trois dernières journées, et un doublé de Platini contre Bordeaux en clôture. Ils passent même tout près d’un doublé puisqu’ils tombent en finale de la Coupe de France face à Bastia (1-2). Leur parcours en Coupe UEFA s’arrête en mars par une déroute contre les Anglais d’Ipswich Town (1-4, 1-3), seul véritable accroc de la saison.

Lors de deux matchs, en 1981, il y aura simultanément cinq Stéphanois sur le terrain en équipe de France : face à l’Espagne en février (Castaneda, Janvion, Lopez, Larios et Platini) et en Irlande en octobre (les mêmes). Pour deux défaites (0-1 et 2-3), la deuxième auraient pu coûter aux Bleus leur place en Espagne.

Battiston termine l’histoire quand Deschamps la commence

Sur le terrain, cette équipe stéphanoise de 1981 achèvera son parcours en sélection huit ans plus tard, avec Patrick Battiston en avril 1989 contre la Yougoslavie au Parc, le soir où Didier Deschamps fera ses débuts. Patrick Battiston, qui aura été l’un des 6 Stéphanois présents à la Coupe du monde 1982 en Espagne. Mais c’est un trompe l’œil, car si Gérard Janvion (6 matchs, toujours titulaire) et Michel Platini (5) font partie de l’équipe-type, ce n’est pas le cas de Battiston (titularisé deux fois contre l’Angleterre et l’Autriche, et remplaçant malheureux pendant 7 minutes à Séville), de Lopez (quatre matchs dont trois comme remplaçant) ou de Larios (deux matchs, deux défaites contre l’Angleterre et la Pologne). Quant à Castaneda, il ne disputera que le match des coiffeurs, le dernier, et encaissera trois buts. On ne le verra plus qu’une fois par la suite.

Dans l’équipe de France de 1982, où Platini a déjà la tête ailleurs puisqu’il a signé à la Juventus, il y avait même quatre autres ex ou futurs Stéphanois : Dominique Rocheteau, parti en 1980, Bernard Lacombe, qui n’y sera passé qu’une saison (1977-78) et deux nouvelles recrues de l’été 1982, Bernard Genghini et Philippe Mahut. Mais la vraie ossature de club, en Espagne, est plutôt bordelaise, avec Trésor, Girard, Tigana, Giresse, Lacombe et Soler.

Et n’oublions pas Santini !

Si on veut être vraiment complet, il y a un onzième international français dans cette équipe stéphanoise : c’est Jacques Santini. Il joue la moitié des matchs en championnat, mais il a été appelé deux fois en équipe de France en 1976-77, sans entrer en jeu. Il deviendra sélectionneur en 2002, gagnera la Coupe des Confédérations et obtiendra le plus grand pourcentage de victoires lors des deux ans de son mandat (79% !), hélas terminé par une défaite fatale contre la Grèce, en juin 2004. Techniquement, c’est donc lui le dernier Vert 1981 des Bleus.

Les champions de France 1981 en Bleu

JoueurPériode ASSEPériode FranceSel.
Gérard Janvion 1972-1983 1975-1982 40/40
Christian Lopez 1971-1982 1975-1982 39/39
Michel Platini 1979-1982 1976-1987 20/72
Jean-François Larios 1974-1983 1978-1982 17/17
Patrick Battiston 1980-1983 1977-1989 12/56
Jacques Zimako 1977-1981 1977-1981 9/13
Jean Castaneda 1980-1989 1981-1982 9/9
Laurent Roussey 1977-1983 1982 2/2
Jean-Louis Zanon 1977-1984 1983 1/1
Bernard Gardon 1980-1982 1973 0/1
Jacques Santini 1971-1981 2002-2004* 0/28*

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