D’où vient le site Chroniques tactiques ?
Le site e-foot existe depuis mars 2009, où je mêlais un peu tout, un blog classique. A un moment donné, j’ai découvert le site anglais Zonal Marking pendant la coupe du monde. Je me suis dit pourquoi ne pas me mettre sur le même créneau, faire du site un rendez-vous où on ne parlerait que de tactique. Pour le nom, c’est venu plus récemment, je me suis dit que Chroniques tactiques ce serait plus parlant, notamment parce qu’à la radio, quand on entend e-foot, on ne sait pas comment ça s’écrit.
Sur Eurosport, on est parti sur un article en partenariat par semaine, je fais une pige en plus par semaine qui est diffusée directement sur leur site.
« JE SUIS PLUS DANS LA PÉDAGOGIE »
Quelles sont tes références ? Tu as parlé de Zonal Marking, est-ce que l’idée était de combler un vide dans le web en français ?
Il y a Football totalitaire ou faute tactique qui est arrivé après. Il n’y avait pas de site référence particulier, c’est plus le fait de voir des matches avec des potes et de discuter tactique qui m’a donné envie d’en parler.
Pourquoi selon toi les questions tactiques sont si peu abordées lors des retransmissions télé ? Et dans la presse écrite sportive ?
On s’en tient surtout à présenter le système, puis le modèle de pensée, c’est est-ce que l’entraîneur a bien fait ou mal fait ? Je suis plus dans la pédagogie, j’essaie d’expliquer comment fonctionne le système de jeu, comment il marche, ses articulations. Il y a des phases de jeu. Quand on dit c’est un 4-4-2, le profane peut penser que c’est toujours un 4-4-2. Alors qu’on peut démarrer en 4-4-2 et défendre en 6-3-1 après. C’est plus compliqué, parce qu’il faut entrer dans les détails. Ça ne colle pas forcément avec un format audiovisuel où il faut aller très vite, avec un format papier où on est limité en nombre de caractères. Là je viens de regarder six minutes de PSG-Lyon, et j’ai écrit déjà 5000 caractères. Mais peut-être que sur les 84 minutes restantes, je n’écrirai plus rien [1].
Ceci dit, l’Equipe ne le fait pas alors qu’elle a un site Internet...
L’Equipe est plus dans l’info brute, ça ne rentre pas dans leur ligne éditoriale. Contrairement à Eurosport, qui a des articles plus développés. A côté, il y a beaucoup de sites qui ne font que de l’info brute alors que l’Equipe le fait déjà. Ce sont eux qui devraient revoir leur approche.
Une chaîne de la TNT comme l’Equipe 21 ne manque pas de temps et aurait de la place pour faire de l’analyse tactique...
Oui, c’est une possibilité. Sur l’Equipe TV, ils le faisaient. Ça fait longtemps que j’ai envie de faire de la vidéo, depuis que j’ai vu les palettes d’Angel Marcos avec son ardoise. C’est ce genre de format que j’aimerais revoir.
Pour tes analyses tactiques, comment procèdes-tu ? Revois-tu les matches, ou fais-tu ton analyse en direct ? A partir de notes, de schémas ?
En général, je le fais en direct, avec une feuille, un stylo, et des captures d’écran. Normalement je ne vois les matches qu’une seule fois et je fais l’analyse dans la foulée, en comptant sur ma mémoire visuelle et sur mes notes.
« IL SUFFIT DE CINQ MINUTES »
La contraire assez forte, j’imagine, c’est que tu es dépendant des cadrages du réalisateur. Les ralentis qui ne servent à rien et les plans de coupe sur le banc de touche, pour une analyse tactique, ça doit être l’horreur, non ?
L’avantage, c’est que ça me donne le temps de prendre des notes. Mais c’est vrai que j’enrage régulièrement quand je veux faire une capture d’écran d’une action interrompue par un plan serré. Il me faut très peu de temps pour dégager les systèmes et les points clés. Raymond Domenech disait qu’il suffit de cinq minutes pour voir comment va se passer un match, les scénarios possibles. C’est vrai. Dans les matches amicaux où il y a six changements en deuxième mi-temps, je rédige mon article dans la dernière demi-heure.
Quand tu vois un match au stade, est-ce que l’endroit où tu te trouves a une importance ?
Oui, parce que je n’arriverais pas à faire une analyse si je suis en virage, même en haut. Cette année, je profite de place en tribune de face. Les déplacements, les perspectives ne sont pas du tout les mêmes, comme l’utilisation de la profondeur.
