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Tous deux nés dans les années 30, le 22 mai 1933 pour Michel Hidalgo, le 30 mars 1939 pour Robert Herbin, ils sont morts à un mois d’intervalle, respectivement le 26 mars et le 27 avril d’un printemps 2020 décidément sinistre.
Ils ont tous deux joué avec Raymond Kopa en sélection, évolué sous les ordres d’Albert Batteux en club et en sélection, collectionné les titres nationaux, participé à une finale de Coupe d’Europe des clubs champions, dirigé Dominique Rocheteau et Michel Platini et perdu contre Karl-Heinz Rummenigge. Entre Herbin et Hidalgo, il y a bien plus qu’une initiale en commun.
Snella, Batteux : les inspirateurs
Leur carrière en club est légèrement décalée dans le temps : Hidalgo débute en pro en 1952 au Havre à 19 ans, tandis que Herbin intègre l’AS Saint-Etienne à 18 ans, en 1957. En 1954, Hidalgo part au Stade de Reims où il est dirigé par Albert Batteux, alors que Robert Herbin évolue sous les ordres de Jean Snella. Batteux, Snella, c’est le tandem gagnant de la Coupe du monde 1958 en Suède. Autant dire qu’ils marquent durablement les jeunes joueurs qui s’épanouissent sous leurs ordres. On dit souvent que les grands entraîneurs sont durablement marqués par ceux qui les ont dirigés : même s’ils ont tracé leur voie de manière originale et personnelle, Hidalgo et Herbin ne pouvaient rêver meilleurs mentors.
De la Coupe d’Europe des Nations à l’Euro
La France accueille en juillet 1960 la toute première édition d’une nouvelle compétition, la Coupe d’Europe des Nations. Le carré final se joue sur quatre matchs (demi-finales et finales) et lors de la demi-finale contre la Yougoslavie au Parc des Princes, Robert Herbin fait ses débuts en sélection en défense centrale aux côté de l’expérimenté Jean-Jacques Marcel. C’est une catastrophe, ponctuée de trois buts encaissés en trois minutes alors que la France menait 4-2.
Vingt-quatre ans plus tard, le deuxième Euro de l’histoire est organisé en France et Michel Hidalgo dispose d’une équipe imprenable qui va réussir un carton plein, emmenée par un Platini en état de grâce (9 buts en 5 matchs) et une concurrence amoindrie par les absences de l’Italie, de l’Angleterre et de l’URSS. Menés 1-2 en demi-finale par le Portugal, les Bleus renversent tout et l’emportent grâce à deux buts marqués aux 115e et 119e minutes. C’est l’avant-dernier match de Michel Hidalgo comme sélectionneur.
Ils se croisent en sélection au printemps 1962, aux côtés de Kopa
Si Michel Hidalgo ne compte qu’une cape en équipe de France, le hasard a voulu qu’elle ait eu lieu trois semaines après la deuxième sélection de Robert Herbin, le 5 mai 1962. Ce jour-là, Hidalgo remplace Stéphane Bruey à la mi-temps d’un match amical contre l’Italie. Robert Herbin avait pour sa part joué en défense centrale face à la Pologne, le 11 avril. Tous deux évoluent pour la seule fois de leur carrière internationale aux côtés de Raymond Kopa, qui joue ses tous derniers matchs en Bleu. Et ils sont entraînés par Albert Batteux, lequel démissionnera à l’issue de la défaite contre l’Italie. Michel Hidalgo, symboliquement, aura donc été le tout dernier joueur qu’il aura lancé en équipe de France.
Neuf titres de champion de France et cinq Coupes de France à eux deux
C’est en club que ces deux-là ont connu les plus grands moments de leur carrière de joueur. Michel Hidalgo rafle trois titres de champion de France avec Reims (1955) puis Monaco (1961 et 1963) et deux Coupes de France, toujours avec Monaco (1960 et 1963). Et aussi une Coupe Drago en 1961 [1]. C’est déjà un beau palmarès.
Mais que dire de celui de Robert Herbin ? Champion de France 1964, 1967, 1968, 1969, 1970 et 1975, vainqueur de la Coupe de France en 1962, 1968 et 1970, le tout avec un seul club, Saint-Etienne. Et pour la moitié d’entre eux, avec Albert Batteux comme entraîneur, qui fait de Herbin son capitaine dès son arrivée en 1967.
En vingt ans, Hidalgo et Herbin auront gagné presque la moitié des championnats et une Coupe de France sur quatre. Et le premier aura battu le deuxième lors de la finale de Coupe de France Monaco-Saint-Etienne en juin 1960, ce qu’il n’a pas manqué de rappeler dans la préface qu’il a consacré au livre On m’appelle le Sphinx, publié en 1983.
Leur longévité en tant que professionnel au plus haut niveau est aussi remarquable. En quatorze ans, Michel Hidalgo dispute 434 matchs en club pour 74 buts. Robert Herbin fait mieux avec 491 matchs et 98 buts en quinze saisons, et cerise sur le gâteau, un tout dernier tour de piste le 3 juin 1975 contre Troyes, alors qu’il est entraîneur. Il joue lors de la dernière journée de championnat et marque un pénalty, le 99e but de sa carrière en Vert.
Stars du banc dans les années 70
Si Michel Hidalgo termine sa carrière professionnelle en 1966, à l’époque où Robert Herbin dispute la Coupe du monde en Angleterre et s’apprête à devenir quadruple champion de France avec les Verts, les deux accèdent aux responsabilités au début des années 70. Hidalgo intègre la DTN aux côtés du sélectionneur Georges Boulogne, puis devient celui de Stefan Kovacs en septembre 1973.
