Au sein d’une équipe de football, une fonction remplie par un des joueurs ou une des joueuses semble incarner le gouvernement du groupe, le capitanat, qui s’apparenterait a priori à un gouvernement par les pairs. Il s’agit là d’une mission si évidente que ses contours en sont bien incertains. En effet, dans les quelques 240 pages que compte l’édition de la saison 2020-2021, les lois du jeu imposées par l’IFAB (International Football Association Board) n’y font mention qu’à cinq reprises :
– Introduction : « Les personnes d’autorité, et en particulier les entraîneurs et les capitaines d’équipe, ont une responsabilité claire envers le football : celle de respecter les arbitres et leurs décisions. » (p.11)
– L’avenir : « L’IFAB, en collaboration avec ses panels d’experts, continuera de discuter d’un certain nombre de sujets importants concernant les Lois du Jeu, notamment le comportement des joueurs, avec une amélioration potentielle du rôle du capitaine. » (p.18)
– Remarques relatives au jeu : « Les joueurs ont une grande responsabilité vis-à-vis de l’image du sport, et le capitaine de l’équipe devrait contribuer à ce que les Lois du Jeu et les décisions de l’arbitre soient respectées. » (p.21)
– Loi 3-Les joueurs, article 10 : « Capitaine de l’équipe. Le capitaine de l’équipe ne bénéficie d’aucun statut spécial ni de privilèges particuliers, mais est, dans une certaine mesure, responsable du comportement de son équipe. » (p.56)
– Loi 4 – Équipement des joueurs : « Dans certains cas, le slogan, la déclaration ou l’image peut n’apparaître que sur le brassard du capitaine. » (p.63)
Dans le capitaine, on voit donc tantôt le représentant des joueurs, interlocuteur des autorités, tantôt le garant du comportement collectif, sans trop savoir finalement en quoi consiste son rôle exact. Il s’agit donc là d’un bien étrange fantôme dont on ne décrit jamais ni la fonction, ni les critères de désignation, mais dont l’existence et les responsabilités semblent aller de soi. Il n’est d’équipe qui n’ait de capitaine.
C’est évidemment le cas de l’équipe de France qui, depuis le premier match officiel en 1904, n’a jamais disputé de rencontres sans avoir un capitaine.
Sur les quelques 914 joueurs internationaux depuis 1904, 122 ont tenu le rôle de capitaine, mais 39 ne l’ont été qu’à une seule reprise dont plusieurs seulement quelques minutes en fin de match et plus de la moitié au maximum à trois reprises. Évidemment, chacun de ces capitaines de l’équipe de France possède sa personnalité propre qui influe sans nul doute sur la fonction ou, parce que, très éphémère, n’a pas le temps de montrer sa façon d’être capitaine. Il n’en reste pas moins possible de proposer une histoire de cette charge en sélection et des représentations que les sportifs se font de ce mode de gouvernement entre pairs.
I. Un général / un patron : « la capacité du chef » (Lucien Gamblin, 1910)
1. Un général d’armée
Né en 1890, le général De Gaulle, s’il ne s’intéressait guère au football, résume assez bien ce que peut être un capitaine pour sa génération, celle qui se retrouve en équipe nationale avant la Première Guerre mondiale, lorsqu’il affirme dans ses Mémoires de guerre : « Le gouvernement n’a pas de propositions à faire, mais des ordres à donner ». C’est bien ainsi que se perçoit le capitaine des origines. Dans le manuel qu’ils publient en 1897, Eugène Fraysse et Neville Tunmer, deux pionniers du football en France, définissent ainsi la fonction :
« Du capitaine - Les nombreuses qualités que doit posséder un joueur pour remplir convenablement les fonctions de capitaine sont les mêmes requises d’un général ; son équipe est une petite armée qu’il doit savoir commander, instruire et diriger et celle-ci doit avoir une confiance illimitée en lui. Une équipe qui a foi dans les capacités de son chef possède déjà un des éléments qui doit la conduire à la victoire, comme, d’autre part, la force de ces onze joueurs dépend en grande partie de l’habileté de leur capitaine à les faire manœuvrer et à se faire obéir. S’il n’a pas la confiance de ses hommes, il ne saura pas se faire obéir et pour qu’il puisse maintenir la discipline il doit avoir sur eux la plus grande autorité ; car le succès dépend de l’obéissance passive des joueurs. Une équipe qui se permet de discuter les ordres et la façon de diriger le jeu de son chef ne fera jamais rien qui vaille, et comme celui-ci est responsable de la bonne conduite de ses équipiers, son autorité, tant qu’il est à leur tête, doit être absolue. »
Le capitanat se nourrit donc alors de conceptions militaristes bien plus que de l’idéal démocratique qui désignerait un des joueurs parmi les autres ou de l’esprit de camaraderie qui reconnaîtrait un leader sans lui confier une autorité excessive. Les auteurs précisent d’ailleurs :
« Cet emploi nécessite donc des qualités toutes spéciales qui ne s’acquièrent pas : c’est un don de la nature ; on naît bon général, on ne le devient pas et la science du commandement n’est pas donnée à tous. Aussi le choix d’un capitaine ne doit pas être fait à la légère et simplement en raison de son jeu personnel ou de ses bonnes relations de camaraderie. Une fois nommé, sa position doit être reconnue et acceptée de tous et ses ordres, pendant la partie, exécutés sans récriminations. »
Autorité naturelle, obéissance en exercice… Le profil d’une fonction qui n’existe officiellement pas pourtant se dessine dans ce manuel, qui dit ce qu’est le football à une période où sa pratique est encore assez confidentielle en France. À quoi sert donc ce capitanat ?
