Comment devient-on collectionneur ?
Si tu réfléchis, nous avons tous été à un moment donné collectionneur de quelque chose (de billes, d’images qui se trouvaient dans le chocolat Poulain, d’images Panini etc...) et il y a la passion du football qui, pour ma part, s’est développée. J’ai grandi à la campagne, dans un tout petit village de 500 habitants. A l’époque (au milieu années 70), en termes d’activités, il y avait beaucoup moins de possibilités qu’aujourd’hui. Je jouais au foot tout le temps et partout (cour de récréation, autour de la maison, devant une porte de garage, dans un couloir de la maison, les dimanches au bout du terrain quand mon père jouait...). J’étais un acharné. Comme beaucoup de jeunes, je rêvais de devenir joueur professionnel. Beaucoup en rêvent mais il y a peu d’élus.
Des soucis de santé sont venus mettre terme à la pratique du foot. Décision très, très difficile à accepter, pour le mordu que j’étais. Je suis resté plusieurs années sans pouvoir regarder un match à la télé. Je ne suivais plus le foot.
L’amertume a fini par s’estomper et j’ai recommencé à m’y intéresser. Fin 1998, j’ai la nostalgie. J’ai envie de retrouver des traces de ma modeste « carrière » d’amateur. J’ai repris contact avec les trois clubs dans lesquels j’ai joué afin de voir si je pouvais retrouver des objets (maillots, fanions, photos, articles...). Mon dernier club a été le Limoges FC qui a été professionnel et a coulé en 1987. J’y étais arrivé en 1989.
En junior durant ma première saison, nous avions joué avec les mêmes maillots que la dernière saison des professionnels du club (alors en deuxième division). J’ai demandé si à tout hasard quelqu’un dans le club avait encore un des maillots avec lesquels nous avions joué. Un entraîneur m’a alors dit « je regarde, je pense que oui et je te mets ça à disposition ». Et là surprise, ce n’était pas le maillot que j’espérais mais celui d’un joueur pro — certes remplaçant — de l’avant dernière saison du Limoges FC. J’ai été très touché et ça a déclenché en moi l’envie d’en avoir d’autres.
A partir de cette première prise, quelle a été ta recette pour agrandir ta collection ?
Au départ, je n’ai pas de recette. Je ne connais personne qui pourrait me conseiller. Donc je pars avec l’idée d’écrire à tous les clubs de première et deuxième division. Dans mon courrier (manuscrit), j’exprime mon vœu de développer une collection de maillots. Mais je ne suis pas exigeant pour le maillot de tel ou tel joueur. Réponse négative de tous par des courriers types (sauf Bordeaux, j’y reviens plus loin). Toujours en 1999, j’ai contacté un journaliste de France Football (suite à un article sur Louis Nicollin) qui m’avait donné l’adresse personnelle du président montpelliérain pour lui expliquer ma passion, mon envie de développer une collection et des difficultés que je rencontrais. Je n’ai pas eu plus d’attention.
« Joël Henry m’a offert son maillot et sa médaille de la finale de la Coupe de France 1981 »
Première constatation, ce n’est pas cette méthode qu’il va falloir utiliser. Là, je me dis qu’il va falloir trouver des appuis... Du coup, j’ai commencé par démarcher d’anciens joueurs qui résidaient dans mon département, notamment l’ancien Nantais Joël Henry. Il m’a offert son maillot et sa médaille de la finale de Coupe de France remportée avec Bastia face au Saint-Etienne de Platini en 1981, le seul titre de sa carrière, un cadeau qui m’a profondément touché. Je commence alors à être plus écouté.
Et même si je démarrais, j’avais déjà pour projet de faire une exposition pour célébrer le premier anniversaire de la victoire en Coupe du monde. Pour cette première expo, je tenais à retracer le parcours des 22 joueurs, depuis leur premier club jusqu’au mondial 98 (à base de multiples objets : fanions, maillots, photos etc..). Lors d’une de mes démarches, un ancien éducateur et proche de Bixente Lizarazu, m’a aidé à contacter Pierrot Labat aux Girondins. Et en avril 1999, je suis reparti de l’entraînement des Girondins avec le maillot de l’équipe qui allait devenir championne de France un mois plus tard. En l’espace de quelques semaines, ce maillot a pris une valeur historique.