Robert Herbin lui met un terme à sa carrière de joueur en 1972 à la demande de Roger Rocher qui lui offre le poste d’entraîneur laissé vacant par la démission d’Albert Batteux. Il s’appuie sur le centre de formation et les jeunes de la Gambardella et enchaîne trois titres consécutifs en 1974, 1975 et 1976, rehaussés par deux Coupes de France en 1975 et 1976. A seulement 37 ans, il est le Sphinx, celui qui reste de glace quand tout s’emballe sur la pelouse et dans les tribunes.
Michel Hidalgo devient sélectionneur fin 1975, et dirige son premier match le 27 mars 1976, onze jours après le retour fantastique ASSE-Kiev en quart de finale de Coupe d’Europe et quatre jours avant la demi-finale aller à Eindhoven contre le PSV. En février, lors d’une conférence de presse, il dit qu’il « veut l’avis de tous les techniciens mais qu’il s’appuierait plus spécialement sur Herbin et Peyroche ». En mars, il se passe de tous les Stéphanois afin de les préserver. Il s’appuie plutôt sur des jeunes joueurs prometteurs comme Platini, Six et Bossis.
Finalistes européens à vingt ans d’intervalle
Robert Herbin connaît l’apogée de sa carrière d’entraîneur le 12 mai 1976 à Glasgow. Dans son équipe, il compte pas moins de huit internationaux français au coup d’envoi : les défenseurs Lopez, Janvion et Repellini, les milieux Larqué et Bathenay et les trois attaquants Sarramagna, Hervé Revelli et Patrick Revelli plus un neuvième en fin de match (Dominique Rocheteau). Un dixième, Christian Synaeghel, est forfait. Un onzième, Alain Merchadier, est sur le banc. Les Verts touchent deux fois la barre en première mi-temps (par Bathenay puis Santini), et Roth donne la victoire au Bayern sur coup franc (1-0).
C’est l’un des nombreux points communs entre les deux hommes : Michel Hidalgo avait disputé sur le terrain la toute première finale de la Coupe d’Europe, le 13 juin 1956 au Parc des Princes. Il est ailier droit d’une ligne offensive qui compte aussi Léon Glovacki, Raymond Kopa, René Bliard et Jean Templin. Reims ouvre le score et mène même 2-0 après dix minutes. Les Madrilènes égalisent avant la demi-heure de jeu, mais à la 62e, Michel Hidalgo redonne l’avantage à Reims (3-2). Le Real l’emportera finalement 4-3.
Platini en partage (1979-1982)
Les parallèles vont à nouveau se rapprocher à l’été 1979. Depuis un an, le président Rocher a décidé de changer d’optique et de recruter des grands noms, comme Bernard Lacombe (un échec), Johnny Rep et surtout Michel Platini, convoité par les clubs italiens. Ce dernier, alors meilleur joueur français, aura donc les deux meilleurs entraîneurs de l’époque, Robert Herbin en club et Michel Hidalgo en sélection. Les trois années qu’il passe à Saint-Etienne le font changer de dimension, mais c’est au détriment de la sélection où ses performances sont très irrégulières jusqu’en novembre 1981. En club, il est champion de France 1981, perd deux finales de Coupe de France consécutives (contre Bastia en 1981 et le PSG en 1982) et se fait souffler d’un point un deuxième titre national. Il réussit des coups en Coupe de l’UEFA, dont un 6-0 contre Eindhoven en octobre 1979 et un 5-0 à Hambourg un an plus tard, des exploits qui ne débouchent sur rien.
Rummenigge, toujours là où il ne faut pas
S’il est un joueur adverse qui a bien aimé croiser la route de ces deux-là, c’est sûrement Karl-Heinz Rummenigge. L’attaquant du Bayern Munich a joué la fin de la demi-finale retour d’avril 1975, où il remplace Conny Torstensson à la 71e, alors que le Bayern mène 2-0 et a bien en main son billet pour sa deuxième finale européenne. Il est encore là à Glasgow, un an plus tard, pour la finale historique. Cette fois il est titulaire, et il gagne encore (1-0).
Face à Michel Hidalgo, il commence par perdre avec la RFA en amical, le 23 février 1977 au Parc (0-1). Mais il prend sa revanche à Séville cinq ans plus tard, en demi-finale de Coupe du monde. Blessé avant le match, il remplace Briegel au début de la prolongation, juste avant le but du 3-1 signé Giresse. Il ne lui faut que cinq minutes pour réduire le score et galvaniser ses coéquipiers en tapant dans ses mains. La suite, on la connait : 3-3, tirs au but, Rummenigge marque le dernier de la série de cinq juste après Platini. Et offre une balle de match à Hrubesch. Janvion, Lopez et Rocheteau, qui l’avaient croisé six ans plus tôt à Glasgow, ne peuvent plus le voir en peinture.
Au revoir et merci (1983-1984)
Robert Herbin quitte (une première fois) l’AS Saint-Etienne à l’hiver 1983, au milieu d’une saison pourrie par l’affaire de la caisse noire et l’inculpation de l’ex-président Roger Rocher. Il ne retrouvera jamais son niveau d’entraîneur, malgré un retour quatre ans plus tard (1987-1990) et une quatrième place en 1988.
Michel Hidalgo quitte l’équipe de France dans de bien meilleures circonstances, en juin 1984 au terme d’un Euro parfaitement maîtrisé. Il cède sa place à une figure emblématique du FC Nantes, Henri Michel.
Les parallèles disparaissent derrière l’horizon en ce printemps 2020. Aux grands hommes, le peuple du football français reconnaissant.