Histoire des France-Espagne (1) : les années Zamora

Publié le 3 avril 2013 - Bruno Colombari

Le derby des Pyrénées n’a vu le jour qu’en 1922. Mais jusqu’à la coupe du monde 1950, les Bleus ont été corrigés sept fois sur huit, butant sur le grand gardien Ricardo Zamora, surnommé El Divino.

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Créée en 1920, la sélection espagnole grimpe rapidement dans la hiérarchie mondiale : médaille d’argent aux JO de 1920, quart-finaliste de la coupe du monde 1934 et quatrième en 1950. Contre les Bleus, elle gagne sept fois sur huit, marque trente fois et n’encaisse que trois buts.

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Paulino Alcantara nous fait des misères

Il faut attendre le cinquantième match de l’équipe de France pour la voir affronter son voisin espagnol [1], et pour cause : les débuts de la Roja ne datent que de 1920. Disputée à Bordeaux le 30 avril 1922, la rencontre ne passionne pas les Bleus, notamment ceux du Red Star qui préparaient la finale de la coupe de France. Il faudra les menacer de suspension pour qu’ils se décident à faire le déplacement, en traînant les pieds [2] ; score final, 0-4 dont un doublé du grand Paulino Alcantara, gabarit de crevette et buteur prolifique du FC Barcelone. L’Espagne alignait aussi un des plus célèbres gardiens de son histoire, Ricardo Zamora [3]. Sorte de David Beckham de l’époque, El Divino, qui se faisait remarquer dans les rues de Barcelone avec son cabriolet aura droit à un film intitulé Enfin Zamora se marie [4].

Gamblin de l’autre côté du miroir

Sept mois plus tard, le 28 janvier 1923, une revanche est organisée côté sud des Pyrénées, à Saint-Sébastien. Le gardien français Pierre Chayriguès rejoignait la sélection après neuf ans d’absence et les Bleus alignaient une équipe a priori plus solide. Mais la très grave blessure d’Henri Bard (arrachement de la malléole et fracture de la cheville, sans quitter le terrain) n’aida pas les Français qui s’inclinent encore (0-3). Lucien Gamblin quitte (provisoirement) la sélection pour se recycler dans la presse écrite et attaquer durement les Bleus dans les colonnes de l’Auto (l’ancêtre de l’Equipe). Il sera rappelé deux fois au printemps avant de raccrocher pour de bon.

Cottenet, le gardien qui n’aimait pas plonger

Quatre ans plus après, c’est à Colombes que les deux sélections se retrouvent le 22 mai 1927, le jour où l’Américain Charles Lindbergh réussit la traversée de l’Atlantique en avion. Les Bleus viennent de faire un match nul encourageant contre l’Italie (3-3) et n’ont perdu que deux de leurs huit dernières sorties, et sont donc modérément optimistes. Ils ont tort. Tout d’abord parce qu’ils alignent dans les cages sans doute le pire gardien de leur histoire, Maurice Cottenet, dont la particularité était qu’il n’aimait pas plonger (un mois plus tard, il finira sa carrière internationale par un magnifique 1-13 en Hongrie, portant son total de buts encaissé à 69... en 18 sélections). Ensuite, parce que le match tourne au carnage : blessures de Maurice Gallay et de Jules Dewaquez côté français, de Ricardo Zamora et de Felix Perez côté espagnol. Comme un seul changement par équipe était autorisé, les protagonistes ont fini à dix contre dix. Et 4-1 pour l’Espagne, avec deux pénalties transformés en début et en fin de match.

A Saragosse, après la corrida

Le 14 avril 1928 à Saragosse, les Bleus vont toucher le fond. Après avoir prié pour eux à la Vierge del Pilar, et assisté à une corrida en plein soleil en attendant le match fixé à 19h, les partenaires de Paul Nicolas s’effondrent, vaincus par la canicule et par un gardien, Laurent Henric, redoutablement médiocre. Quand Emile Veinante marque le seul but français à la 81e, le score est déjà de 8-0, dont un quadruplé de Gaspar Rubio qui allait faire les beaux jours du Real Madrid. C’est aussi la dernière fois que l’équipe de France encaissera plus de six buts.

Le premier remplacement tactique des Bleus

Il faudra attendre le 23 avril 1933 pour voir la première victoire française à Colombes. Les Bleus l’emportent sur le plus court des scores (1-0, but de Jean Nicolas), mais le gardien Ricardo Zamora a fait des miracles dans les cages espagnoles. Deux remplaçants français sont rentrés en cours de jeu (Jules Cottenier et Georges Verriest), ce qui allait créer une polémique : en effet, il n’était possible à l’époque de ne remplacer que des joueurs blessés. Or Joseph Kaucsar est sorti valide.

Frente popular contre Front populaire

Le 24 janvier 1935, l’Espagne prend sa revanche à Madrid (2-0) au cours d’un match où le public envahit le terrain après le deuxième but marqué par Juan Hilario, obligeant la police à intervenir. Cette rencontre est le dernier France-Espagne d’avant guerre : dix-sept mois plus tard, le Frente Popular est attaqué par la junte menée par Franco et la péninsule sombre dans trois ans de guerre civile. Pendant ce temps, le Front populaire français commence dans l’euphorie mais s’effondre à Munich deux ans plus tard.

Simonyi et sa caméra, bien avant Dhorasoo

La rencontre suivante est la seule jouée par l’équipe de France pendant l’Occupation et elle eût lieu à Séville le 15 mars 1942. Un match rendu sans signification compte tenu des circonstances (pas de championnat de France, suppression du professionnalisme et matches réduits à 80 minutes par le régime de Vichy). L’Espagne, qui n’était pas engagée dans le conflit mondial, l’emporte facilement (4-0) alors que l’attaquant français André Simonyi joue les cinéastes amateurs avant le match, en ancêtre de Vikash Dhorasoo.

Quand le sélectionneur demande sa démission par voie de presse

Les deux équipes ne se croiseront à nouveau que le 19 juin 1949 à Colombes. Gabriel Hanot [5], co-sélectionneur avec Gaston Barreau, paiera cher la défaite cuisante (1-5), la dernière à domicile par quatre buts d’écart avant le France-Pologne d’août 1982 (0-4). Un seul Rémois est aligné parmi les titulaires, le capitaine Albert Batteux, alors que Reims vient d’être sacré champion de France. Estanislao Basora réussit un triplé en onze minutes en première mi-temps. A noter que Gabriel Hanot, par ailleurs journaliste à l’Equipe, demande lui-même un changement d’hommes à la tête de la sélection dans un article non signé publié dans le quotidien sportif du 21 juin [6]. Autre époque !

[1Sauf mention contraire, l’essentiel des informations de cet article sont tirées de L’intégrale de l’équipe de France de football, de Jean-Michel Cazal, Pierre Cazal et Michel Oreggia, First Editions

[2Didier Braun y a consacré un article dans son blog Une autre histoire du foot

[3Que l’IFFHS a classé cinquième meilleur gardien du 20e siècle

[4Anecdote racontée par Paul Dietschy dans son Histoire du football, éditions Perrin

[5Qui sera à l’origine de la coupe d’Europe des clubs champions dans un article de l’Equipe de décembre 1954

[6Raconté dans La fabuleuse histoire du football de Jacques Thibert et Jean-Pierre Réthacker, éditions ODIL

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