Depuis un an, il m’avait parlé de ce travail et j’ai pu suivre les différentes étapes de son avancement, jusqu’à sa recherche d’un éditeur, en l’occurrence Lucarne Opposée. Du foot et des jeux (372 pages, 24 euros) est disponible sur commande, et Richard Coudrais, auteur de 203 articles sur Chroniques bleues, plus quelques uns encore à paraître dans les prochaines semaines, a pris le temps de répondre à mes questions.
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Lire l’article Du foot et des jeux, une histoire olympique du football
L’histoire des JO a été largement racontée ces dernières années. Comment t’es venue l’idée de mettre un coup de zoom sur le foot aux JO, alors même que c’est loin d’être la discipline sportive qu’on associe spontanément aux olympiades ?
RICHARD COUDRAIS : C’est justement ce qui a suscité ma curiosité : le football est le sport le plus populaire du monde et les JO le rendez-vous sportif le plus attendu de la planète. Et paradoxalement, le tournoi olympique de football semble n’intéresser personne. Il y a très peu d’ouvrages qui ont traité le sujet (hormis “Le football olympique” de Frédéric Gassmann en 1979 aux éditions FFF/Famot). C’est pourtant un sujet passionnant car à chaque édition des Jeux, la légitimité du football est remise en cause. Le football olympique a toujours été confronté à des rivalités, entre amateurs et professionnels, entre CIO et FIFA, entre Européens et Sud-Américains.
Il a pourtant une place fondamentale dans l’histoire du jeu, notamment dans les années 1920 où le tournoi était considéré comme le championnat du monde du football. Il connaît alors un tel succès, notamment à Paris en 1924, que la FIFA décide de créer sa propre Coupe du monde. Le football est également la discipline qui attire le plus de monde dans les stades et qui assure une bonne partie de la recette des Jeux. C’est pour cette raison qu’il a survécu à toutes les éditions (hormis en 1932). Mais il est vrai que médiatiquement, ce tournoi passe au second plan. Il a longtemps été interdit aux professionnels, puis aux joueurs qui avaient disputé la Coupe du monde et aujourd’hui aux joueurs de plus de 23 ans (à trois exceptions près). Alors que les autres disciplines convoquent leurs meilleurs champions, le football olympique n’oppose que des seconds couteaux.
Dans tes recherches, qu’as-tu découvert de plus surprenant, quelque chose auquel tu ne t’attendais pas ?
L’histoire du football olympique regorge de petites anecdotes. Dans les premières éditions, on voit apparaître sur les pelouses des joueurs dont on ignore qu’ils deviendront un grand mathématicien ou un aventurier des mers. J’ai également découvert que la frontière entre pro et amateurs a souvent été floue, que les Britanniques n’ont pas toujours été ravis de voir se développer le jeu qu’ils avaient inventé, que certains matchs historiques de la Coupe du monde avaient eu un précédent au sein des Jeux. J’ai également beaucoup appris sur l’histoire et la géopolitique. Enfin, travailler avec Nicolas Cougot, qui est un grand connaisseur de l’histoire du foot, a également été très enrichissant.
« Le tournoi des JO attribue par continent des places proportionnellement au nombre de pays inscrits »
A la différence de la Coupe du monde, dont le format longtemps très fermé a réservé ses finalistes dans un cercle très restreint de nations européennes (10) et sud-américaines (3), le tournoi olympique de football a été beaucoup plus ouvert aux autres continents. Pourquoi ?
Il y a plusieurs raisons. En premier lieu, le niveau des équipes amateurs ou espoirs est très fluctuant, il dépend souvent d’une génération. Cela donne des tournois plus ouverts. En second lieu, le tournoi des JO attribue par continent des places proportionnellement au nombre de pays inscrits et pas, comme en Coupe du monde, selon les performances passées. Par exemple, en 2024, sur les seize qui participent au tournoi masculin, il n’y a que quatre équipes européennes et deux sud-américaines, et c’est à peu près pareil chez les femmes. La forte présence des autres continents a ouvert le chemin aux nations africaines (le Nigeria 1996 et le Cameroun en 2000) mais aussi asiatiques chez les femmes (Chine et Japon en finale en 1996 et 2012).
Tu consacres une part non négligeable au tournoi féminin, qui existe aux JO depuis 1996. Dans quelle mesure sa place et son prestige sont-ils différents que ceux du tournoi masculin, et entre-t-il frontalement en concurrence avec la Coupe du monde féminine ?
Ce qui renforce l’intérêt du tournoi féminin par rapport au tournoi masculin est qu’il n’y a aucune limitation dans les effectifs. Ce sont les meilleures filles du monde qui participent aux Jeux. Toutes les vedettes sont présentes. La médaille d’or devient donc un objectif prioritaire et il dépasse peut-être même la Coupe du monde féminine. Je crois que grâce aux filles, la présence du football aux JO ne se discute plus.
« Le podium final était systématiquement occupé par trois nations de l’Est »
Dans les années 1950 à 1970, le tournoi est largement dominé par les équipes issues du bloc soviétique, lesquelles brillent aussi au championnat d’Europe mais très peu en Coupe du monde, avec seulement deux finales en 1954 (Hongrie) et 1962 (Tchécoslovaquie). Pourquoi ?
