Richard Coudrais : « Il est clair que Thierry Henry a marqué des points grâce à ce tournoi »

Publié le 12 août 2024 - Bruno Colombari - 1

On l’avait interrogé il y a quelques semaines, au moment de la sortie de son livre « Du foot et des jeux » (éditions Lucarne Opposée). Au terme du tournoi olympique qui a vu l’Espagne battre la France (encore), il restait de nombreux points à évoquer avec Richard Coudrais.

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Un France-Espagne au Parc en finale du tournoi olympique, 40 ans après les finales de 1984, voilà un curieux clin d’œil ! Était-ce prévisible il y a trois semaines ?

Richard Coudrais : Le propre des tournois olympiques de football est que l’on dégage difficilement un favori avant les premiers matchs. Les sélections sont limitées à des joueurs de moins de 23 ans, avec une exception pour trois qui peuvent être plus âgés. Cela donne donc des équipes hétéroclites dont on mesure mal le potentiel. L’équipe de France était naturellement favorite puisqu’elle jouait à domicile et que les sélections françaises, en règle générale, sont toujours très fortes à la maison. L’Espagne a rapidement démontré qu’elle ferait un vainqueur crédible. J’avais même pensé qu’elle pourrait devenir le premier pays à réaliser le doublé hommes-femmes, car leur équipe féminine, que j’ai pu voir à Nantes, pratiquait également un bon football. Elles étaient championnes du monde en titre mais ont finalement terminé au pied du podium.

L’équipe d’Argentine était également citée parmi les favorites du tournoi masculin, parce que ses équipes de jeunes sont toujours très fortes et qu’elle compte déjà deux médailles d’or à son palmarès (2004 et 2008). Pour ce qui est du clin d’œil, c’est vrai qu’une finale France-Espagne au Parc des Princes, ça rappelle l’Euro 1984. Surtout avec une faute de main du gardien espagnol qui permet aux Français d’ouvrir le score…

Cette finale très spectaculaire est-elle caractéristique des JO, par rapport aux finales souvent fermées en Coupe du monde ou à l’Euro ?

On a en effet assisté à une très belle finale, avec des buts et un scénario fou. L’histoire des JO compte quelques belles finales, comme le Nigeria-Argentine de 1996, mais aussi Cameroun-Espagne en 2000 et Espagne-Pologne en 1992 (on remarquera que l’Espagne est souvent présente). Mais je pense que les JO ne comptent ni plus ni moins de bons matchs que la Coupe du monde ou les compétitions continentales. Au Parc, la finale opposait deux équipes animées d’un esprit offensif, le score a été ouvert assez rapidement, ce qui augure généralement d’un bon match.

Peut-on comparer les contraintes avec lesquelles Henry a dû composer cette année avec celles de Michel en 1984 ?

Bien sûr que non. La seule contrainte d’Henri Michel, en 1984, était de vérifier que les joueurs qu’il appelait n’avaient pas disputé de matchs de Coupe du monde. Il n’avait pas de limite d’âge. Thierry Henry a dû faire appel à des joueurs de moins de 23 ans avec les trois exceptions réglementaires. Mais en plus, il a dû composer avec le refus de certains clubs de libérer leurs joueurs. Même Kylian Mbappé, qui avait manifesté haut et fort son désir de participer à cette aventure olympique, a été empêché par le Real Madrid. Cela devient un gros problème, d’autant que toutes les sélections ne sont pas logées à la même enseigne. En 1984, Henri Michel piochait dans les clubs du championnat de France et tous étaient ravis que leurs joueurs aillent à Los Angeles, même s’ils manquaient la préparation pour la saison 1984-1985 (la première journée du championnat avait eu lieu six jours après la finale du Rose Bowl).

Finalement, compte tenu de ce qui s’est passé pendant cette quinzaine olympique pour les Bleus, doit-on regretter les absences de Griezmann ou Mbappé, alors que l’Espagne gagne la finale avec deux champions d’Europe buteurs ?

Vu la performance des deux hommes à l’Euro, on peut s’interroger sur ce qu’ils auraient vraiment pu apporter dans l’équipe olympique. D’une manière plus générale, les sélectionneurs aujourd’hui privilégient les apports utiles plutôt que les vedettes. L’équilibre d’un effectif est quelque chose de fragile. C’est surtout sur le plan médiatique que la présence des Mbappé ou Griezmann aurait apporté un petit plus. Un peu comme Antoine Dupont dans le rugby à 7.

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« Dans l’absolu, tous les sports ont leur place aux JO, d’autant que le CIO ne semble pas songer à réduire la voilure. »

D’ailleurs, face au succès populaire du rugby à 7, certains ont émis l’idée que le futsal aurait eu plus sa place aux Jeux que le foot classique. Qu’en penses-tu ?