Pour faire l’analyse tactique d’un match, est-il indispensable de bien connaître le système de jeu des deux équipes ?
Il y a deux ans, en finale de la coupe Libertadores Santos-Penarol, je ne connaissais pas les joueurs, là j’ai galéré, d’autant que l’image n’était pas très bonne. C’est plus important de connaître les joueurs que les schémas tactiques habituels, ils sont faciles à retrouver, il n’y en a pas cent mille.
« TRÈS SURPRIS PAR LE NIVEAU DE VALBUENA »
Venons-en maintenant à l’équipe de France. Cette année, il y a eu plusieurs options mises en place par les deux sélectionneurs. Que faut-il retenir d’important de 2012 d’un point de vue tactique ?
Le dernier truc qui m’a marqué, c’est l’éclosion de Valbuena en numéro 10. Je n’ai pas été agréablement surpris, parce que je n’aime pas particulièrement le joueur, mais j’ai été très surpris par son niveau. Pendant la période Domenech, puis pendant la période Blanc, on a donné les clés à des joueurs qui vont utiliser le ballon pour la possession, qui vont trop le porter, je pense à Nasri, alors que la solution quand on a des flèches sur les côtés comme Ribéry ou Ménez, c’est de mettre un joueur qui libère le ballon rapidement, qui va créer des surnombres dans les intervalles, et Valbuena correspond exactement à ça. On le reverra en numéro 10 en 2013.
Entre Laurent Blanc et Didier Deschamps, y a-t-il des différences importantes en terme d’organisation tactique ? On aurait tendance à dire rapidement que Blanc privilégiait le beau jeu et l’attaque, alors que Deschamps préfèrerait un jeu plus défensif basé sur le contre. Est-ce juste ?
C’est en partie ça. Blanc a voulu faire jouer à l’équipe de France le jeu qu’il a défendu, l’idée de beau jeu c’est extrêmement vague, mais c’est de la communication. Deschamps est pragmatique. Il fait avec les forces de l’équipe aujourd’hui. Blanc voulait amener l’équipe à un idéal, mais il n’avait pas les joueurs pour. Il s’est heurté à des problèmes d’égo et à ses limites personnelles, parce qu’il n’avait pas la carrure pour prendre en main l’équipe de France. D’ailleurs il n’a toujours pas retrouvé de club.
« J’AI UNE ANECDOTE AU SUJET DE BLANC »
On reste, et c’est dommage pour lui, sur cette option tactique surprenante contre l’Espagne avec Debuchy et Réveillère avec le succès qu’on sait, alors qu’on a vu Deschamps contre la même équipe d’Espagne qui a changé son fusil d’épaule à la mi-temps avec un résultat bien meilleur...
J’ai une anecdote à ce sujet. L’année du titre, Bordeaux s’est retrouvé à neuf contre onze à Grenoble. Et sur le banc de touche, on a vu l’adjoint de Blanc, Jean-Louis Gasset, montrer à Blanc comment jouer en 3-4-1 pour ressortir par les côtés, contrer et marquer, ce qui s’est passé. Depuis c’est resté, Blanc n’apparaît pas comme quelqu’un qui pouvait avoir des solutions de coaching.
Deschamps face à l’Espagne a bien senti la grosse baisse de régime des Espagnols à l’heure de jeu avec le basculement en 4-2-3-1 en faisant entrer Valbuena et Sissoko, les Français jouent plus haut, Valbuena casse le pressing espagnol, du coup ils ne peuvent plus garder le ballon au milieu. Je pense que Blanc n’aurait jamais eu cette lecture du match.
Les deux sélectionneurs ont en commun une expérience d’entraîneur de club. Peut-on déduire de leurs options tactiques en club ce qu’ils font en sélection ?
Dans les organisations, non. Le sélectionneur fait avec sa sélection. Dans le style de jeu, j’ai revu la possession stérile sans profondeur de Blanc à Bordeaux. Avec Deschamps, je retrouve ses principes de l’OM de l’année du titre avec un milieu solide.
Le dernier milieu Capoue-Matuidi-Sissoko est-il dicté par les circonstances et les forfaits, ou Deschamps va-t-il se dire « bonne pioche, on continue comme ça » ?
