Kevin Jeffries : « Griezmann finira par rejoindre Manchester United »

Publié le 14 avril 2017 - Bruno Colombari

Journaliste sportif franco-anglais, data editor pour Opta, traducteur de la biographie de Wenger, Kevin Jeffries nous parle des Bleus, de la Premier League, des rapports compliqués entre les deux et du LOSC de Bielsa.

7 minutes de lecture

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Quelle place occupent les Bleus dans ton histoire personnelle avec le foot ?

Une place prépondérante. L’Euro 1996 constitue d’ailleurs mon premier souvenir foot. J’avais à peine 7 ans et je me rappelle parfaitement en avoir terriblement voulu à Reynald Pedros. Je ne comprenais pas à l’époque comment on pouvait rater un tir au but alors qu’on était professionnel. Il m’a fallu du temps pour lui pardonner !


 

Je fais partie de cette génération qui a grandi avec les exploits des Bleus. Forcément, lors des déconvenues qui ont suivi l’Euro 2000, on ne pouvait qu’être déçu. Mon pire souvenir foot restera la finale de la Coupe du monde 2006. La démonstration collective face à l’Espagne, le récital de Zidane face au Brésil, l’épopée était tellement belle que je ne pouvais imaginer une autre issue que la victoire finale. Que ce soit cette finale ou celle face au Portugal, j’évite encore aujourd’hui de regarder les images.

Pour être très honnête, mon attachement à l’équipe de France, qui était déjà conséquent, s’est décuplé le soir du 13 novembre 2015, étant présent au Stade de France ce soir-là. Je ne sais trop comment l’expliquer, mais j’ai comme l’impression d’être lié d’une certaine manière à cette équipe, à ce maillot.

J’ai également eu la chance d’assister à la première sélection de Thierry Henry à Bollaert face à l’Afrique du Sud en 1997, à la dernière en France de Zinédine Zidane sous le maillot frappé du coq, face au Mexique au Stade de France... des souvenirs qui marquent, forcément. 

« ON A LA CHANCE D’AVOIR UN VIVIER OFFENSIF IMPRESSIONNANT »

 

Que penses-tu du renouvellement d’effectif à marche forcée impulsé par Deschamps depuis l’Euro ?

J’en suis plutôt satisfait. Certains éléments ont – enfin – perdu leur totem d’immunité, laissant de la place pour de nouvelles têtes. On sait pertinemment que le sélectionneur compte s’appuyer sur une colonne vertébrale Lloris-Koscielny-Pogba-Griezmann lors des prochaines échéances. Reste à savoir qui les accompagnera. L’alchimie entre jeunes et joueurs d’expérience est évidemment déterminante, a fortiori lors des matches à enjeu, mais je ne fais pas partie de ceux pour qui l’âge est le principal facteur.

Au contraire, on a la chance d’avoir un vivier offensif impressionnant, avec notamment deux immenses espoirs que sont Kylian Mbappé et Ousmane Dembélé. Plus vite on les intégrera, on leur donnera du temps de jeu, plus vite ils emmagasineront de l’expérience.

La transition entre les deux tournois internationaux est pour l’instant plutôt réussie. Il y a du potentiel à chaque poste, avec toutefois un bémol du côté des latéraux...

Tu viens de traduire la biographie d’Arsène Wenger signée John Cross  [1]. L’entraîneur d’Arsenal aurait-il pu devenir sélectionneur des Bleus ? Le voulait-il ?

Il aurait incontestablement pu le devenir. Etant donné sa réussite au début du siècle, j’imagine mal la Fédération Française de Football refuser sa candidature. D’ailleurs, la FFF lui aurait même proposé le poste à plusieurs reprises, en 2010 et en 2012, pour prendre la succession de Raymond Domenech ou celle de Laurent Blanc. Des propositions qu’il aurait refusées.

« Wenger a de très bonnes relations avec Nasser El Khelaifi »

 

Maintenant, est-ce qu’il l’a déjà souhaité, je ne le pense pas. C’est un amoureux de football, qui ne vit que pour le ballon rond. Il a fondamentalement besoin d’être au contact de son groupe jour après jour, d’avoir cette adrénaline des matches chaque semaine. Il aime ça par-dessus tout, d’où ses réticences à prendre sa retraite ou quitter son poste de manager d’Arsenal. 

Selon moi, si Wenger quittait l’Emirates, ce serait pour un autre club, comme il a failli le faire en 2015, lorsqu’il aurait pu succéder à Rafa Benitez sur le banc du Real Madrid. Il entretient également de très bonnes relations avec Nasser El Khelaifi, le président du Paris Saint-Germain. Je n’exclus pas de le voir un jour sur le banc du club francilien.