Les pays du bloc communiste ont intégré les JO à partir de 1952. Dans le même temps, le tournoi de football était limité aux footballeurs amateurs. Seulement, dans les pays de l’Est, la notion de professionnel n’existait pas. Les internationaux avaient un statut militaire que le CIO était forcé de reconnaître comme amateur. Ainsi la Hongrie, l’URSS, la Yougoslavie, la Pologne, la RDA, la Tchécoslovaquie et consort ont participé aux Jeux avec leurs meilleures équipes, ce dont les autres nations n’avaient pas le droit. Les instances dirigeantes ont cherché à limiter la domination des équipes de l’Est, en interdisant notamment les joueurs qui avaient participé à la Coupe du monde, ou bien en mettant toutes les équipes dans le même groupe éliminatoire, mais rien n’y faisait : le podium final était systématiquement occupé par trois nations de l’Est. Le tournoi olympique a toutefois le mérite d’avoir donné un titre à la grande équipe de Hongrie de Puskas, Kocsis et Hidegkuti.
Les multiples changements de format du tournoi (open, puis strictement amateur, puis ouvert aux pros sous condition, puis avec une limite d’âge) n’ont-ils pas nuit à sa lisibilité, face à une Coupe du monde plus cohérente quoique moins ouverte ?
C’est clair qu’il est difficile de comparer des performances dans le temps puisque les conditions n’étaient pas les mêmes et ont beaucoup évolué. Le problème reste que la FIFA ne souhaite pas que ses meilleurs joueurs brillent aux JO et s’efforce donc de limiter les accès, tout en maintenant le tournoi aux Jeux. Le fait qu’il ne s’agisse que d’équipes B (au mieux) limite bien entendu l’intérêt du public. C’est une des particularités du football olympique.
Selon toi, pourquoi la FIFA refuse d’intégrer le tournoi olympique dans son calendrier, ce qui le rendrait contraignant pour les clubs, alors même qu’elle a alourdit considérablement ses propres compétitions et prépare une Coupe du monde des clubs en 2025, pendant un mois de mi-juin à mi-juillet ?
La FIFA a de tout temps eu un comportement ambigu vis-à-vis des Jeux. Elle veut préserver le prestige de sa Coupe du monde, et des compétitions qu’elle a créées. Aujourd’hui, le football olympique est confronté au refus des clubs de libérer leurs joueurs. Ceux-ci en ont le droit puisque le tournoi olympique n’est pas dans le giron de la FIFA. On aimerait que celle-ci intervienne sur ce point, mais est-ce vraiment dans son intérêt ?
On sait que la Coupe du monde est un enjeu politique majeur, le Qatar en 2022 en a été la démonstration la plus récente. Le tournoi olympique de football a-t-il aussi été marqué par des tensions géopolitiques ?
Les Jeux olympiques en général ont de tout temps été soumis aux vents de la géopolitique. Souviens-toi des boycotts, des manifestations d’athlètes sur les podiums, de la terrible prise d’otages à Munich en 1972, et plus généralement de l’instrumentalisation des manifestations olympiques par les pouvoirs en place. Les tournois de football ont bien entendu été impactés, notamment le tournoi de 1956 où de nombreux pays avaient déclaré forfait après Budapest et le Canal de Suez. Certaines équipes se sont retrouvées en quart de finale sans remporter le moindre match.
« En 1952, l’URSS et la Yougoslavie se sont rencontrées dans un contexte très tendu et cela a donné un match extraordinaire »
Le premier match hautement politique des Jeux a été un Russie-Finlande en 1912 quand le territoire finlandais sous contrôle russe. En 1952, l’URSS et la Yougoslavie se sont rencontrées dans un contexte très tendu et cela a donné un match extraordinaire. Il y a également eu les absences de l’Allemagne dans les Jeux d’après-guerre, des pays africains à Montréal (1976), des pays occidentaux à Moscou (1980) et des pays de l’Est à Los Angeles (1984). Qui sait si la France aurait été championne olympique si elle avait dû batailler avec l’URSS, la RDA et la Tchécoslovaquie ?
Les footballeurs français ayant participé aux JO se souviennent au moins autant du contexte sportif et de la proximité avec d’autres athlètes que des matchs proprement dit, excepté sans doute ceux de 1984. Les JO ne sont-ils pas l’occasion pour le football de retrouver une place plus modeste dans le sport en général ?
Même ceux de 1984 évoquent surtout leurs souvenirs du village olympique et des épreuves d’athlétisme qu’ils suivaient des tribunes. Les Jeux leur ont permis de rencontrer des grands noms d’autres disciplines et de se sentir plus “sportifs” que “footballeurs”. Ils insistent souvent sur ce point, sur l’ouverture que leur permet cet événement. Ils deviennent des athlètes parmi d’autres et gardent un grand souvenir de cette période. Récemment, William Ayache, un des champions olympiques de 1984, a pesté contre les clubs qui retiennent leurs joueurs car ils privent ceux-ci d’un grand moment de leur vie de sportif.
Quels sont les enjeux de l’équipe de France olympique en 2024 ? Servir de marchepied vers les A pour les joueurs, voire pour leur sélectionneur ?
Tous les jeunes qui passent en équipe espoirs aspirent à intégrer un jour l’équipe A. Et ceux qui disputent les Jeux trouvent une formidable occasion de se mettre en valeur. Même si rien n’est acquis. Peu de champions olympiques de 1984, par exemple, ont réalisé une grande carrière en A (hormis Ayache, 20 sélections, et à un degré moindre Touré, 16). Pour les sélectionneurs aussi (car on parle autant de Thierry Henry que d’Hervé Renard, entraîneur des féminines), c’est l’occasion de démontrer leurs talents de coaching et de candidater à de plus hautes responsabilités. Mais je pense sincèrement que l’objectif premier, quand tu participes à un événement tel que les Jeux, c’est d’aller chercher la médaille d’or.