La carrière d’André Poullain, trois sélections en 1913, tient en moins de deux mois, du 27 février au 20 avril ; elle est modeste, mais se caractérise, chose rare pour l’époque, par deux victoires (Suisse 4-1 et Luxembourg 8-0), pour une défaite qui n’en était pas une, contre l’Angleterre (1-4). En effet, l’Angleterre avait jusqu’alors toujours passé au moins 10 buts à l’équipe de France, voire 15, tant sa supériorité, due au fait que le football anglais avait 40 ans d’ancienneté de plus que le football français, était indiscutable : ne perdre que par trois buts d’écart fut donc ressenti comme une satisfaction, et, en ce qui concerne Poullain, davantage encore puisqu’il marqua le but français.
Une équipe de gosses contre le CSA
Par chance, Poullain a narré ses débuts dans le football dans Sporting, en 1918, et son récit nous plonge dans la légende dorée des pionniers du début du XXème siècle. Voici ce qu’il raconte : « J’avais 9 ans, et, en compagnie de Dartoux et Landauer (qui firent carrière eux aussi, sans être cependant internationaux officiels), nous avions confectionné un ballon de papier, ficelé tant bien que mal, et nous tapions dedans avec une hargne redoutable. Comme terrain, nous étions abondamment fournis : le premier trottoir venu faisait notre bonheur. Un soir, notre équipe de gosses se transporta rue des Rosiers, à Saint-Ouen, où le CSA (Club des Sports Athlétiques) devait y disputer un match, mais son adversaire ne se présenta pas. Nous offrîmes au CSA de le remplacer et lançâmes un défi. Il le releva et nous le battîmes. Le soir même, votre serviteur, Dartoux et Landauer signâmes notre adhésion au CSA. J’étais en deuxième équipe, puis en première l’année suivante. ».
Avec le CSA, qui avait adhéré en 1910 à la LFA, André Poullain a pu se mesurer aux meilleurs clubs parisiens, comme le CAP, le Red Star ou le FEC Levallois, et même jouer des parties amicales de gala dans les rangs du Red Star, aux côtés d’Eugène Maës, qu’il eut tôt fait de rejoindre en sélection. En effet, le CFI, chargé de composer l’équipe de France depuis 1919, n’accumulait que des défaites et avait besoin de renforts : l’adhésion de la Ligue (comme on appelait la LFA, composée de grands clubs parisiens détachés de l’USFSA) fut accueillie avec joie et le CFI lui réserva une place de choix dans sa sélection, à partir de 1911.
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L’Auto du 28 février 1913 (BNF, Gallica)
Un tir de 25 mètres en lucarne contre les Anglais
Mais Poullain, né le 23 novembre 1893 à Paris, ne s’imposa pas. En fait, en raison de son style, il a toujours été discuté. On lui reprochait son manque de technique, et notamment de dribble, qu’il compensait par beaucoup de fougue : il est qualifié ainsi : « La fougue, le courage personnifié ; terreur des gardiens de but. ».
L’époque préférait les joueurs « scientifiques », dribbleurs-passeurs souvent lents, et ne prisait guère les fonceurs, qui percutaient et jouaient en profondeur, qualités au contraire fort prisées aujourd’hui. Poullain plaçait l’efficacité au-dessus du style et tirait souvent au but, y compris de loin, ce qui ne se faisait pas. Le fin du fin du jeu « à la Corinthian », modèle du jeu amateur anglais, était de tisser une toile de passes courtes amenant le ballon jusqu’aux 6 mètres, voire plus près encore du but, avant de déclencher un tir de près, forcément imparable.
Regardons au contraire le but inscrit par Poullain face à ces mêmes Anglais en 1913 : « Gueguen passe à Poullain qui, à 25 mètres shoote sans hésiter. Bailey (le gardien anglais Horace Bailey, champion olympique), mal placé ne peut arrêter le ballon, allant en haut d’une extrémité des buts. » En clair, il s’agit d’une lucarne ! Un geste inattendu à l’époque, un tir pas préparé par un savant jeu de passes, mais décoché soudainement à une distance hors norme… tel était le style de Poullain, qui en faisait la « terreur » des gardiens de but…
André Poullain est à genou, le deuxième en partant de la gauche, le 27 février 1913 à Colombes avant France-Angleterre (photo agence Rol, BNF Gallica)
Un jeu compatible avec celui d’Eugène Maës
L’analyse des motifs de sa sélection, en février 1913, est intéressante : « Le choix de Poullain a généralement été considéré comme une surprise. Ce jeune joueur ne possède certes pas la maîtrise, mais aux côtés de Maës, il a la saison passée prouvé combien il pouvait s’adapter au jeu bizarre et néo-classique de l’avant-centre, ayant lui-même, mais à un degré moindre, l’audace, la rapidité, la décision qui caractérisent les marine et blanc », c’est-à-dire les joueurs du Red Star. Bref, Poullain a été choisi malgré son défaut de technique parce que son jeu se mariait avec celui de Maës, un avant-centre différent de l’avant-centre classique de 2-3-5, qui était un distributeur de jeu positionné en retrait, alors que Maës était, comme un avant-centre moderne, un homme de pointe, un fonceur, un buteur.
