Un peuple et son football, une histoire sociale

Publié le 18 septembre 2024 - Bruno Colombari

Troisième livre (aux éditions du Détour) signé François da Rocha Carneiro, sous la forme d’une histoire sociale du football en tant qu’objet de culture. Attendez-vous à être surpris !

3 minutes de lecture

Il y a longtemps qu’à Chroniques bleues, nous suivons le travail de François da Rocha Carneiro. Depuis plus de six ans, à l’occasion de la soutenance de sa thèse sur l’histoire de l’équipe de France, la première du genre. François a participé d’ailleurs à la rédaction, même si on aimerait que ce soit plus fréquent.

Après la thèse (janvier 2019), il a publié un ouvrage sur la Coupe du monde (Les Bleus et la Coupe : de Kopa à Mbappé en 2020) et un autre sur les imbrications entre l’histoire nationale et celle du football (Une histoire de France en crampons en 2022), à chaque fois aux éditions de Détour. En septembre 2024 sort son troisième livre, Un peuple et son football (206 pages, 19,90 euros), toujours chez le même éditeur.

Pulvériser les évidences

Encore une fois, François da Rocha Carneiro pratique l’art du contre-pied, de feinte de corps et de la passe aveugle, qui font de chacun de ses livres une occasion de s’étonner, d’apprendre et parfois de penser contre soi-même et de pulvériser les évidences. Son point de départ est simple : contre les affirmations disant que « le foot, ce n’est pas de la culture » et que « la France n’est pas un pays de foot », il explique le contraire en quatre parties comme toujours précises et documentées sur le fond, même si la forme n’exclut pas une certaine forme de chambrage.

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L’originalité de son propos, c’est de s’attacher à porter un regard historien sur les mythes et les légendes qui construisent le football en tant que culture. Parmi ces légendes populaires, l’historien n’hésite pas à déboulonner quelques statues, et notamment celles de deux clubs qui viennent immédiatement à l’esprit quand on parle de football populaire : le FC Sochaux et le RC Lens.

Le premier est monté de toutes pièces (c’est le cas de le dire) par le constructeur automobile Peugeot, à la fin des années 1920. « Contrôle paternaliste des masses par l’exercice des corps et par l’organisation des loisirs d’une part, promotion de la marque autant que de son territoire d’autre part, le proogramme de l’industriel est limpide ».

Mais à partir de 2008, la stratégie change : pour Peugeot, qui organise sa montée en gamme, le football n’est plus porteur. Le club est vendu à un groupe chinois en 2015, qui le revend à un autre en 2019, et la descente aux enfers commencent. A l’été 2023, avec 20 millions d’euros de dettes, le club est au bord du dépôt de bilan. Il sera finalement sauvé in extremis par une levée de fonds menée par des industriels locaux et 11 000 supporters, réunis dans l’association Sociochaux.

Lens, un club patronal

Le chapitre consacré au RC Lens va sûrement beaucoup faire parler, tellement il prend le contre pied de ce qui est communément qualifié de « club populaire » et de « meilleur public de France ». On sent, derrière ces lignes mordantes, poindre la rivalité avec Lille (dont l’auteur assume son statut de supporter), mais l’argumentation est comme toujours sérieuse et étayée par les faits. Lens, comme l’était Sochaux, est à l’origine un club patronal, dont le stade, qui porte le nom d’un directeur de la société des mines (Félix Bollaert), a été construit « par des mineurs de la fosse 5, alors au chômage en raison de la crise et de la mévente du charbon » (on est au début des années 1930).

Après guerre, le club sera soutenu par les municipalités communistes puis socialistes, qui œuvreront à son maintien ou son retour dans l’élite pour compenser « les effets cataclysmiques de la disparition annoncée des mines ». puis le club entre dans l’ère ultralibérale incarnée par Gervais Martel à la fin des années 1980, puis un industriel azéri (Hafiz Mammadov) en 2013, et enfin l’homme d’affaires français installé à Londres Joseph Oughourlian en 2018. On est loin des corons chantés par Pierre Bachelet…

Le FC Sochaux le 26 février 1933 au Parc des Princes (photo agence Rol/BNF Gallica)

De Raoul Diagne à Kylian Mbappé

La partie consacrée au mépris de classe évoque les attaques constantes, sur plus siècle, dont ont été victimes les footballeurs ayant des origines familiales étrangères. Si l’on a en tête les polémiques sur la Marseillaise agitée par le Front national, ou sur la grève des Bleus à Knysna en 2010, François da Rocha revient sur les propos sordides à l’endroit de Raoul Diagne, de Gusti Jordan ou de Joseph Ujlaki, jusque aux messages ignobles sur Kylian Mbappé après son match contre la Suisse à l’Euro 2021.

Il est aussi question, dans Un peuple et son football, du populaire Thierry Roland (dont on verra que ses origines ne le sont pas vraiment, sans même parler de ses opinions), d’un derby Lille-Lens en 1946 avec un effondrement de toiture qui donne lieu à une étonnante ethnologie de quelques spectateurs présents, des raisons pour laquelle la région Ile-de-France irrigue littéralement le football international, de Vincent Lindon et sa mobilisation à géométrie variable contre le Qatar ou du public marseillais au stade vélodrome et sa répartition géographique dans les tribunes. Attendez-vous à être surpris.

Les chapitres consacrés au « masculin populaire », du conscrit au père de famille exemplaire posant avec femme et enfants, et à la place de l’alcool, interdit dans les stades sauf dans les loges, sont eux aussi très riches et constituent quasiment des sujets à part entière qu’on aimerait voir explorer plus en détail. Chaque livre de François da Rocha Carneiro est une sorte de fractale de son travail initial, sa thèse, et porte en lui des sujets à venir.

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Hommage à Pierre Cazal