Le 24 juillet sur Twitter, une question a circulé : quelles sont les pires purges footballistiques que vous avez vécu ? J’ai commencé à répondre, en me limitant évidemment aux matchs de l’équipe de France. Mais, très vite, la même question que pour les matchs historiques est revenue sur la table : quels sont les critères ?
Pour moi c’est le France-République tchèque de l’Euro 1996. Tellement nul que je n’en ai gardé aucun souvenir sinon d’avoir éteint la télé à la fin des prolongations. Ambiance d’enterrement, pas d’occasion, pas de jeu. Le néant. En demi-finale de l’Euro...
— Chroniques bleues (@chroniquebleue) July 24, 2019
Voici déjà les miens, vous en ferez ce que vous en voudrez, étant donné que la purgeologie n’est pas une science exacte. Je commence par écarter d’emblée les matchs amicaux (506 sur 850 parties depuis 1904). Pourquoi ? Parce que dès lors que ceux-ci deviennent moins fréquents que leurs homologues de compétition, leur importance décroit, y compris bien entendu aux yeux des joueurs. Il peut y avoir de très bons matchs amicaux, certains peuvent même être qualifiés d’historique. Mais la grande majorité d’entre eux présentent peu d’intérêt sinon éventuellement de découvrir de nouveaux joueurs ou des adversaires inédits.
Restent 344 matchs de compétition. On y voit déjà plus clair. Parmi ceux-là, on peut distinguer trois catégories :
– les matchs de phase qualificative (une dizaine tous les deux ans, environ, 222 en tout jusqu’à l’été 2019). C’est un gisement essentiel de purges, soit parce que l’adversaire est d’un faible niveau mais suffisant pour garer le bus, soit parce que pour les Bleus, l’essentiel est d’assurer le minimum pour assurer ou ne pas hypothéquer la qualification.
– les matchs de premier tour en phase finale (69 en comptant la Coupe des Confédérations). Là aussi, entre les débuts hésitants et les fins sans enjeu, on est servi en matchs à haut potentiel soporifique.
– les matchs à élimination directe en phase finale (54). C’est là où normalement la purge ne devrait pas exister. On verra que pourtant si.
L’enjeu, l’ennui, le vide : les ingrédients sont prêts
Voilà pour le champ de recherches. Maintenant, passons aux critères. Par définition, une purge est un match profondément ennuyeux, le genre de spectacle où l’on se félicite de ne pas s’être déplacé au stade (malheureusement il arrive que ce soit le cas). Et où on regrette amèrement d’avoir passé deux heures devant sa télé au lieu de s’occuper plus utilement en faisant les courses, le ménage, la vaisselle, du repassage, les vitres, le jardinage, la vidange de la voiture ou n’importe quelle autre activité hautement exaltante.
Autrement dit, c’est moins le résultat qui compte que l’absence quasi totale de choses à retenir. Une défaite des Bleus contre un adversaire qui a fait son match, comme par exemple le Turquie-France de juin 2019, n’entre évidemment pas dans cette catégorie, même si la performance française a été particulièrement pauvre. A contrario, on pourrait prétendre qu’une victoire des Bleus acquise contre le cours du jeu au terme d’un match insipide peut prétendre au titre de purge.
Des événements périphériques tels que le comportement du public, les décisions arbitrale, une éventuelle empoignade entre sélectionneurs ou l’irruption d’un être humain dans le plus simple appareil risquant de donner prise à un quelconque souvenir sont également à bannir.
La purge idéale nous pousse à nous demander pourquoi on aime ce sport
L’idéal, pour une purge, c’est qu’elle n’évoque rien d’autre qu’un grand vide et la crainte légitime de devoir, en guise de punition, revoir le match en boucle une demi-douzaine de fois. Qu’il ne reste rien qui puisse arrimer un souvenir dans la mémoire, pas même celui d’un but. Qu’elle nous pousse à nous demander pourquoi on aime ce sport.