Présentée il y a quelques années comme l’eldorado pour les internationaux français, la Premier League a été pour beaucoup d’entre eux une sorte de trou noir. Comment l’expliques-tu ?

D’eldorado à faux espoirs... Beaucoup de joueurs n’y vont pas forcément pour les bonnes raisons, ils pensent davantage à l’aspect financier qu’au sportif. Ils rejoignent la Premier League, souvent dans un club moyen, en espérant que cette expérience fera office de tremplin pour la suite de leur carrière. Force est de constater que ça n’a que très rarement été le cas ces dernières années. N’Zonzi, Cabaye, Sissoko, Debuchy, Schneiderlin ont par exemple réussi à rejoindre un club plus huppé, avec des fortunes diverses.

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La puissance financière de l’élite britannique est la principale raison de ces échecs. Les clubs n’investissent plus sur un joueur en qui ils ont pleinement confiance, mais font désormais des paris. Ils ont tellement de moyens qu’ils recrutent à tour de bras. Si le joueur réussit, tant mieux, sinon on le prête ou le revend, quitte à perdre de l’argent. La versatilité du milieu, qui concerne également les entraîneurs n’aide évidemment pas. Un joueur peut être titulaire indiscutable une semaine puis être en réserve la semaine d’après si un nouveau manager débarque. C’est un championnat extrêmement compétitif, régi par l’argent où l’instantanéité prime sur la régularité.

« Paul Pogba devrait prendre une nouvelle dimension »

 

A défaut d’attirer les meilleurs joueurs du monde, qui sont plutôt en Liga, la Premier League est richement dotée en entraîneurs de haut niveau (Guardiola, Klopp, Mourinho, Conte, Pochettino, Wenger...). Peuvent-ils faire progresser les Bleus au profit de l’équipe de France ?

Le contraste est effectivement assez frappant. Si les meilleures équipes et individualités ne sont pas en Premier League, elle reste la plus compétitive selon moi, et c’est ce qui attire sans doute les plus grands techniciens.

Le championnat à lui seul permet à de nombreux joueurs de passer un palier, si le temps de jeu est en conséquence évidemment. D’un point de vue tactique, celui qui va le plus en profiter reste N’Golo Kanté qui côtoie un fin tacticien, plein de convictions, à savoir Conte. Il s’est adapté à cette nouvelle équipe, ce nouvel entraîneur, ces nouvelles exigences avec une facilité déconcertante. 

L’autre joueur qui devrait prendre une nouvelle dimension, ce fameux rôle de leader, au sein des Bleus, est Paul Pogba. Déjà très complet en arrivant en Premier League, le fait de (re)découvrir ce championnat va lui permettre d’étoffer son jeu, notamment physiquement. Il lui manque encore ce côté décisif, tueur, pour faire partie des tout meilleurs. Je l’imagine bien prendre le brassard chez les Red Devils et chez les Bleus d’ici un ou deux ans.

On remarquera enfin que les Bleus ne proviennent plus majoritairement de la Premier League, les places se faisant chères au sein des grosses écuries britanniques.

« J’espère que Rabiot, Dembélé et Mbappé ne partiront pas »

 

Griezmann, Mbappé, Rabiot, Dembélé, Coman, Varane : quels internationaux français auraient intérêt à venir dans un club anglais pour progresser ?

Question tout sauf évidente à répondre... La plupart des Bleus jouent déjà dans de bons, voire de grands clubs. Partir cet été reste un risque considérable pour tous ceux qui sont installés, étant donné que le mondial 2018 se profile à l’horizon.

Je suis convaincu qu’Antoine Griezmann finira par rejoindre la Premier League et Manchester United, la présence de Paul Pogba jouant un rôle déterminant. D’un point de vue footballistique, s’adapter à un nouveau championnat est très compliqué, mais il n’en sortirait que grandi, même s’il est l’un des joueurs actuels les plus complets à mon sens. S’il venait à rejoindre les Red Devils, on peut aisément imaginer des complémentarités et complicités encore plus prononcées entre les deux hommes.

J’espère sincèrement que les très jeunes joueurs comme Dembélé, Mbappé ou Rabiot, qui disposent d’un temps de jeu conséquent dans leur club respectif, ne partiront pas. Ils pourront ainsi emmagasiner de l’expérience, de la confiance, eux qui jouent également sur la scène européenne. Combien de jeunes joueurs sont partis très jeunes pour ensuite s’en mordre les doigts ?