« Le 1er devoir du capitaine, une fois qu’il aura formé son équipe et qu’il aura distribué tous les rôles selon les aptitudes de chacun, sera de façonner les éléments parfois disparates dont il dispose et d’essayer d’en tirer le meilleur parti. Puis il étudiera les changements à apporter dans le jeu de l’attaque et de la défense, en tenant compte de l’esprit des joueurs, de l’état du terrain, de la force des adversaires. »
Chef de meute, sélectionneur, tacticien qui choisit à quelle place évolue chacun de ses joueurs et rectifie éventuellement ces positions en cours de match, formeraient donc le paradigme du capitanat au moment où naît la sélection. Cependant, de 1904, date de sa naissance, jusqu’aux années 1930, un seul schéma tactique est mis en place sur le terrain par l’équipe de France et plus généralement par la plupart des clubs français : le 2-3-5. Ce n’est donc pas sur le positionnement tactique a priori qu’intervient le capitaine, même si L’Auto rappelle en 1905 qu’il peut très bien décider de ne jouer qu’avec un seul arrière [1]. De fait, la répartition sur le terrain est figée.
Par ailleurs, contrairement à ce qui se passe en club, où le capitaine intervient fréquemment dans le recrutement des joueurs, ce n’est pas lui qui choisit alors ses partenaires pour disputer la rencontre internationale. L’équipe de France est en 1904, et ce jusqu’en 1908, entre les mains de l’USFSA et plus précisément de la commission football de la fédération omnisport. Ce n’est ainsi pas Fernand Canelle, le premier capitaine, qui sélectionne le jeune Tourquennois de 19 ans, Adrien Filez, que peu de joueurs, tous évoluant dans des clubs parisiens, ont alors vu sur un terrain. Sa présence dans la première équipe de France est le fait des dirigeants de la commission, en particulier de son président, Robert Guérin, qui, faisant confiance à ses collègues nordistes, convoque le joueur de l’Union Sportive Tourquennoise pour ce premier match international, face à la Belgique le 1er mai 1904.
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Pierre Allemane : expérience, sens du jeu et manque de souplesse
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Il ne reste donc plus au capitaine de l’équipe de France naissante que deux fonctions essentielles : être le chef de la meute et rectifier les éléments tactiques en cours de partie. Cependant, dans sa thèse sur l’histoire des entraîneurs, Laurent Grün a bien montré que ces seules corrections sur le terrain nécessitaient de la part du capitaine expérience et sens du jeu [2]. Cela fait partie des qualités reconnues à Pierre Allemane. Le demi du Racing Club de Paris, blessé dans une course de cheval, doit renoncer au premier match de l’équipe de France, mais il rejoint la sélection dès le deuxième, contre la Suisse en 1905, et surtout en est le capitaine incontesté de 1906 à 1908.
Ancien du Club Français, il y a côtoyé un certain Eugène Fraysse, un des deux auteurs du manuel évoqué précédemment, avant de passer au Racing Club de Paris. Il est alors un des joueurs français les plus en vue, réputé pour ses qualités techniques et physiques. Fin et athlétique, il manque parfois de souplesse aussi bien physiquement [3] que moralement. Lucien Gamblin s’en souvient d’ailleurs comme un joueur prenant souvent la mouche [4].