Mais la purge ultime, me semble-t-il, c’est quand même celle qui oppose deux grandes équipes dans un match de très fort enjeu, et pendant lequel il ne se passe rien. Dans l’absolu, c’est le Brésil-Italie en finale de la Coupe du monde 1994, une affiche pourtant prestigieuse vingt-quatre ans après celle de Mexico. Les finales des Bleus, sans atteindre des sommets de technique, nous ont au moins épargné ça (même si celle de 2016 s’en est rapprochée par moments).
Ceci étant posé, et en me restreignant, par honnêteté, aux matchs vus en direct , la purge la plus aboutie reste le France-République tchèque du 26 juin 1996 dans un Old Trafford aux deux tiers vide et assommé d’ennui. Demi-finale de l’Euro, après dix ans de pain sec... et vingt-deux acteurs qui pensaient visiblement aux grandes vacances. Je me souviens avoir éteint la télé à la fin des prolongations et être allé me défouler dehors. C’est le seul souvenir que je garde du match.
Le 0-0 contre l’Angleterre au premier tour de l’Euro 1992 est lui aussi une quasi perfection de purge, tout comme le 0-0 face à la Roumanie en juin 2008. Que dire du tout récent France-Danemark du 26 juin 2018 dans un stade Loujniki plein ? Dans le même contexte (dernier match du premier tour dans le stade de la finale, qualification assurée), le nul contre l’Equateur en juin 2014 (0-0) était riche en tranquillisants. Autant dire que dès le tirage au sort du prochain Euro connu [1], prévoyez d’aller au cinéma le soir du troisième match des Bleus
Un mauvais match sans but ne laisse aucune prise à la mémoire
Beaucoup de 0-0 donc. Non pas qu’un match sans but soit forcément mauvais, mais un mauvais match dans lequel rien n’est marqué ne laisse aucune prise à la mémoire. A la limite, c’est un peu comme s’il n’avait même pas existé, ou s’il n’avait pas commencé. Je l’ai dit, les phases qualificatives ont un potentiel de purge particulièrement riche. Qui se souvient du RDA-France de novembre 1986 à Leipzig ? Ou du terrible France-Roumanie d’octobre 1994 à Saint-Etienne ? Et du France-Israël de septembre 2004 à Saint-Denis ? A moins que le Géorgie-France de septembre 2013 à Tbilissi vous attire plus ?
Il n’y a pas de corrélation entre le nombre de buts marqués et le degré de spectacle d’un match, heureusement. Les France-Brésil de 2006 (1-0) et de 1986 (1-1) sont incomparablement plus spectaculaires que le France-Azerbaïdjan de 1995 (10-0) ou le France-Jamaïque de 2014 (8-0). Il est donc possible de jouer (très) mal et de gagner, voire de faire un nul qui ne fera pas trop tache dans les statistiques.
Vous voulez des purges avec des buts ? Voici Chypre-France d’octobre 1988 (1-1), celui qui a fait tomber (avec l’aide active du Variétés Club de France) Henri Michel. Ou, juste avant, France-Norvège d’août 1988 (1-0), déjà inquiétant malgré la victoire étriquée. Il y a eu aussi un palpitant Andorre-France en juin 1999 (1-0, but de Leboeuf sur pénalty à la 86e), ou un somptueux Féroé-France en août 2009 à Torshavn (1-0). Le France-Angleterre de juin 2012 (1-1) était lui aussi bien vilain (mais le « ferme ta bouche » de Nasri l’a sauvé de l’oubli total), tout comme le France-Grèce de Lisbonne en quart de finale de l’Euro 2004 (0-1), même si les Grecs ne seront sûrement pas d’accord.
Car au final, il y a en compétition deux sortes de purges : celles qui coûtent cher en compromettant la qualification ou en entraînant directement l’élimination, et celles qui énervent sur le moment et que l’on oublie quelques jours ou quelques mois plus tard. Qui, parmi vous, le 15 juillet 2018, se souvenait du match contre le Danemark joué au même endroit 19 jours plus tôt ?
Seul match de coupe du monde que j’ai fais, un rêve de gosse attendu plus de 20 ans, qui se réalise, en Russie, le stade est magnifique...
Pour voir une telle purge, j’ai cru que j’allais en pleurer...— Piko 🇫🇷 (@Pikochev) July 25, 2019