1984 : Platini marche sur l’eau
Le contexte
Après une coupe du monde 1982 à la fois brillante et frustrante, on ne sait pas trop de quoi l’équipe de France est capable. Face à l’Irlande du Nord et à la RFA, elle a part moment touché à la plénitude. Mais sa défense (12 buts encaissés) n’est pas à la hauteur. L’arrivée de Joël Bats dans les cages, de Yvon Le Roux dans l’axe aux côtés de Max Bossis, et surtout l’adjonction de Luis Fernandez au trio du milieu (Platini, Giresse, Tigana) posent les bases d’une équipe plus robuste. L’attaque a plus de mal à se renouveler. Lacombe et Six sont toujours là, Rocheteau n’est plus à sa place sur l’aile (il joue dans l’axe au PSG) et Bellone tente de se faire une place. Les matches amicaux n’ont pas vraiment bousculé la hiérarchie, malgré l’éclosion de Yannick Stopyra et de José Touré, qui va se blesser quelques semaines avant l’Euro.
Le plateau
Comme en 1980, l’Euro se joue à huit, mais il y a de grosses surprises : le champion du monde italien a été sorti en qualifications par la Roumanie, l’Angleterre est absente, l’URSS aussi et les Pays-Bas, en déclin depuis trois ans, passent également leur tour. Ça fait beaucoup, et le Danemark en profite pour se faire une place, comme le Portugal. Et comme la RFA (vice-champion du monde) et la France (organisateur) sont têtes de série, ils s’évitent au premier tour et sont logiquement favoris. A la différence de 1980, des demi-finales sont introduites après la phase de poules.
Le récit
Danemark, Belgique, Yougoslavie : l’affaire semble jouable pour les Bleus, la Belgique étant a priori l’adversaire le plus difficile du lot. Ce sont pourtant les Danois qui empoisonnent la vie des Bleus d’entrée, ces derniers bénéficiant de plusieurs coups de pouce du destin pour faire une courte différence (1-0) : grave blessure d’Alan Simonsen et tir dévié par Busk sur une frappe de Platini. Rien à voir avec l’éblouissante démonstration de jeu collectif à Nantes contre la Belgique, qui explose en une mi-temps avant que Platini ne fasse le show (triplé gauche, tête et droit sur pénalty, 5-0).
Le dernier match contre la Yougoslavie est sans enjeu, mais puisque les Bleus sont menés à la mi-temps, Platini tape du poing sur la table et fait se lever Geoffroy-Guichard avec deux buts en deux minutes (gauche et tête plongeante) à l’heure de jeu. Il n’en manque plus qu’un du droit, et sur coup-franc si possible, tiens. C’est chose faite à la 76e, le pénalty de Stojkovic ne changeant rien à l’affaire (3-2).
Giresse est bousculé à droite de la surface, juste avant l’arc de cercle. Platini va déplacer le ballon de deux bons mètres vers la gauche et un mètre vers l’avant avant de tirer.
La demi-finale contre le Portugal est tout d’abord sublime, puis stressante quand le deuxième but ne vient pas malgré une pléthore d’occasions franches. Puis elle tourne au drame quand Jordao décroche la prolongation et donne l’avantage au Portugal. Bats sauve une balle de 1-3 face à Nene, et les Bleus partent à l’abordage. Ils arrachent l’égalisation (doublé de Domergue) avec les tripes avant d’écarteler la défense adverse dans la dernière minute de jeu, Platini plantant la dernière banderille (3-2).
La finale contre l’Espagne est sans doute le match le moins maîtrisé du tournoi, mais ces Bleus-là ne peuvent pas perdre. Lacombe obtient un coup-franc douteux, Platini le tire, Arconada se couche, le ballon ressort sous son bras et franchit la ligne. Ce n’est pas très glorieux, alors Tigana lance Bellone dans un dernier contre et le Monégasque file au but et double la mise (2-0). La France a intégré le réalisme à l’italienne, ou à l’allemande.
Qu’est ce qui a fait la différence ?