Expliquant dans L’Auto les particularités de son poste de demi en 1905 [5], Pierre Allemane revendique plusieurs qualités : énergie, adresse, jugement et sang-froid, caractéristiques qui peuvent être attribuées au capitanat. Il fait particulièrement preuve de son sens du jugement et de son autorité lors du Suisse-France du 9 mars 1908 disputé à Genève. Alors que l’équipe de France est menée par 1-0, il profite de la mi-temps pour indiquer à ses camarades « la façon de procéder pour vaincre », fondée sur un jeu de passes amélioré et un pressing plus intense des demis, ce qui permet aux visiteurs de l’emporter sur le score de 2-1 [6]. L’autorité du capitaine se fait alors sentir, et Pierre Allemane n’oubliera pas de rappeler vingt ans plus tard dans un tract-conseils aux footballeurs, l’importance de l’obéissance à ce joueur à la fonction si particulière [7].
Trois semaines plus tard, le 23 mars 1908, ce n’est pas à ses partenaires qu’il adresse ses reproches mais aux responsables de la commission football de l’USFSA dans un virulent plaidoyer publié dans L’Auto [8]. Se déplaçant à Londres, l’équipe de France est vaincue sur le léger score de 12-0 par l’équipe amateurs d’Angleterre. Pierre Allemane dénonce alors les conditions d’organisation de la rencontre pour laquelle il a fallu trouver des remplaçants in extremis au lieu de les avoir prévus, autant que l’absence d’entraînement de l’équipe. Il ne défend nullement le gardien roubaisien André Renaux, jugé mauvais, qui remplace au dernier moment le titulaire Zacharie Bâton, mais regrette surtout qu’on fasse alors jouer la sélection française contre un adversaire aussi fort, la condamnant à un inévitable et cuisant échec. C’est là, une autre figure du capitaine qui pointe, celle du représentant des joueurs, garant de leurs intérêts, face aux dirigeants.
Les capitaines qui suivent Pierre Allemane avant la Première guerre mondiale conservent des profils comparables à bien des égards. Treize fois capitaine en 20 sélections entre 1910 et 1914, Jean Ducret est par exemple reconnu pour ses performances athlétiques [9] et pour son caractère trempé. Tous revendiquent une réelle ancienneté dans le football. On ne prend pas les perdreaux de l’année pour commander l’armée. Le même Jean Ducret n’a que 22 ans lorsqu’il est pour la première fois capitaine de l’équipe de France en 1910 mais compte déjà douze ans de pratique derrière lui. Et lorsque Louis Mesnier, le premier buteur français de l’histoire, fait son retour en équipe de France en 1911 à l’âge de 27 ans, c’est à lui que revient la fonction, avant que Jean Ducret ne s’impose définitivement l’année suivante.
L’importance stratégique du capitanat est encore souvent affirmée. Gaston Barreau, qui est le dernier capitaine d’avant-guerre, insiste alors sur le rôle du capitaine dans les choix tactiques qu’il impose « avec un peu de fermeté, mais aussi beaucoup de délicatesse » [10] . Quelques années auparavant, un autre joueur, Lucien Gamblin, ne dit pas autre chose, même s’il est moins adepte de la finesse.
« Quoi qu’il en soit, le capitaine, à qui est départie l’autorité voulue pour conduire ses troupes à l’attaque, doit élaborer une tactique d’ensemble.
Laquelle ?
C’est ici qu’intervient la capacité du chef, laquelle ne s’obtient guère que par une expérience fort longue. » [11]
Lucien Gamblin footballeur n’est autre que l’un des principaux capitaines internationaux de l’après-guerre. Son capitanat est fortement marqué par l’expérience du feu. S’il ne quittait l’équipe de France en 1919, on pourrait en dire autant de celui de Gabriel Hanot, premier capitaine d’après-guerre, qui jouit autant de son ancienneté en sélection, sa première cape remontant à 1908, que de son aura de prisonnier de guerre évadé devenu aviateur. Lucien Gamblin est véritablement le capitaine de la génération du feu !
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Lucien Gamblin : autorité et exemplarité
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Et capitaine, il ne l’est pas qu’en football, il l’est aussi militairement. Ce joueur se voit charger avant la démobilisation d’organiser l’équipe de football de l’Ecole de Joinville, cette équipe de France militaire qui s’apprête à disputer le tournoi des Jeux Interalliés alors que Versailles accueille les négociations de paix. Dans le cadre militaire alors que les soldats sont encore mobilisés, l’obéissance est évidemment de mise. Lorsque quelques mois plus tard, Lucien Gamblin se retrouve capitaine de l’équipe de France, il est « sans doute le plus typique et le plus pittoresque » comme l’écrira L’Auto quelques années plus tard [12].
