Lucien Gamblin, capitaine trois étoiles

Publié le 19 septembre 2022 - Richard Coudrais

Lucien Gamblin (1890-1972) fut le capitaine de la première équipe de France vainqueur de l’Angleterre en 1921. Sa carrière a été interrompue par la Grande Guerre, ce qui ne l’a pas empêché d’honorer dix-sept sélections en équipe de France.

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Lucien Gamblin a consacré toute sa carrière de footballeur au Red Star. Le club audonien lui a procuré ses plus grandes joies sportives avec notamment les trois Coupes de France remportées consécutivement entre 1921 et 1923. La sélection nationale lui a également apporté son lot de satisfactions : l’aventure des Jeux Interalliés de 1919 et surtout, la victoire historique contre l’Angleterre en 1921.

Le coup d’épaule généreux

On décrit Gamblin comme un personnage au caractère entier, plein de verve, bourru mais doté d’un grand cœur. Son autorité n’avait d’égale que son courage et un comportement exemplaire sur le terrain. Doté avant tout de qualités physiques exceptionnelles telles que la détente et la vitesse, il était un arrière intransigeant, dur sur l’homme. Le journal L’Auto l’a considéré, dans son édition du 15 février 1938, comme « le plus typique et le plus pittoresque » des capitaines de l’équipe de France.

Dans son livre “Héros du sport, héros de France” publié en 1947, Bernard Buisson en dresse un succulent portrait : "Tous les avants de son époque sont restés camus devant ce Porthos au teint généreux et au coup d’épaule plus généreux encore. Il était fort comme un taureau et tout aussi entêté dans ses résolutions ; bref, pas commode à friser. Dewaquez, Boyer, Bard et autres attaquants notoires peuvent en témoigner : Gamblin ne plaisante qu’à table, sans oublier de demander qu’on repasse le plat”.

Le jeune arrière du Red Star, né le 22 juillet 1890 à Ivry-sur-Seine, connaît sa première sélection à l’âge de 20 ans le 23 avril 1911 à l’occasion d’un déplacement à Genève contre la Suisse. L’ambiance est plutôt morose. L’équipe de France n’a plus gagné un seul match depuis trois ans. Pire, depuis leur dernière victoire en 1908 (contre… la Suisse), les Tricolores ont connu 13 défaites en 14 rencontres. Un match nul bienvenu deux semaines plus tôt contre les Italiens a mis fin à la peu glorieuse série.

Gamblin fait équipe avec Charles Bilot, du CA Paris (on joue à deux arrières à l’époque). Les tensions sont vives dans l’équipe, notamment entre joueurs de championnats concurrents, la LFA (Ligue de football association) et le FGSPF (les patronages). Déjà handicapée par de nombreux forfaits, la sélection française joue quasiment à dix après l’exil sur l’aile de Jean Ducret suite à une blessure. L’équipe suisse mène 4-0 à la mi-temps, ajoute un cinquième but en deuxième période mais un sursaut d’orgueil permet aux Français de réussir une bonne fin de match et de réduire l’écart par deux fois (5-2).

En doublette avec Hanot

Quand Gamblin revient en équipe de France deux ans plus tard, les choses ont un peu évolué. L’équipe nationale a repris goût à la victoire, avec quelques succès significatifs, notamment contre l’Italie. Elle peut compter en outre sur un très bon gardien, Pierre Chayriguès. Le 27 février 1913, c’est l’Angleterre qui débarque à Colombes, et même s’il s’agit de l’équipe amateur, cela reste un adversaire insurmontable. La défaite 4-1, dans ces circonstances, reste une satisfaction pour les Français, et tout particulièrement pour les arrières Lucien Gamblin et Fernand Massip, trois sélections à eux deux.

Le joueur du Red Star est désormais régulièrement appelé dans l’arrière-garde de l’équipe nationale. Il connaît sa première victoire lors de sa troisième sélection et quelle victoire : 8-0 contre le Luxembourg. Jamais l’équipe de France n’avait réalisé un score de cette envergure. Le record, parfois égalé, tiendra 82 ans. Gamblin est pour la première fois associé à Gabriel Hanot, un duo qui constituera une fameuse doublette défensive.

Les deux hommes évolueront ensemble en 1914 contre la Belgique à Lille (victoire 4-3), contre la Suisse à Saint-Ouen (match nul 2-2) et contre l’Italie à Turin (défaite 2-0). Lucien Gamblin sera absent pour la mini-tournée en Hongrie, qui seront les derniers matchs de l’équipe de France avant la Grande Guerre.

Envoyé sur le front, Gamblin ne participe pas aux rencontres de guerre de l’équipe de France. Il se distingue au combat, puis dans la guerre des mines, où il parvient à s’infiltrer dans les galeries ennemies pour recueillir de précieuses informations. Il sortira élevé au grade de capitaine avec neuf citations.