Oui, je l’ai beaucoup entendu également et je soupçonne un lobby pour transformer le futsal en discipline olympique. Pourquoi pas, en effet, puisque nous avons déjà le rugby à 7, le basket 3x3, le beach-volley… Cela dépend de la perception que l’on a des Jeux olympiques. Est-ce que les Jeux doivent servir à donner de la visibilité à des sports peu médiatisés ? Ou au contraire doivent-ils privilégier les disciplines qui ont une tradition bien implantée ? Depuis toujours la place du football aux Jeux olympiques est discutée, comme celle du tennis, du cyclisme sur route, et de quelques autres, parce que l’or olympique n’est pas la priorité des champions (ils préféreront toujours la Coupe du monde, Wimbledon ou le Tour de France…). Le foot peut garder sa place tout en accueillant le futsal (et pourquoi pas le beach soccer). Dans l’absolu, tous les sports ont leur place aux JO, d’autant que le CIO ne semble pas songer à réduire la voilure. Toutefois, même olympique, un sport mineur reste un sport mineur. Qu’on ne veuille ou non, une médaille en athlétisme, en gymnastique ou en natation aura toujours plus de valeur que celle d’une autre discipline.

Le tournoi aura aussi été l’occasion de voir deux équipes africaines, le Maroc et l’Egypte, se disputer la médaille de bronze après avoir livré deux beaux matches en demi-finale. L’Afrique est-elle de retour ?

Le Maroc a conquis son premier podium olympique en football, deux ans après avoir placé son équipe A en demi-finale de la Coupe du monde. Le football marocain vit une période exceptionnelle et doit désormais confirmer. L’Egypte m’a surpris, car j’ai vu ses deux premiers matchs à la Beaujoire et j’avais trouvé des Pharaons peu inspirés contre des adversaires de faible valeur (la République Dominicaine et l’Ouzbékistan, qui participaient tous deux à leur premier tournoi olympique). Ils ont su me faire mentir par la suite en battant le futur vainqueur (l’Espagne, 2-1) puis en poussant la France à la prolongation en demi-finale. On oubliera leur dernier match et ce 0-6 anecdotique contre le Maroc. Il faut croire que Nantes ne leur convient pas.

L’Egypte est l’un des pays qui a le plus souvent participé au tournoi des JO. C’était sa 13e participation (autant que la France, pour se donner une idée) mais elle n’est jamais monté sur le podium. C’est la troisième fois qu’elle perd le match pour la médaille de bronze (1928, 1964 et 2024). Les performances du Maroc et de l’Egypte sont encourageantes pour le football africain, qui compte déjà deux médailles d’or dans un passé récent (le Nigeria en 1996 et le Cameroun en 2000) et désormais six podiums. L’avenir nous dira s’il ne s’agit que d’un épisode ou du début d’une nouvelle ère.

L’engouement du public pour ce tournoi, excentré (comme la voile, le surf ou le tennis) et donc loin du cœur des Jeux, est-il une surprise, notamment par rapport aux précédentes éditions ?

Il est assez difficile de trouver les affluences des rencontres et pour cause, le CIO ne les divulgue pas. Probablement parce qu’elles ne sont pas à la hauteur de ce qui était attendu. Personnellement j’ai assisté à plusieurs rencontres où le stade était à moitié vide malgré un prix des places beaucoup plus abordable que les autres disciplines (et qu’en championnat de France). D’après les infos que j’ai pu trouver, le premier tour a réalisé la pire moyenne de spectateurs de ces dernières années (hormis bien entendu le tournoi de Tokyo en 2021 disputé pendant la pandémie). A confirmer. Les équipes de France ont joué devant une forte affluence, le Parc des Princes a souvent été bien garni, mais les autres matchs n’ont attiré que quelques curieux. Il y a de quoi être déçu, d’autant que le foot a toujours été considéré comme la discipline qui donnait la meilleure recette aux Jeux.

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« Quarante ans après, l’Espagne réalise ce que la France avait fait en 1984 »

La médaille d’argent inattendue des Bleuets (L’Équipe ne les voyait même pas sur le podium) pourrait-elle rebattre les cartes de la succession de Deschamps chez les A ?

Pour ma part, cette médaille d’argent n’était pas inattendue. Philippe Diallo, le président de la FFF, avait annoncé un podium au minimum et le sélectionneur Thierry Henry avait clairement affiché qu’il voulait l’or. Je pense qu’on aurait été déçu si les Bleuets n’avaient pas atteint les demi-finales. Il est clair que Thierry Henry a marqué des points grâce à ce tournoi. Son équipe a pratiqué un jeu offensif, alerte, agréable (suivez mon regard…) et a failli remporter l’or. Son parcours d’entraîneur, jusqu’alors, était assez mitigé, mais il a prouvé qu’il était capable de conduire une sélection dans un grand tournoi. C’est un candidat crédible pour l’éventuelle succession de Didier Deschamps.

