Après huit décennies de disette, l’équipe de France a remporté quatre titres majeurs en 34 ans : le championnat d’Europe en 1984 et 2000, la Coupe du monde en 1998 et 2018. S’il est logique qu’au moins un champion du monde ait participé à chacun des matches séparant les titres de 1998 et 2000, les 14 ans depuis le titre européen de 1984 et les 18 ans jusqu’à la seconde victoire mondiale sont des périodes beaucoup plus longues. Pourtant, les carrières de cinq joueurs suffisent à couvrir les 34 années (mais pas forcément tous les matchs) séparant le premier titre du dernier.
Le premier joueur de cette série est Dominique Rocheteau (international entre 1975 et 1986) qui a joué entre autres avec Manuel Amoros (1982-1992) avec qui il a été champion d’Europe en 1984. L’arrière latéral des Bleus lors de l’Euro 1984 a côtoyé lors de ses dernières années en équipe de France Didier Deschamps (1989-2000) qui réalisera le doublé à la fin de sa carrière internationale. L’actuel sélectionneur avait Thierry Henry (1997-2010) pour coéquipier lors de ces victoires. Et ce dernier a fini son parcours en sélection aux côtés de Hugo Lloris (en équipe de France depuis 2008) , vainqueur de la Coupe du monde en 2018 [1].
Amoros et Fernandez, d’un Euro à l’autre
La série a démarré le 3 septembre 1975 contre l’Islande à Nantes, avec Dominique Rocheteau qui fêtait d’ailleurs sa première sélection de jour-là. L’ailier droit stéphanois sera aussi le seul futur champion d’Europe à participer aux deux rencontres suivantes, mais ils seront trois lors du match 23 mars 1976 face aux Tchèques (Maxime Bossis, Michel Platini et Didier Six). Le mois suivant, c’est Six qui assure la continuité de cette série. Par la suite, il y aura toujours au moins deux futurs champions dans présents sur la pelouse (titulaires ou remplaçants) à chaque match. Mais cette série n’a véritablement commencé, de manière rétroactive, qu’avec la victoire lors de l’Euro 1984. Restait à voir jusqu’où elle allait se prolonger…
Entre le titre de 1984 et la phase finale de l’Euro 1992, un champion d’Europe a toujours été aligné en match. Les deux derniers, Manuel Amoros et Luis Fernandez, ont quitté les Bleus sur une défaite face au Danemark (1-2). La série s’est donc arrêtée une première fois à ce moment au bout de 143 matches (77 avant la victoire de 1984, 66 depuis le match du titre inclus).
Blanc et Deschamps prennent le relais en 1989
Lors de l’Euro 1992, trois futurs champions du monde avaient déjà démarré leur aventure en Bleu : Laurent Blanc (février 1989) et Didier Deschamps (avril 1989) ainsi qu’Emmanuel Petit (août 1990). Les autres sont arrivés progressivement (Christian Karembeu et Bixente Lizarazu en 1992, Bernard Lama, Marcel Desailly et Youri Djorkaeff en 1993, Fabien Barthez, Lilian Thuram, Zinedine Zidane et Christophe Dugarry en 1994). Trois d’entre au minimum ont joué lors de chaque match jusqu’au titre mondial de 1998, sauf le 14 octobre 1992 où seul Deschamps était présent. La série reprend au soir du 12 juillet, pour ce qui était alors le 208e match depuis le 9 septembre 1975.
Deux années seulement séparent les titres de 1998 et 2000. 18 des 22 champions du monde sont toujours présents lors de l’Euro. Les quatre nouveaux sont Ulrich Ramé (international entre 1999 et 2003), Johan Micoud (1999-2004), Nicolas Anelka (1998-2010) et Sylvain Wiltord (1999-2006). C’est ce dernier qui va assurer la continuité de la série en 2005. Lors d’un match amical de fin de saison face à la Hongrie (2-1, le 31 mai), il est le seul joueur de cette génération présent sur la pelouse.
