François da Rocha Carneiro a souvent de bonnes idées. Celles de proposer à l’Humanité de consacrer un hors série de 124 pages à l’histoire populaire des Bleus, juste avant la Coupe du monde au Qatar, en était une excellente. Jean-Emmanuel Ducoin, rédacteur en chef au journal fondé par Jean Jaurès, a relevé le pari et le résultat dépasse toutes les espérances. On y retrouve les signatures de Yvan Gastaut, Sylvain Venayre, Laurent Grün, Michaël Delépine, Bernard Chambaz, Didier Rey, Olivier Chovaux, Jean-Batiste Guégan...
Et donc quatre rédacteurs de Chroniques Bleues : Pierre Cazal, qui revient sur les deux défaites cinglantes aux JO de 1908 contre le Danemark et dresse le portrait de Charles Simon, dirigeant important du football français des origines, Matthieu Delahais, qui a l’honneur d’ouvrir la revue avec deux articles sur la naissance de l’équipe de France au tout début du XXème siècle, puis sur la création de la FFF en 1919, moi-même avec un portrait de Pierre Chayriguès, le premier gardien-star de la sélection, et bien sûr François da Rocha Carneiro.
Ce dernier revient sur le premier match contre une équipe non-européenne, l’Uruguay aux JO de 1924 à Paris, fait le portrait du Yougoslave Ivan Beck, devenu français en 1933, raconte l’avènement du professionnalisme au début des années 1930, les confrontations avec les équipes de pays fascistes, l’accueil de la Coupe du monde dans le contexte très tendu de 1938, le bar-tabac comme horizon de reconversion professionnelle, la tentation du boycott du mondial argentin de 1978 ou encore les turbulences de l’après-Zidane. On retrouve ici des thématiques qu’il a largement développées dans sa thèse soutenue en 2019, et dans son livre « Une histoire de France en crampons ».
C’est évidemment à lui que l’on doit le « onze » de L’Humanité à la fin, une sélection étonnante et iconoclaste où, sous chacun des joueurs alignés, sont décrites les raisons qui leur valent d’être choisis : Karembeu en tant qu’arrière-petit-fils d’un Kanak exhibé lors de l’exposition coloniale de 1931, Steve Savidan, éboueur à 20 ans, international à 30, Zacharie Baton, gardien amputé du bras gauche lors de la Première Guerre Mondiale, Etienne Mattler, résistant, arrêté et torturé par la Gestapo ou Rachid Mekhloufi, joueur des équipes de France, de l’Algérie et du FLN.
Le Hors-Série suit ainsi des chemins de traverse instructifs et réjouissants, comme la lente éclosion du football féminin, l’émergence d’un supportariat spécifique à la sélection et différent de celui des clubs, l’apport des entraîneurs, des arbitres, la place des stades (Colombes, le Parc, le SdF), l’irruption des illégitimes tel Benjamin Pavard... C’est la démonstration, une fois de plus, que le football en général et que l’équipe de France en particulier ouvrent de multiples portes dans des domaines qui dépassent de loin les limites d’un terrain et la durée d’un match.