Il y fait preuve d’autorité et d’expérience mais aussi d’une qualité inédite : l’exemplarité, qu’on retrouvera à maintes reprises chez les capitaines de l’équipe de France par la suite. Un épisode est fréquemment rappelé. Le 5 mai 1921, exactement un siècle après la mort de Napoléon Ier, la France rencontre l’Angleterre et pour la première fois de son histoire, l’emporte (2-1). Lucien Gamblin n’aurait pas dû disputer cette rencontre car il se met à souffrir du dos juste avant le coup d’envoi. Il essaye de convaincre le sélectionneur Gaston Barreau, l’ancien capitaine de 1914, de titulariser un autre défenseur à sa place, mais Gaston Barreau insiste pour qu’il tienne sa place, arguant que l’équipe a été constituée autour de son capitaine et qu’il lui est impossible de renoncer à ce match, quitte à n’être là que pour de la figuration. À la mi-temps, le joueur va trouver le sélectionneur qui se montre très empathique :
« Ça ne va pas du tout…
— Mais si, ça va très bien.
— Mais je souffre…
— Je ne sens rien. »
Lucien Gamblin joue finalement tout le match, mais une fois la rencontre terminée, est hospitalisé et reste huit jours allongé en raison d’une déchirure d’un muscle aux lombaires.
Il est aussi le capitaine qui recrute des joueurs pour son club, le Red Star, comme le jeune attaquant Paul Nicolas, qui négocie les primes de matchs à une époque où l’amateurisme marron est la norme, ou encore qui fait pression sur les dirigeants pour que les joueurs de son club soient sélectionnés, comme ce fut le cas face à l’Espagne en janvier 1923, où on compte sept joueurs du Red Star dans l’équipe de France vaincue sur le score de 3-0.
Cette figure « pittoresque » de Lucien Gamblin reste cependant exceptionnelle, et c’est une autre tendance qui l’emporte dans l’immédiat après-guerre.
2. Le culte des anciens
De la fin de la guerre à la mise en place du championnat professionnel en 1932, le capitanat connaît un glissement sensible, comme le montre le tableau ci-dessous :
Joueur | Débuts | total sel. | 1er capt. | Durée au 1er capt. | Poste | Sel. au 1er capt. | Age au 1er capt. | Total capt. |
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Gabriel Hanot | 8/3/1908 | 12 | 9/3/1919 | 11 ans | D | 12 | 29 ans 4 mois | 1 |
Henri Bard | 27/2/1913 | 18 | 18/1/1920 | 6 ans 11 mois | A | 5 | 27 ans 8 m | 5 |
Lucien Gamblin | 23/4/1911 | 17 | 5/4/1920 | 9 ans | D | 9 | 29 ans 8 mois | 9 |
Raymond Dubly | 16/2/1913 | 31 | 15/1/1922 | 8 ans 11 mois | A | 19 | 28 ans 2 m | 9 |
François Hugues | 9/3/1919 | 24 | 2/4/1923 | 4 ans 1 mois | M | 15 | 26 ans 7 m | 3 |
Albert Jourda | 8/3/1914 | 7 | 4/6/1924 | 10 ans 3 mois | M | 7 | 31 ans 11 m | 1 |
Maurice Cottenet | 18/1/1920 | 18 | 22/3/1925 | 5 ans 2 mois | G | 8 | 30 ans 1m | 2 |
Paul Nicolas | 18/1/1920 | 35 | 19/4/1925 | 5 ans 3 mois | A | 18 | 25 ans 5 m | 18 |
Marcel Domergue | 30/4/1922 | 20 | 11/4/1926 | 4 ans | M | 9 | 24 ans 4 m | 3 |
Philippe Bonnardel | 29/2/1920 | 23 | 16/3/1927 | 7 ans 1 mois | M | 23 | 27 ans 7 m | 1 |
Jules Dewaquez | 18/1/1920 | 41 | 24/4/1927 | 7 ans 3 mois | A | 29 | 28 ans 1 m | 4 |
Alexandre Villaplane | 11/4/1926 | 25 | 23/2/1930 | 3 ans 10 mois | M | 20 | 24 ans 7 m | 5 |
Louis Cazal | 16/3/1927 | 6 | 11/5/1930 | 3 ans 2 mois | M | 5 | 28 ans 10 m | 1 |
Henri Pavillard | 29/4/1928 | 14 | 18/5/1930 | 2 ans 1 mois | A | 9 | 24 ans 9 m | 4 |
Alex Thépot | 26/5/1927 | 31 | 15/3/1931 | 3 ans 10 mois | G | 19 | 24 ans 7 m | 13 |