Pourtant la carrière en bleu d’Anelka, Barthez, Henry, Thuram, Trezeguet, Vieira et Zidane n’était pas encore terminée. Henry et Anelka seront les deux derniers à quitter la sélection, cinq ans plus tard, à la suite d’une Coupe du monde cataclysmique en Afrique du Sud. La série s’arrête une seconde fois le 22 juin 2010 à Bloemfontein, 367 matches après les débuts de Rocheteau.
La série n’a tenu qu’à un fil nommé Rami
Seuls les gardiens Steve Mandanda et Hugo Lloris, futurs champions du monde, étaient déjà capés lors de la Coupe du monde 2010 et ce depuis l’année 2008. Mais, comme tous leurs coéquipiers, ils sont suspendus pour le match de reprise d’août 2010 à la suite de la grève de Knysna. Heureusement, Adil Rami était présent en Norvège (11 août 2010, 1-2). Il sera encore le seul représentant de cette caste de (futurs) vainqueurs à jouer un an plus tard face à la Pologne (9 juin 2011, 1-0). Trois mois plus tard, c’est Lloris qui assurera le lien lors du match en Albanie (2 septembre 2011, 2-1).
Les futurs champions du monde arrivent ensuite peu à peu en équipe de France (Blaise Matuidi en 2010, Olivier Giroud en 2011, Paul Pogba et Raphael Varane en 2013, Antoine Griezmann en 2014). La série redémarre donc avec la victoire face à la Croatie au match numéro 478. 109 rencontres s’étaient déroulées depuis le départ de Henry et Anelka.
En près de 34 ans (si on prend le premier et le dernier titre comme bornes), il n’y a donc eu que cinq matches avec un seul champion en Bleu (Autriche 1992 avec Deschamps, Hongrie 2005 avec Wiltord, Norvège 2010 et Pologne 2011 avec Rami, Albanie 2011 avec Lloris). Et si on part de l’origine, à savoir le premier match contenant un futur champion d’Europe, il faut remonter au 8 septembre 1973 contre la Grèce avec les débuts en équipe de France de Bernard Lacombe.
Mais comme la continuité n’est pas assurée dans les deux années suivantes (où débute aussi Alain Giresse en septembre 1974), c’est bien la première cape de Dominique Rocheteau en septembre 1975 qui marque le début de cette étonnante série qui dure donc, de façon ininterrompue, depuis plus de 45 ans, soit 500 matchs au moment où sont publiées ces lignes (15 octobre 2020).
Jusqu’en 2030, et au-delà ?
La question est de savoir jusqu’où cette série peut continuer. Le premier coup d’arrêt est venu avec les départs d’Amoros et Fernandez en 1992, après 66 matches. Lorsque Henry a quitté les Bleus en 2010, la victoire européenne remontait à 134 matches. 22 matches se sont joués depuis la finale de Moscou et les champions du monde sont encore bien présents dans l’équipe. Un minimum de 7 d’entre eux ont joué lors chacun des rencontres depuis le deuxième sacre mondial de l’équipe de France (contre Andorre en septembre 2019 et face à la Croatie en septembre 2020). La jeunesse d’un certain nombre d’entre eux (Mbappé 21 ans, Dembélé et Lemar 24 ans, Pavard, Hernandez, Kimpembe 25 ans…) peut laisser supposer qu’ils joueront encore en équipe de France pendant de nombreuses années. En se basant sur les arrêts des champions d’Europe 84 et des vainqueurs du doublé 1998-2000, les actuels champions du monde pourraient encore prolonger la série de 6 ans à 10 ans, soit à l’horizon 2030.
Après, rien n’empêche la France de remporter un nouveau titre dans l’intervalle. Et donc un nouveau joueur pourra faire le lien entre ces générations. Eduardo Camavinga, plus jeune Bleu actuel (18 ans en novembre, avec une carrière internationale potentielle jusqu’en 2034 au moins), est le mieux placé pour prendre le relais…