Contre l’Espagne, le milieu en question a été en difficulté en première mi-temps, avec Gonalons. Je pense qu’il va conserver Valbuena, qui est plus complémentaire avec Giroud qu’avec Benzema. Mais Deschamps est pragmatique, il va tenir compte de l’adversaire surtout quand celui-ci est plus fort. Contre l’Espagne en mars, on aura peut-être un milieu densifié, avec sans doute Diaby s’il est rétabli. Ça dépendra aussi de l’état de forme des joueurs à cette époque, si l’Espagne a aussi des blessés comme Xabi Alonso ou Busquets. Mais à l’inverse de Laurent Blanc où on avait onze types installés, avec Deschamps il y aura toujours deux ou trois changements selon les adversaires.
Pour parler de complémentarité, Deschamps a testé ce que la presse demandait pendant l’Euro, l’association Benzema-Giroud qui n’a rien donné. En 2013, ce sera l’un ou l’autre ?
Il y a un gros problème, c’est les habitudes de Benzema au Real, qui dézone sur les ailes pour que ses ailiers prennent l’intérieur. S’il fait ça avec les Bleus, il va se retrouver dans la zone de Ribéry à gauche ou de Ménez à droite. Et dans ces mouvements, il offre un appui mais n’offre quasiment jamais de profondeur, il ne provoque pas. Soit il change son jeu, soit il redevient un buteur comme à Lyon. Benzema où Giroud ? C’est compliqué à dire car Benzema joue à Madrid, ça montre ses qualités. Giroud joue à Arsenal, même si cette saison il y a une petite régression.
« BENZEMA-VALBUENA, CE N’EST PAS COMPLÉMENTAIRE »
Sur la complémentarité avec le numéro 10, si on n’en met qu’un des deux : Valbuena est un central winger, comme dit Zonal Marking, qui est dans l’axe au départ, et qui va créer des surnombres en se glissant dans les intervalles. Özil au Réal, Götze à Dortmund le font aussi. Mais si Valbuena fait ça, l’attaquant ne doit pas le faire, sinon il n’y a plus personne dans l’axe. Benzema-Valbuena, je ne vois pas ça complémentaire. Donc plutôt Valbuena qui va sur les côtés, et Giroud qui reste dans l’axe. Et inversement, si on garde Benzema sur les côtés, un joueur comme Gourcuff qui est plus axial sera beaucoup plus utile. Benzema-Gourcuff, ou Benzema-Grenier, ça me paraît complémentaire.
Que penses-tu de la charnière Koscielny-Sakho ?
J’avoue que l’aspect défensif et les défenseurs centraux, ce n’est pas là où je me sens le plus à l’aise. Dans la qualité de relance, Koscielny a la capacité à porter le ballon et à franchir le premier rideau, puisque les défenseurs centraux sont lâchés quand l’équipe adverse a des lignes resserrées. Après, il a des trous d’air régulièrement avec Arsenal, même si ses derniers matches avec l’équipe de France sont plutôt bons. On peut en faire un potentiel titulaire si le facteur relance est important. Est-ce le cas pour Deschamps ? J’en suis pas persuadé. Il cherche des défenseurs forts dans les duels et irréprochables, c’est pour ça que Mexès est hors-circuit en ce moment. Même chose pour Rami.
L’éclosion de Matuidi au milieu de terrain et sa capacité d’aller d’une surface à l’autre, connaissant le profil de Deschamps, ça en fait un élément important dans le dispositif ?
Quant on regarde l’ossature de son milieu de terrain à Marseille, il avait un démolisseur en 6, Diarra, un « box-to-box » créateur en 8, Cheyrou, et un créateur en 10 avec Lucho. Deschamps reste sur ce modèle-là, un 6-8-10, et c’est sûr qu’en 8, Matuidi s’est posé en numéro 1 dans son registre. Ça peut être un gros concurrent à Diaby s’il revient. Aujourd’hui, le milieu titulaire avec une pointe basse, ce serait Capoue ou Gonalons, Matuidi et Cabaye. S’il faut enlever un de ceux-là, pour mettre un 10 comme Valbuena, fera-t-il sauter le 6 ou un 8 ?
C’est l’option Hidalgo contre l’option Jacquet en quelque sorte, trois créateurs ou trois défensifs au milieu.
Deschamps optera plutôt pour le 2+1 ou le 1+2, selon les adversaires. Je ne le vois pas mettre trois créateurs à la Hidalgo, même contre la Finlande. Il gardera un défensif. Il est plus dans l’équilibre que dans tout pour la défense ou tout pour l’attaque.