Plusieurs choses. Le niveau de jeu stratosphérique de Platini, évidemment. Le capitaine des Bleus est au sommet de son art à au printemps 1984. Tout le jeu passe par lui, et son efficacité devant le but est redoutable. Mais il n’a pas gagné l’Euro tout seul. L’apport essentiel de Luis Fernandez devant la défense, le recentrage de Max Bossis, le jeu court de Giresse et Tigana compensent largement une attaque atone (un seul but de Bellone, le dernier du tournoi) et une certaine lourdeur du côté de Le Roux (sur les buts Portugais notamment). Surtout, cette équipe arrive à maturité au bon moment, et elle a digéré l’énorme déception de Séville, sans laquelle elle n’aurait sans doute pas surmonté la prolongation de Marseille contre le Portugal.
2000 : un but de plus que l’adversaire
Le contexte
Champions du monde deux ans plus tôt, les Bleus sont logiquement favoris dans un Euro où seuls les Pays-Bas semblent de taille. Sans les Auxerrois (Charbonnier, Guivarc’h, Diomède) et avec Micoud et Anelka, les hommes de Lemerre semblent au moins aussi forts, même si leur campagne qualificative a été laborieuse et si Deschamps, Petit et Thuram ne sont pas au mieux au printemps. Un temps écarté, Thierry Henry revient dans le groupe avec son expérience anglaise toute neuve. Les Monégasques Barthez et Trezeguet ont quant à eux bouclé une très belle saison en club.
Le plateau
Organisé en Belgique et aux Pays-Bas, une première, cet Euro 2000 est très relevé sur le papier, avec des Espagnols, des Portugais et des Hollandais très ambitieux, alors qu’on ne sait pas trop ce que valent les Anglais, les Allemands et les Italiens. La République tchèque, brillante en 1996 et absente du Mondial en France, pourrait bien créer la surprise.
Le récit
La puissance de Vieira au milieu, la touché de balle de Zidane et la vitesse de Henry devant : face au Danemark (3-0) et la République tchèque (2-1), les Bleus s’appuient sur ces trois-là pour creuser des brèches dans les défenses adverses. La défaite contre les Pays-Bas (2-3) avec une équipe alignée en 4-1-3-2, est de celles que l’on espère (pour continuer à jouer en Belgique). Le quart contre l’Espagne est maîtrisé, même si la Roja obtient deux pénalties. Mais Raul met le second à côté (2-1).
Le Portugal de Figo veut sa revanche de 1984 et pense l’obtenir en ouvrant le score. Puis Henry égalise et le match bascule lentement du côté bleu, aspiré par un Zidane stratosphérique, jusqu’à une action Wiltord-Trezeguet (déjà) qui pousse Abel Xavier à la faute. Pénalty et but en or pour Zizou qui part le long de la touche, bras levé comme Platini seize ans plus tôt (2-1).
Le match contre l’Italie serait-il celui de trop ? Rien ne va, les Bleus cafouillent, les Italiens percutent et marquent les premiers par Delvecchio. Puis ils se créent deux énormes occasions que Del Piero manquent face à Barthez. La suite fait partie de la légende : égalisation de Wiltord au bout du bout du temps additionnel, puis le débordement de Pires, la volée de Trezeguet... Les Bleus sont champions d’Europe grâce à leur banc (2-1). Il faudra s’en souvenir.
Qu’est-ce qui a fait la différence ?
Alors qu’en 1998 les Bleus n’avaient encaissé que deux buts en sept matches et n’avaient été menés qu’une fois, pendant une minute, contre la Croatie en demi-finale, ils vont jouer avec le feu derrière, hormis face au Danemark. Mais ils montrent une capacité extraordinaire à s’adapter à toutes les situations et à asphyxier leur adversaire jusqu’à la dernière seconde de jeu.
C’est le cas contre le Portugal en demi, et bien sûr en finale contre l’Italie, anéantie au mental alors qu’elle avait match gagné. Ce même mental qui fera défaut deux ans plus tard en Corée, alors que Blanc et Deschamps ne seront plus là.