  • L’Auto du 11 mars 1909 (BNF Gallica)


Contre son camp

Le premier match de l’après-guerre a lieu à Bruxelles et Gamblin est de la partie, avec quatre autres rescapés : Maurice Mathieu, Marcel Triboulet, Emilien Devic et le capitaine Gabriel Hanot. Le capitaine du Red Star se distingue en marquant... contre son camp. C’est le premier international français à réaliser cet exploit peu enviable. Heureusement, son camarade Hanot, qui ce jour-là est posté en attaque, marque dans les dix dernières minutes les deux buts qui permettent aux Tricolores de décrocher le match nul (2-2).

Si Hanot, Triboulet et Mathieu terminent sur ce match leur carrière internationale, ce n’est pas le cas de Gamblin qui reste, à vingt-neuf ans, en pleine forme. En juin, les Jeux Interalliés sont organisés au stade Pershing, que les Américains viennent de construire dans le bois de Vincennes. L’événement, réservé aux militaires qui ont participé au conflit, a pour but de célébrer la victoire des alliés à travers des épreuves sportives à la manière des Jeux olympiques.

Pour le tournoi de football, qui réunit huit équipes, c’est au Capitaine Gamblin que l’on demande de constituer l’équipe de France militaire ( [1]). Après trois victoires sans encaisser le moindre but, la France s’incline en finale contre la Tchécoslovaquie, le gardien Chayriguès ayant été contraint de sortir sur blessure.

  • L’Auto du 30 juin 1919 (BNF Gallica)


Marron

Le football français se structure quelque peu. Une compétition nationale ouverte à tous les clubs de France, la Coupe de France, a été mise sur pied en 1917. Deux ans plus tard est fondée la FFFA, fédération française de football association, dans le but de regrouper l’ensemble des initiatives footballistiques sous une seule bannière. C’est elle qui veille désormais aux destinées de l’équipe de France.

La Coupe de France et l’équipe de France seront les moteurs de la carrière de Lucien Gamblin. Celui-ci ne peut répondre à toutes les convocations internationales du fait de ses activités professionnelles (il est chef du service de comptabilité d’une importance maison de nouveautés). Peut-être aussi, en cette période d’amateurisme marron, considère-t-il les défraiements accordés un peu légers vu les services apportés.

En mars 1920, il est présent à Paris pour une rencontre face aux Belges qui préparent les Jeux olympiques d’Anvers, qu’ils comptent bien remporter. La Belgique a battu un mois plus tôt l’équipe d’Angleterre amateur et présente une opposition redoutable. Les Français vont pourtant s’imposer 2-1.

La confiance retrouvée de la sélection tricolore vole en éclats une semaine plus tard quand la sélection anglaise, celle des amateurs toujours, s’impose 5-0 à Rouen. Pour son premier match en tant que capitaine, Lucien Gamblin avait sans doute espéré un meilleur résultat. Retenu par ses obligations, il ne pourra se rendre à Anvers pour le tournoi olympique, que remportera l’équipe belge.

Gamblin effectue son retour en mars 1921 au Parc des Princes. L’équipe de France est pour la première fois opposée à celle d’Irlande, dont le pays est en pleine guerre d’indépendance. Les amateurs d’Erin s’imposent 2-1, tout comme s’imposeront l’Italie à Marseille (2-1) puis la Belgique (championne olympique en titre) à Bruxelles.

Capitaine de l’exploit

Cette année 1921 pourrait être considérée comme calamiteuse (cinq rencontres, quatre défaites) mais elle sera marquée par un exploit gigantesque : la première victoire de l’équipe de France contre l’Angleterre. Ce 5 mai historique reste pourtant un mauvais souvenir pour Gamblin. Souffrant d’une douleur au dos juste avant le coup d’envoi, il demande au sélectionneur de ne pas le titulariser. Ce dernier fait la sourde oreille et le maintient sur le terrain. Gamblin souffre le martyr. A la pause, il demande à sortir, mais il doit rester, puisque les remplacements n’existent pas. A l’issue de la rencontre, il est conduit à l’hôpital où il restera allongé pendant huit jours, à cause d’une déchirure au niveau des lombaires : “J’ai terriblement souffert pendant ce match, mais j’aurais regretté toute ma vie de ne pas l’avoir joué !”.

Quelques jours avant l’exploit, Gamblin avait remporté la Coupe de France avec le Red Star aux dépens de l’Olympique de Paris. La finale à Pershing, remportée 2-1 par les Audoniens, avait été marquée par une fin de match cocasse où Gamblin, coupable d’avoir arrêté le ballon des deux mains sur la ligne de but, concéda un penalty susceptible de remettre l’Olympique à égalité. Mais le capitaine du Red Star s’employa à déconcentrer Devaquez et la frappe de celui-ci fut facilement arrêtée par Chayriguès.