Certains cas sont épineux, comme celui de Coman, révélation de la saison 2015/16, à l’instar de Martial, qui n’a pas su confirmer par la suite. Un prêt ou un transfert pourrait être salvateur pour lui. Retrouver Guardiola pourrait lui donner un nouvel élan par exemple.

Reste Varane, l’un des plus gros espoirs tricolores à son poste de ces dernières années, parti très tôt dans un club de légende, qui peine toujours à confirmer et à s’installer. Ajoute à cela des blessures récurrentes et tu obtiens un véritable point d’interrogation. Rejoindre la Premier League pourrait lui être bénéfique, lui qui a besoin d’être plus « méchant » dans les duels. Maintenant, les sirènes de la Premier League étant telles, on risque d’avoir quelques surprises !

« Le projet de Lille s’apparente à celui de Monaco »

 

Tu es supporter du LOSC. L’équipe de Marcelo Bielsa et Gérard Lopez privilégiera-t-elle les stars étrangères ou tentera-t-elle de faire revenir des internationaux français (Debuchy, Cabaye, Rami) comme l’a fait l’OM ?

Ce qu’a fait l’Olympique de Marseille concerne autant le football que la communication. Recruter Payet est un gros coup autant sur le plan sportif que sur le marketing. On peut avoir des doutes concernant Evra et son intérêt sportif en revanche.

Toujours est-il que je ne pense pas que ce sera le cas avec le LOSC de Bielsa. Evidemment, le retour de joueurs emblématiques ferait extrêmement plaisir aux supporters loscistes, mais connaissant le personnage, qui n’a que faire de la communication, je n’y crois pas. Seul le sportif compte, lui dont le rêve est de suivre de jeunes joueurs de la formation aux professionnels. 

Il y aura sûrement un ou deux joueurs de renom qui rejoindront les Dogues, des éléments qui « porteront » le projet. Les autres recrues seront des jeunes joueurs à fort potentiel, majoritairement étrangers, susceptibles de dégager une plus-value conséquente pour le club. La patte Bielsa conjuguée au réseau de Luis Campos laissent présager de belles choses.

Ce nouveau projet s’apparente plus à celui de l’AS Monaco, qui a recruté Falcao, Moutinho et James Rodriguez comme figures de proue du projet, tout en recrutant de jeunes joueurs (Traoré, Sidibé, Bernardo Silva, Saint-Maximin, Rony Lopes, Boschilia etc.) et en s’appuyant sur des éléments du centre de formation (Almamy Touré, Mbappé, Cardona).

Il y a de fortes chances que ça ne plaise pas aux romantiques du football, mais ce rachat était nécessaire pour la pérennité du club.

« Un data editor travaille pour chaque match des Bleus »

 

En quoi consiste ton travail pour Opta ? Suis-tu plus particulièrement l’équipe de France ?

Opta a des analystes en Angleterre qui enregistrent les données d’innombrables rencontres, celles-ci sont quasi-instantanément dans la base de données, extrêmement complète (heatmap, pourcentage de passes réussies, dribbles tentés, ballons récupérés, etc), à laquelle nous, les « Data Editor » – on est six pour la France – avons accès. Le plus gros de notre travail consiste à répondre à des requêtes de clients, concernant tel joueur ou tel équipe, sur une période déterminée, dans une ou plusieurs compétitions. A nous de trouver les statistiques les plus pertinentes ensuite en s’appuyant également sur notre culture foot.

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On réalise également des Opta Facts, avant et après les rencontres de Ligue 1, coupes d’Europe et matches des Bleus – qui ressemblent sensiblement à ce qu’on peut trouver sur le compte Twitter OptaJean – pour nos clients, qui vont de clubs à chaînes de télévision en passant par la presse. Ces facts concernent par exemple des séries (de victoires, défaites, passes décisives etc.) ou des premières (premier but depuis, premier carton rouge depuis).

On travaille également les soirs de match de l’équipe de France. Il y a donc un Data Editor qui travaille pour chaque match des Bleus, qui délivre des informations aux clients en temps réel, alimente le compte Twitter et envoie des Opta Facts avant et après la rencontre. Là-aussi, on dispose d’outils détaillés et complets qui nous permettent de trouver les informations assez rapidement.

[1A paraître le 26 avril aux éditions Talent Sport.

Portfolio

Entre 1904 et 1919, 128 internationaux ont porté au moins une fois le maillot de l’équipe de France. Si leur carrière internationale est la plupart du temps anecdotique, leur vie est souvent romanesque.

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Hommage à Pierre Cazal