Marcel Langillier | 22/5/1927 | 30 | 10/4/1932 | 4 ans 11 mois | A | 17 | 23 ans 10 m | 7 |
André Chardar | 23/2/1930 | 12 | 5/6/1932 | 2 ans 4 mois | D | 9 | 25 ans 7 m | 1 |
Joseph Kaucsar | 15/3/1931 | 15 | 9/6/1932 | 1 an 3 mois | M | 9 | 27 ans 11 m | 1 |
Jacques Mairesse | 16/3/1927 | 6 | 12/6/1932 | 5 ans 3 mois | D | 3 | 27 ans 11 m | 1 |
Le tournant est probablement à chercher autour de 1924. Jusque-là, le capitaine est presque systématiquement un international d’avant-guerre, souvent un des plus anciens (8 ans 4 mois en sélection, en moyenne) et un des plus vieux (28 ans 10 mois), avec une expérience moyenne d’un peu plus de onze matchs internationaux. De 1924 à 1932, la génération de la relève prend le pouvoir, après François Hugues qui sert d’éclaireur dès 1923. Le capitaine est alors plus jeune (26 ans 5 mois) et beaucoup moins ancien en sélection (4 ans 3 mois) que pour la période précédente, mais il bénéficie en revanche d’une expérience plus dense, puisque le nombre moyen de sélections au premier capitanat est alors de treize. Cela s’explique moins par une multiplication des rencontres après-guerre que par la présence des années de guerre dans la trajectoire sportive des capitaines de la période précédente, pendant lesquelles années il n’y avait pas de matchs internationaux officiels.
Le milieu des années 1920 constitue donc un tournant, dans la mesure où l’expérience internationale tend à suppléer le double critère ancienneté-âge. Pour autant, les constantes de la figure du capitaine restent en bonne partie valables. C’est ainsi Paul Nicolas qui, à la mi-temps de France-Portugal en 1929, alors que son équipe est malmenée, réunit ses partenaires, les recadre et donne ses consignes pour une deuxième mi-temps réussie qui permet à la France de l’emporter finalement par 2-0 [13]. C’est également Marcel Langillier qui cumule, en avril 1932, le capitanat et la fonction de président de l’Amicale des joueurs, un embryon de syndicat de défense des intérêts d’une profession qui n’existe officiellement que quelques semaines plus tard.
3. Un représentant de façade
C’est là d’ailleurs un rôle majeur du capitaine dès les premières années. Le capitaine est le représentant des joueurs auprès de multiples interlocuteurs. Si on en croit l’expérience de l’équipe du CFI en 1909, équipe qui succède à la sélection jusqu’alors sous l’égide de l’USFSA, les joueurs sont même appelés alors à élire leur capitaine. Il est vrai qu’il s’agit non seulement d’une première, en même temps que d’un comité hybride regroupant plusieurs fédérations différentes.
Dès lors que l’âge n’est plus le critère primordial et qu’on s’éloigne des années de guerre, le capitanat semble concerner davantage des joueurs plus jeunes mais à l’expérience confirmée. Ainsi, lorsqu’Alexandre Villaplane devient capitaine de l’équipe de France pour la première fois, en 1930, il n’a que 24 ans et 7 mois, soit cinq ans de moins que Lucien Gamblin lors de son premier capitanat, et seulement 3 ans et 10 mois de carrière internationale, soit aussi cinq ans de moins que celle de Lucien Gamblin, mais il compte déjà plus du double de sélections (20 contre 9). Au-delà du caractère propre de l’individu, cela modifie de fait le rapport au capitaine qui devient volontiers un joueur habitué à l’équipe de France, expert confirmé, mais d’un âge qui correspond davantage à celui de l’ensemble de ses partenaires.