Remporter la Coupe de France représente une consécration pour Gamblin. A tel point qu’il songe déjà à se retirer des terrains. Il rêve en effet de terminer sa carrière au sommet. L’équipe de France, en outre, commence à le délaisser. En 1922, les sélectionneurs décident d’intégrer un grand nombre de joueurs provinciaux, au détriment des Parisiens. Mais le résultat laisse à désirer.

Gamblin est donc de retour en janvier 1923 pour un déplacement en Espagne, à San Sebastian. Son influence reste importante : il parvient à convaincre les sélectionneurs de titulariser pas moins de sept joueurs du Red Star. Cela n’empêchera pas l’Espagne, une des meilleures sélections de l’époque, de s’imposer largement 3-0. Gamblin, complètement dépassé par la vivacité des attaquants espagnols, n’a pas été bon. Les sélectionneurs lui signifient qu’il ne sera plus rappelé.

  • L’Auto du 22 mars 1923 (BNF Gallica)


Plume et crampons

Le joueur range alors ses crampons et s’empare de sa plume. L’Auto fait appel à lui pour rédiger le compte-rendu des matchs futurs de l’équipe de France. L’ancien capitaine se montre aussi tranchant que sur le terrain. Comment ne pas être critique quand ses anciens coéquipiers sont battus 4-1 en Belgique, puis 8-1 aux Pays-Bas ? « A un an des Jeux olympiques de Paris, le temps presse, publie le journaliste. Des jeunes, oui ! Mais quand ils seront prêts... »

Pour le match suivant contre la Suisse à Pershing, on rappelle donc les anciens, parmi lesquels... Gamblin lui-même. Rapidement menés 0-2, les Français reviennent au score et arrachent un méritoire match nul. Gamblin a réalisé un match exemplaire. Il sera tout aussi bon à l’occasion de la finale de la Coupe de France, la troisième consécutive qu’il remporte avec le Red Star.

Quatre jours après la finale, il est de nouveau titulaire en équipe de France pour la réception de l’équipe d’Angleterre, laquelle aligne pour la première fois des joueurs professionnels. L’équipe de France, composée de joueurs expérimentés, mais toujours amateurs, réalise un match remarquable et ne perd que 4-1, grâce une nouvelle fois à un Chayriguès exceptionnel. Et alors qu’en fin de rencontre, le public envahit le terrain pour porter le gardien de but en triomphe, Lucien Gamblin prend la décision de se retirer. Définitivement.

Il livre dans L’Auto ses commentaires sur le match contre les Anglais et lance ainsi sa seconde vie consacrée au football, celle de journaliste. Il devient un commentateur intransigeant vis-à-vis de l’équipe de France et un observateur attentif de l’évolution du jeu. Il fera de nouveau équipe avec Gabriel Hanot, au sein de L’Auto, puis de France-Football. Il publiera ses mémoires dans L’Auto en 1938. Il rédigera également des ouvrages pédagogiques sur ce magnifique sport qui lui a tant apporté. Il est mort le 30 août 1972 à Paris, à 82 ans.

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17 sélections, 4 victoires, 3 matchs nuls, 10 défaites

Sel.MatchDateLieuAdversaireScoreNotes
1 Amical 23/04/1911 Genève Suisse 2-5
2 Amical 27/02/1913 Colombes Angleterre 1-4
3 Amical 20/04/1913 Saint-Ouen Luxembourg 8-0
4 Amical 25/01/1914 Lille Belgique 4-3
5 Amical 08/03/1914 Saint-Ouen Suisse 2-2
6 Amical 29/03/1914 Turin Italie 0-2
7 Amical 09/03/1919 Bruxelles Belgique 2-2
8 Amical 28/03/1920 Paris Belgique 2-1
9 Amical 05/04/1920 Rouen Angleterre 0-5 (cap)
10 Amical 08/02/1921 Paris Irlande 1-2 (cap)
11 Amical 20/02/1921 Marseille Italie 1-2 (cap)
12 Amical 06/03/1921 Bruxelles Belgique 1-3 (cap)
13 Amical 05/05/1921 Vincennes Angleterre 2-1 (cap)
14 Amical 13/11/1921 Vincennes Pays-Bas 0-5 (cap)
15 Amical 28/01/1923 San Sebastian Espagne 0-3 (cap)
16 Amical 22/04/1923 Vincennes Suisse 2-2 (cap)
17 Amical 10/05/1923 Vincennes Angleterre 1-4 (cap)

pour finir...

Sources : Les sites FFF, Wikipédia, L’Equipe... Les ouvrages « L’intégrale de l’équipe de France de football » (First édition, 1998) de Pierre Cazal, Jean-Michel Cazal et Michel Oreggia, « La fabuleuse histoire du football » (Nathan, 1990) de Jacques Thibert et Jean-Phlippe Rethacker, « Héros du sport, héros de France » (1947) de Bernard Buisson

[1Lire l’article de François Da Rocha Carneiro « Le capitanat en équipe de France : esquisse de l’histoire d’un indispensable fantôme »

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