Du foot et des jeux, une histoire olympique du football

Publié le 11 juillet 2024 - Bruno Colombari

A côté du cent mètres, de la natation, de la perche ou du handball, le foot a un peu de mal à exister aux JO. Mais son histoire olympique est bien plus riche qu’on ne l’imagine. Richard Coudrais nous la raconte dans un livre publié par Lucarne Opposée.

4 minutes de lecture

C’est une si belle idée qu’elle donne parfois envie d’en faire autant : partir d’un site internet et finir sur l’édition de livres papier, lesquels survivront longtemps à l’obsolescence numérique qui nous guette à moyen terme (Fred Vargas la situe à l’horizon 2040, autant dire demain). Et quiconque a passé deux ou trois heures à lire 200 pages sur écran au format pdf sera toujours reconnaissant à Gutenberg d’avoir inventé l’imprimerie.

Tout ça pour dire que les éditions Lucarne Opposée issues du site éponyme sortent leur sixième livre [1], et que ce dernier est écrit par un des auteurs de Chroniques bleues, Richard Coudrais. Du foot et des Jeux, une histoire olympique du football, dit tout de son projet dès le titre. Il propose non pas de zoomer sur un tournoi précis et de le disséquer en entomologiste nostalgique (c’était le projet d’Espagne 82, la Coupe d’un monde nouveau, Solar 2022), mais de décrire avec minutie la strate football dans la roche olympique, comme le ferait un géologue curieux.

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Des changements de formule qui nuisent à la lisibilité

Pour les amateurs de football, les JO sont un événement intercalaire entre deux Coupes du monde, et l’année du championnat d’Europe. C’est aussi l’occasion de se changer les idées entre deux saisons de club, un peu comme avec le Tour de France. Et de suivre assez distraitement le tournoi de foot, à côté des épreuves reines de l’athlétisme. Il faut dire que les nombreux changements de formule dudit tournoi n’aident pas à sa lisibilité : ouvert à toutes les sélections jusqu’en 1928, puis réservé aux amateurs et monopolisé par les pays du bloc soviétique après-guerre, puis à nouveau ouvert aux professionnels depuis 1984 et soumis à des critères d’âge depuis 1992, le foot au JO ne ressemblait pas à grand chose.



Mais son histoire a pourtant beaucoup à nous raconter, pour peu qu’on s’y attache. C’est ce qu’a fait Richard Coudrais, avec son style que les lecteurs de Chroniques bleues connaissent bien (il a écrit plus de 200 articles depuis 2019) mais qui trouve, dans le format long d’un livre de 372 pages, l’espace pour se déployer. La lecture est comme toujours très fluide, avec une légèreté de ton réjouissante, comme lorsque il raconte le tout premier match de football olympique de l’histoire des jeux, le 12 avril 1896 au Neo Phaliron vélodrome du Pirée, tout en ponctuant son récit d’un définitif « quelle importance doit-on accorder à une rencontre qui semble finalement n’avoir bien opposé qu’une équipe de cyclistes grecs à des touristes danois ? »

  • L’Auto du 10 juin 1924 (BNF, Gallica)

La naissance au monde de l’Uruguay

C’est presque résumer tout l’intérêt de ce livre : sous une apparence anecdotique et secondaire, le football olympique a pourtant beaucoup apporté au football et à l’olympisme, sous des formes qu’on découvre au fil des chapitres. Car il n’y a pas eu que des cyclistes grecs et des touristes danois aux JO. C’est là qu’est née aux yeux du monde, et notamment des Européens qui pensent avoir tout inventé, l’infinie richesse du football sud-américain. C’était il y a tout juste un siècle, avec une sélection uruguayenne pétrie de talents et déjà métisse par son meneur de jeu José Léandro Andrade.

C’est aussi là que le sélectionneur italien Vitorrio Pozzo a réussi un remarquable triplé entre 1934 et 1938 (deux titres mondiaux encadrant une médaille d’or olympique aux JO de 1936) avec 59 joueurs différents. Là que, dans un brassage bien supérieur à celui de la Coupe du monde, se montrent des sélections étonnantes, comme celle d’Inde, tout juste indépendante en 1948 (et à Londres, qui plus est) et dont les joueurs évoluent les pieds nus, à peine protégés des crampons français par du sparadrap. Ou encore les Antilles néerlandaises en 1952 (alors encore colonies des Pays-Bas), éliminées par la Turquie malgré un but du Curacien Juan Briezen, « qui reste pour l’éternité le seul buteur olympique de l’histoire du pays ».

Un Italien à lunettes, un Coréen japonais et une Canadienne transgenre

Car sans cesse, Richard Coudrais ouvre et ferme la focale entre la grande histoire (et ses incidences géopolitiques, encore plus présentes aux JO qu’en Coupe du monde) et la vie de ceux qui la font, du Prince Georges de Grèce et du Danemark qui arbitra le fameux premier match de foot olympique évoqué plus haut à Quinn, footballeuse canadienne transgenre non-binaire et médaillée d’or en 2021 en passant par l’entraîneur-joueur égyptien Hussein Hegazi, étudiant à Cambridge, l’attaquant italien Annibale Frossi, qui jouait en 1936 avec des lunettes retenues par un élastique ou le Coréen Kim Yonk-sik en 1948 qui avait participé aux JO de 1936 avec le Japon sous le nom de Kit Yōshoku…

Mais l’épreuve olympique de football a aussi vu passer de grands joueurs, comme l’Uruguayen Andrade, on l’a vu, mais aussi l’Espagnol Ricardo Zamora, le Soviétique Eduard Streltsov, le Hongrois Ferenc Puskás, les Brésiliens Ronaldo et Neymar, l’Argentin Lionel Messi ou les Américaines Mia Hamm, Hope Solo et Megan Rapinoe. Car depuis 1996, le tournoi de football se décline au féminin, et comme là ce sont les meilleures joueuses du monde qui s’affrontent, la concurrence avec la Coupe du monde de la catégorie est féroce. Richard Coudrais raconte aussi ces tournois-là, ainsi que, dans un souci d’exhaustivité, l’épreuve paralympique qui existe depuis 1984 avec, à l’origine, un tournoi de foot à sept en fauteuil roulant.

En attendant 2024

Autant dire qu’à quelques jours de l’édition 2024 à Paris, ce livre ne pouvait pas mieux tomber pour suivre de près un tournoi où l’équipe de France dirigée par Thierry Henry sera très attendue, après un Euro déprimant et avare en coups d’éclat. Pour les 18 joueurs qui la composent, l’enjeu est aussi de prendre la lumière et, qui sait, de se faire une place en A dans la perspective de la Coupe du monde 2026…

pour finir...

Richard Coudrais, Du foot et des Jeux, une histoire olympique du football, éditions Lucarne Opposée, 372 pages, 24 euros. A commander sur le site de Lucarne Opposée.

[1après ceux consacrés à Garrincha, au foot brésilien, à Bielsa et aux matchs Argentine-Angleterre 1986 et Uruguay-Brésil 1950.

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