La presse se fait d’ailleurs l’écho d’une transformation de la figure, du chef de guerre au chef d’une bande de copains. Ainsi, lors du premier match d’Alexandre Villaplane comme capitaine, le Portugal-France de février 1930, un accompagnateur estime que « Villaplane et Cazal ont distrait leurs camarades pendant le voyage comme ils les ont encouragés et conseillés sur le champ du jeu » [14]. En une phrase, trois fonctions du capitanat sont affirmées : l’animation du groupe, la motivation et le conseil tactique. Peu à peu, ce dernier aspect est délaissé par le capitaine ou plus exactement le capitaine s’en voit peu à peu privé.
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Alex Thépot : distributeur de bouquets et de fanions
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En effet, un nouvel acteur s’impose progressivement dans le monde du football, l’entraîneur. Certes, un des grands noms du moment, l’entraîneur Charles Griffith rappelle encore l’importance du capitaine dans un article publié dans l’organe officiel de la Fédération en juin 1930, mais de fait, les choix tactiques sont en train de passer peu à peu entre les mains d’un homme du banc et non plus d’un homme du terrain, et l’adoption du professionnalisme deux ans plus tard ne fera qu’accélérer la tendance.
Dès lors, en équipe de France d’autant plus, puisque la sélection n’est pas un club avec la vie quotidienne du groupe mais un temps exceptionnel, le capitanat international perd peu à peu sa fonction tactique. Ainsi, lorsque l’équipe de France se rend en Uruguay pour la première Coupe du monde en 1930, le sélectionneur Gaston Barreau ne peut se joindre aux joueurs car il n’a pas obtenu le congé nécessaire de la part de son employeur, le Conservatoire de musique de Paris. Le choix des joueurs se retrouve alors à la charge des autres accompagnateurs, l’entraînement se fait en autogestion et il est possible qu’Alexandre Villaplane y tienne une place particulière, alors qu’il se trouve à la tête de la sélection pendant la compétition.
Dans les éditions suivantes, l’entraînement physique de l’équipe de France est confié à des experts, l’anglais Georges Kimpton en 1934 puis l’ancien international devenu entraîneur Maurice Cottenet en 1938, tandis que les choix tactiques restent sous la responsabilité de l’éternel Gaston Barreau. Dès lors, le capitaine n’apparaît plus guère que comme un inaugurateur de chrysanthèmes ou un distributeur de bouquets et de fanions. Le capitanat d’Alex Thépot peut d’ailleurs servir de tournant symbolique. Lorsqu’il devient capitaine en mars 1931, le caractère honorifique de sa nomination, qui récompense son expérience et sa position incontestée de titulaire, ne fait guère de doute, ce qu’il revendique d’ailleurs lui-même dans une déclaration à Paris-Soir [15], alors qu’il est plutôt réputé pour être taciturne, ce qui ne correspond guère avec l’image habituelle du capitaine.
Aux côtés de cette fonction de représentation, c’est celle de camaraderie qui tend alors à s’imposer. Edmond Delfour revendique ainsi cet esprit en affirmant « nous sommes tous des camarades dans l’équipe de France », alors qu’il est capitaine en sélection depuis déjà 15 matchs [16]. Comme Marcel Langillier ou comme l’éphémère Jacques Mairesse, Edmond Delfour joue aussi un rôle de représentation dans le métier de footballeur professionnel et soutient l’appel à la grève lancé en janvier 1938 pour le France-Belgique. Blessé, il ne participe pas à cette rencontre et voit le capitanat être attribué à Etienne Mattler.
II. « Qui m’aime me suive » / un contremaître
1. Résistance et démocratie
En cette fin des années 1930, parallèlement aux revendications professionnelles des joueurs, l’image d’autorité du capitaine reprend de la vigueur. C’était déjà le cas avec Georges Verriest, qui était surnommé le « Policeman » ou « 22 », c’est de nouveau le cas avec le défenseur du FC Sochaux-Montbéliard Etienne Mattler. La presse lui attribue une force morale qui ne le limite pas à représenter l’équipe lors du toss, tout en lui reconnaissant le sens de la camaraderie. Néanmoins, l’autorité ne passe désormais plus par le commandement du groupe, commandement militaire comme tactique, mais par la capacité à motiver les partenaires, à « soutenir des énergies défaillantes, révéler des enthousiasmes qui s’ignorent, exalter des vertus hésitantes, rallier des possibilités qui se dérobent » [17].