Hervé Renard, le sélectionneur de l’équipe féminine, a plutôt perdu des points, en ne parvenant pas à emmener son équipe au-delà des quarts. Il connaît beaucoup de succès avec les sélections étrangères mais ne semble pas prophète en son pays (il a également dirigé, sans succès, Lille et Sochaux). Je ne sais pas s’il envisageait l’équipe de France A, mais cela ne sera sans doute pas pour bientôt. A moins qu’il remporte la Coupe du monde 2026 avec la sélection qu’il dirigera.

Après avoir remporté l’Euro en A et avec les U19, l’Espagne est championne olympique, le tout en seulement un mois. Est-ce l’annonce d’une hégémonie de la Roja pour les années à venir ?

Quarante ans après, l’Espagne réalise ce que la France avait fait en 1984 : championne d’Europe puis championne olympique. On peut même ajouter le titre U19 dans la comparaison puisqu’en 1984, l’équipe de France junior était championne d’Europe en titre… Il faut souhaiter à l’Espagne qu’elle ne subisse pas le même destin immédiat que le foot français de l’époque, qui avait lourdement chuté après 1986. Cela ne sera probablement pas le cas.

Le football espagnol est l’un des plus performants du monde. Les filles sont toujours championnes du monde en titre, même si elles ont un peu manqué leurs JO. La Liga est l’un des championnats les plus relevés du monde. Il y a un gros travail de formation et une philosophie de jeu à travers laquelle se retrouvent tous les joueurs/joueuses, quel que soit le club d’où ils/elles proviennent. A tous les niveaux, l’Espagne devient un favori naturel pour toutes les compétitions de football, comme l’ont longtemps été, par exemple, le Brésil ou l’Allemagne.

« Los Angeles, c’est d’abord une ville-clé de l’histoire du football olympique. »

Les féminines françaises ont une fois de plus déçu en étant éliminées dès les quarts de finale par le Brésil, contre lequel elles étaient invaincues. Le plafond de verre, qui se situait en demi-finale il y a encore 12 ans, est descendu en quarts depuis 2014. Les JO n’étaient-ils pas une opportunité de faire mieux qu’à l’Euro ou qu’en Coupe du monde ?

Oui, on attendait beaucoup des Bleues et leur élimination en quarts de finale a été cruelle. Leur premier tour à été chaotique, où elles ont alterné du jeu intéressant et des périodes plus compliquées. Face au Brésil, elles ont manqué de réussite (un penalty raté, des tirs sur les montants, une erreur défensive immédiatement exploitée par l’adversaire…). Il y a peut-être une réflexion à porter sur l’encadrement et le coaching, sur la gestion mentale d’un événement. Le football féminin en France semble encore en phase de découverte du plus haut niveau. Du moins en ce qui concerne la sélection.

Les prochains JO auront lieu à Los Angeles en 2028, deux ans après la Coupe du monde aux États-Unis. Que nous disent les précédents enchaînements des deux événements sportifs dans le même pays, pour le football ?

Los Angeles, c’est d’abord une ville-clé de l’histoire du football olympique. Les Jeux de 1932 sont les seuls qui n’ont pas accueilli de tournoi de football et ceux de 1984 sont (officiellement) les premiers à avoir accueilli des joueurs professionnels. Les États-Unis ont déjà enchaîné l’organisation des Jeux à la suite de la Coupe du monde, avec Atlanta 1996 qui a suivi la World Cup 1994. Le Brésil a fait de même vingt ans plus tard avec le mondial 2014 suivi de Rio 2016. Dans le passé, le Mexique (1968-1970) et la RFA (1972-1974) avait fait l’enchaînement inverse, Jeux olympiques puis Coupe du monde.

A Atlanta, en 1996, l’équipe du Nigeria s’est imposée après avoir été remarquable en 1994. Il disposait d’une génération incroyable et d’un jeu très spectaculaire. A Rio, en 2016, le triomphe du Brésil a permis de digérer le traumatisme de 2014 et le fameux 7-1 encaissé devant l’Allemagne en demi-finale, d’autant que l’or olympique a été remporté en battant l’Allemagne en finale. Pour 2028, on espère qu’au moins une équipe de France sera présente et qu’elle retrouvera le chemin de la finale, comme en 1984. Car malheureusement, cela reste à ce jour notre seul titre olympique de football.

pour finir...

Richard Coudrais, Du foot et des Jeux, une histoire olympique du football, éditions Lucarne Opposée, 372 pages, 24 euros. A commander sur le site de Lucarne Opposée.

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