Le but que Poullain donne à Maës, contre le Luxembourg est à cet égard parlant : il est question d’un « head » de Poullain, à réception d’un centre aérien de Dubly, qui sert donc de la tête Maës, lequel score, de la tête également. En clair, Poullain rabat une balle aérienne de Dubly et la transmet à Maës : rien de moins « classique » que ce mouvement, mené dans les airs et non à ras de terre…Poullain est donc à la fois un buteur et un passeur décisif ; il a marqué son but face au Luxembourg également.
Joueur précieux ? Pas pour les puristes, et il sera éliminé en 1914, on lui réfèrera le très classique Henri Bard, et les journaux le justifient par la différence de jeu : à Poullain le style ligueur, fait de fougue, de course, et non de science ; à Bard le jeu unioniste, fait de passes à terre, latérales et non verticales. Les deux hommes jouèrent côte à côte face aux Anglais, et on relève cette remarque : « la différence entre style unioniste et ligueur fut très marquée : quand Poullain et Bard se trouvèrent côte à côte, l’un adressait la balle en avant, et l’autre parallèlement à sa propre position. » Poullain cherchait à servir son avant-centre, Bard servait son ailier…. C’est Bard qui l’emporta, aux yeux des sélectionneurs.
André Poullain accroupi au centre avec le ballon, le 16 novembre 1913 à Saint-Ouen avec le CASG (photo agence Rol, BNF Gallica)
Organisateur de matchs entre prisonniers près de Magdebourg
Vint la Guerre, et Poullain fut fait prisonnier très tôt, dès la fin août 1914, et transféré au camp d’Altengrabow, près de Magdebourg. Là il retrouva une brochette de footballeurs, dont Victor Denis, Henri Lesur, Charles Renaux, et tous, bien sûr, montèrent une équipe, malgré les barbelés qui séparaient les baraquements : « pour satisfaire notre penchant pour le football, nous avions choisi un terrain situé à l’extrémité du camp, et bien souvent il nous fallait traverser plusieurs réseaux de fil de fer, dont chacun était gardé par une sentinelle allemande » et en dépit de la consigne formelle : « interdiction de franchir les fils de fer… » On sait à quel point le football fut capital pour le moral des troupes, aussi bien combattantes, que des prisonniers de guerre, et Victor Denis, dans Football, en 1932, a laissé son propre témoignage sur Altengrabow. Selon lui, les prisonniers constituaient des équipes nationales pour des matchs France-Belgique, ou France-Angleterre : « Nous jouions en pantalons rouges, des bandes molletières en guise de bas, nos chandails remplaçaient les maillots et les brodequins tenaient lieu de souliers à crampons », et les parties étaient souvent interrompues par les sentinelles… Football, quand tu nous tiens !
Encore trois sélections, officieuses, en 1918 et 1919
Malade, Poullain fut rapatrié, les Allemands se souciant peu de prendre en charge les malades ! Cela lui permit, non seulement de rentrer en France, mais de rejouer au football, au CAP cette fois-ci, à partir de 1917. On le verra revêtir le maillot national, mais de façon officieuse, contre la Belgique en 1918 (2-5), aux côtés de Devaquez et Darques, et de son vieux camarade Dartoux, puis participer aux jeux Interalliés de 1919 : il bat la Roumanie 4-0, puis l’Italie 2-0, aux côtés de Paul Nicolas, mais se blesse et ne pourra jouer la finale, perdue contre la Tchécoslovaquie, remplacé par Paul Deydier. C’en est fini pour lui de l’équipe de France, 3 sélections officieuses (mais prestigieuses) s’ajoutant aux 3 sélections officielles.
La paix revenue, Poullain joue avec le CAP, et gagne la Coupe de France 1920, en battant le HAC (2-1), aux côtés d’Henri Bard, et en dépit de leur différence de style de jeu. Il avait marqué en demi-finale un but (face à la Vie au Grand Air du Médoc, le club bordelais) et deux buts en quart de finale au Red Star, prouvant qu’il avait de beaux restes. Puis il quitta le CAP (lors de sa fusion avec le Gallia) et termina sa carrière sans bruit à l’AS Française, en 1924.
Il est mort le 10 juin 1954 à Noisy-le-Grand.
Les 3 matchs d’André Poullain avec l’équipe de France
Sel. | Genre | Date | Lieu | Adversaire | Score | Tps Jeu | Notes |
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1 | Amical | 27/02/1913 | Colombes | Angleterre | 1-4 | 90 | 1 but |
2 | Amical | 09/03/1913 | Genève | Suisse | 4-1 | 90 | |
3 | Amical | 20/04/1913 | Saint-Ouen | Luxembourg | 8-0 | 90 | 1 but, 1 passe |