Étienne Mattler persiste à penser que le capitaine conserve une autorité particulière. Elle peut être tactique, comme face à l’Italie en juin 1938, pendant la Coupe du monde organisée en France, lorsqu’il refuse la proposition de Gusti Jordan d’appliquer un WM qui l’aurait obligé à faire du marquage individuel, ce qui n’est pas son fort, et impose de conserver le schéma en place. Elle peut également être d’un autre ordre, car Étienne Mattler est aussi celui qui, en décembre 1938, lors d’un mémorable Italie-France à Naples, monte sur une table dans un restaurant pour mettre fin aux moqueries qui visent les joueurs français et entonne La Marseillaise. Cela lui vaut une récompense majeure : un vase de Sèvres offert par le président Albert Lebrun. L’anecdote révèle aussi le patriotisme revendiqué d’Étienne Mattler : surpris de ne pas avoir reçu un ordre d’appel sous les drapeaux en octobre 1938, il est ainsi ravi de le recevoir le lendemain [18].
Au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, les vieux réflexes reviennent : le capitanat est alors attribué aux anciens d’avant-guerre, Fred Aston, Oscar Heisserer, Roger Courtois et Julien Darui, alors que les équipes de France successives des années 1945-1948 manquent encore d’expérience. Puis c’est au tour des joueurs les plus âgés mais entrés tardivement en sélection d’assurer la charge comme Albert Batteux et Jean Prouff. Ces deux joueurs bénéficient de la concurrence que subit Julien Darui au poste de gardien de but, que Gabriel Hanot, le conseiller technique auprès du sélectionneur Gaston Barreau, avait adoubé comme son lieutenant sur le terrain.
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Robert Jonquet : courage et constance
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1949 marque un changement à la tête de la sélection. Gabriel Hanot démissionne et Paul Nicolas, un autre ancien capitaine de l’équipe de France, devient le nouvel homme fort de la sélection aux côtés de l’éternel Gaston Barreau. Pendant dix ans, Paul Nicolas s’appuie surtout sur trois capitaines, à de rares exceptions près. C’est d’abord Jean Baratte, l’attaquant que les supporters du LOSC surnomment « Capitaine courage » puis deux inamovibles défenseurs, Robert Jonquet et Roger Marche, qui font rapidement figure de sénateurs. On peut y ajouter le nom d’Armand Penverne pour la fin de la décennie.
De fait, la personnalité de Paul Nicolas est telle qu’elle efface largement celle de ses capitaines à qui sont avant tout demandés courage, exemplarité et constance. Les blessures de Jean Baratte, obligé de quitter le terrain lors d’un Italie-France en 1951, après avoir été touché aux reins ou de Robert Jonquet contre la Suisse lors de la Coupe du monde 1954, où il subit une fracture du nez, puis contre le Brésil en 1958, où il est victime d’une fracture du péroné à la 34e minute, mais reste jusqu’au bout, marquent évidemment l’imaginaire et participent de la réputation d’exemplarité. D’ailleurs, dans la conférence de presse qui suit la demi-finale en Suède, Paul Nicolas souligne que de Robert Jonquet « s’est conduit en capitaine, celui qui souffre pour ne pas abandonner ses camarades » [19]. S’il est encore un capitaine qui replace ses joueurs sur le terrain, Robert Jonquet est un capitaine discret. La lumière est déjà prise, par Paul Nicolas !
Raymond Kopa prend aussi la lumière dans la deuxième moitié des années Nicolas. Il porte le brassard à cinq reprises à partir de 1960, mais Jean Vincent, qui compte autant de capitanats à la même époque, disait de lui que « quand il n’était pas capitaine, il commandait quand même ». Là se pose une question qui prend une dimension croissante dans les périodes plus récentes, celle de la possible concurrence entre les différents statuts de leaders, le leader officiel qu’est le capitaine, les leaders du vestiaire qui communiquent et remotivent leurs partenaires et les leaders techniques, dont la qualité de jeu focalise l’attention médiatique.
Dans le tourbillon du football français des années 1960, les attributions du capitaine restent confuses. Tantôt l’image du chef l’emporte, comme avec Robert Herbin qui affirme en avril 1965 qu’« il y a des gens nés pour commander », ajoutant qu’il croit « faire partie de cette race-là ». Tantôt, on lui préfère l’aspect honorifique du bâton de maréchal et le rôle de « représentant de l’entraîneur sur le terrain, le relais d’une idée, d’un esprit, d’une manière de voir », comme le dit Robert Budzinski pendant l’automne 1966.