Je comprends alors que des appuis et des adresses me seront nécessaires. J’espère toujours qu’un ancien joueur puisse me diriger vers d’autres. Ce n’est pas toujours évident car ils ne sont pas tous amis mais coéquipiers. A force de recherches pour retrouver d’anciens joueurs, je développe petit à petit un carnet d’adresses. Deux personnes m’ont beaucoup aidé : Jean Vincent et Bruno Bollini (tous les deux d’anciens internationaux).
Depuis mes premières démarches en 1999 jusqu’à aujourd’hui (par rapport à un joueur en activité), je tente de trouver des chemins d’accès secondaires avec d’éventuels intermédiaires. Cela ne se concrétise jamais à 100% loin de là. C’est long voir très long et ça demande beaucoup de relances.
Ma recette est un mélange de passion, de patience et de chance, afin de trouver la personne qui pourra me donner un coup de pouce auprès d’un joueur. Il faut aussi savoir relancer sans déranger mais aussi accepter que la parole donnée ne soit pas toujours tenue.
Comment s’est déroulée ta première exposition ?
J’ai d’abord rencontré un collectionneur de fanions. Je lui ai suggéré cette idée d’exposition pour fêter le premier anniversaire de la victoire de l’équipe de France en Coupe du monde. Lui avait de la matière à exposer avec sa collection. Moi, beaucoup moins, vu que je débutais. Donc afin d’apporter ma pierre à l’édifice, je me suis lancé dans les recherches pour retracer le parcours des 22 champions du monde depuis leur premier club jusqu’à la coupe du monde. Leurs parcours étaient retracés par des photos, des maillots (portés lorsqu’ils étaient gamins), des fanions de leurs premiers clubs (ce qui les remettaient en avant et à l’honneur car, à un moment donné, ils ont joué un rôle dans le parcours du joueur). J’ai dû effectuer de nombreuses démarches (un travail minutieux envers leurs anciens clubs, municipalités etc...).
« Dans un premier temps, me procurer du plaisir dans les recherches, dans l’obtention d’objets, puis dans un second, le faire partager »
L’exposition était composée de fanions, de maillots (les premiers que j’avais acquis), de photos etc... Ça a été une fête du football français. Elle avait été calée en parallèle d’un tournoi international d’un club de la ville de Limoges. Le stade était à deux pas de l’exposition, la communication au stade était efficace et les clubs venaient visiter l’exposition tout comme d’anciens joueurs ou dirigeants locaux. Le district nous avait mis à disposition la réplique du trophée de la coupe du monde et les jeunes venaient se faire prendre en photo. Ce fut une très belle réussite et un pur bonheur de mettre sur pied ce projet. Il allait exactement dans le sens que je concevais et il confortait ma vision : dans un premier temps, me procurer du plaisir dans les recherches ainsi que dans l’obtention d’objets, puis dans un second temps, le faire partager.
Même si tu t’es vite intéressé à l’équipe de France, tu as commencé avec des maillots de clubs. Mais ta collection est maintenant plus orientée sur ceux des Bleus. Comment s’est faite la bascule ?
Je rappelle que je suis dans une région vide de foot pro. Avec la présence d’un club professionnel, j’aurai pu sympathiser avec des joueurs et cela aurait peut-être facilité l’acquisition de maillots. Tu commences par collectionner les maillots que tu peux car c’est déjà difficile d’en obtenir. Donc s’attaquer à constituer une collection de maillots de l’équipe de France me semblait carrément utopique. Néanmoins j’ai orienté mes recherches dans ce sens car cela restait mon objectif. Cela représente le graal et c’est vivre un rêve par procuration. C’est s’appliquer à retracer l’histoire des Bleus.
« Par l’intermédiaire de ces maillots, on peut retracer l’histoire des Bleus, l’évolution de la tenue, les générations qui se succèdent… »
Et tu as pu retracer une grande partie de l’histoire des Bleus ?
Je tiens à préciser tout de même je ne suis pas historien. Je ne connais pas l’histoire de toutes les rencontres. J’effectue des recherches à partir du maillot acquis afin d’apporter des informations pour la fiche de présentation qui durant une exposition permettra aux visiteurs d’en connaître un peu plus. Néanmoins par l’intermédiaire de ces maillots, on peut retracer l’histoire des Bleus, l’évolution de la tenue, les générations qui se succèdent…
Comment se déroulent ces expositions ? Sens-tu des réactions différentes dans ton public en fonction de son âge ?
Effectivement, la place que j’accorde aux expositions est très importante. Je trouve que c’est semblable à un buteur qui communie avec les supporters après un but, pour ma part je communie avec les visiteurs de mon exposition. J’ai choisi de collectionner les maillots car je trouve que cet objet symbolise le partage (équipe, efforts, supporters...). Les expositions mettent en avant ce partage. Je récupère et valorise les maillots. C’est un espace témoin des grands et petits moments de l’histoire de l’équipe de France. Elles mettent à l’honneur les joueurs, notre pays car ils sont une source de souvenirs et la reconnaissance ne doit pas s’arrêter à la fin de la carrière des joueurs. Le présent existe grâce au passé.
« Ils me racontent des anecdotes, des faits pour des périodes où je n’étais pas né. Une vraie richesse humaine. »
En termes d’organisation, avec l’expérience, j’ai compris qu’il était plus intéressant d’être en complément d’un évènement sportif (tournoi principalement) car les visiteurs sont déjà présents et acquis. Pour l’instant, ces expositions se sont déroulées uniquement avec le monde amateur. Mais tous les clubs ne peuvent y prétendre par faute de structure d’accueil suffisante. Les clubs sont contents de m’accueillir car cela apporte une animation gratuite supplémentaire à leur évènement.
Durant les tournois, le public est diversifié avec une tranche d’âge très large (du jeune joueur aux grands-parents en passant par les parents venus les encourager). C’est très intéressant car le regard des uns et des autres diffère en fonction des âges. De surcroît, les échanges sont riches et différents. Les jeunes se focalisent uniquement sur les joueurs d’aujourd’hui alors que leurs grands-parents regarderont plus les périodes anciennes car cela leur rappelle des souvenirs du passé des Bleus et de leur vie. Ils me racontent des anecdotes, des faits pour des périodes où je n’étais pas né. Une vraie richesse humaine. Les retours des visiteurs et des clubs sont toujours très positifs et plein d’admiration à mon égard.
Est-ce que cela t’a permis de nouer des contacts avec d’anciens professionnels ou des personnes issues de ce milieu ?
Tout à fait. Il y en a eu à quelques rares occasions. Mais ce n’était pas une visite surprise mais programmée à la base. Ce fut un plus pour moi.
Quelles sont les pièces qui te tiennent le plus à cœur dans ta collection ?
Toutes les pièces qui constituent ma collection me tiennent à cœur. Mais il est vrai que posséder un maillot de Platini et Zidane, deux génies hors norme, est une sacré fierté.
Et à l’inverse, est-ce qu’il y a un maillot que tu n’as pas mais que tu aimerais avoir ?
J’aimerais tous les avoir ! Je rêverais d’avoir la même attention que la FFF ou le staff des Bleus a pu avoir envers Louis Nicollin en lui fournissant des maillots quasiment à chaque match. Petits gestes pour grands effets, cela me comblerait de bonheur et d’honneur. Ils trouveraient une place toute particulière aux côtés des autres maillots et garniraient encore un peu plus mon exposition que j’ai baptisé Bleu Blanc Expo. Ils témoigneraient de cette notion de partage que l’on a déjà évoquée. Actuellement, j’aimerais acquérir un maillot de Griezmann et de Mbappé. J’ai entamé des démarches, mais rien n’avance pour l’instant, pas de retour...