2. Convivialité et exemplarité
Les représentations de la fonction semblent néanmoins se stabiliser à la fin de la période, au tournant des années 1960-1970, avec la nomination durable de Jean Djorkaeff au capitanat. Sélectionné depuis 1964, il devient capitaine à sa 25e sélection, en avril 1969, lors du deuxième match de Georges Boulogne comme sélectionneur. Son nom est fortement lié à celui de « l’instituteur du football ». Pendant trois ans, il dispute vingt-trois des vingt-quatre rencontres suivantes et porte systématiquement le brassard. Quand on l’interroge aujourd’hui, il attribue le choix de Georges Boulogne à son âge (il a déjà près de 30 ans) et à son expérience internationale. Sa vision du capitanat est très éloignée du commandement et se concentre sur deux aspects de la charge : être le partenaire du sélectionneur pour la mise en place de ses idées sur le terrain, favoriser la convivialité en permettant à chacun de vivre bien au sein du groupe.
Des velléités autoritaires subsistent néanmoins dans le discours de certains capitaines. Par exemple, pour le successeur de Jean Djorkaeff, Claude Quittet, le capitaine est à même de décider d’une modification sur le terrain au point d’être aphone à la fin du match. De même, Fares Bousdira se souvient qu’en 1976, lors de sa seule sélection, les injonctions répétées du capitaine Jean-Michel Larqué le tétanisent, lui faisant rater son match.
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Marius Trésor : le sens de l’écoute et le respect
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Cependant, c’est bien l’image de la convivialité qui semble s’imposer dans les années 1970, même si l’expérience Bereta repose davantage sur la réputation sportive. En effet, Georges Bereta est alors en mesure, selon Johann Cruyff, de jouer dans n’importe quelle équipe européenne, raison pour laquelle Ștefan Kovács le choisit comme capitaine. L’attaquant stéphanois résume alors sa fonction ainsi : « peu de paroles, une tape sur l’épaule des nouveaux et qui m’aime me suive sur le terrain ! ».
Bereta ou Larqué sont des noms qui sentent les heures de gloire des Verts, même si le premier quitte l’ASSE en 1974. Il s’agit là d’un tournant dans l’histoire du football français, car l’épopée stéphanoise favorise la médiatisation de ce sport. Au moment où les Verts atteignent la finale de la Coupe d’Europe (1976), de nouveaux hommes s’installent en sélection, et surtout un nouveau sélectionneur, Michel Hidalgo. Très rapidement, il choisit de confier à Marius Trésor le brassard de capitaine. Alors que Michel Hidalgo se veut proche de ses joueurs, Marius Trésor apparaît comme son interlocuteur privilégié.
Quand on lui demande aujourd’hui les termes qui qualifieraient le capitanat international, il souligne l’exemplarité, mais aussi le sens de l’écoute et le respect, en particulier des choix de l’entraîneur. Il reconnaît volontiers avoir été parfois consulté par Michel Hidalgo, mais souligne qu’il n’intervenait en rien dans la sélection de tel ou tel joueur, dont il est un partenaire et qu’il représente. Cette idée de représentation est particulièrement forte lorsque, au soir de la qualification de l’équipe de France pour la Coupe du monde en Argentine, Marius Trésor demande au sélectionneur d’emmener en Argentine tous les joueurs ayant participé à la victoire contre la Bulgarie, ce qui fonde alors le noyau du groupe.
3. Le cumul des mandats
C’est un autre joueur pourtant qui apparaît comme l’incontournable capitaine de l’équipe d’Hidalgo, Michel Platini. À l’image de ce que Jean Vincent disait de Raymond Kopa, Marius Trésor affirme que Michel Platini « n’avait pas besoin d’avoir le brassard pour parler ». Alors qu’il n’a que 24 ans et 3 mois quand il devient pour la première fois capitaine de l’équipe de France, Michel Platini cumule déjà le leadership technique et l’autorité de vestiaire.
Cela n’est pas sans impressionner ses partenaires, en particulier les plus jeunes. Ainsi, le gardien de but Joël Bats, lors de sa première sélection au Danemark, encaisse trois buts. À l’issue du match, le capitaine Platini lui donne le traditionnel fanion du match, ce que le gardien interprète davantage comme un souvenir pour sa première et dernière cape que comme un cadeau de bienvenue pour une longue carrière en équipe de France.
L’aura de Michel Platini est telle qu’on le soupçonne souvent, jusqu’au sein de l’équipe de France, de faire la pluie et le beau temps dans la sélection. La rumeur court, maintes fois démentie, que Michel Hidalgo ne sélectionne des joueurs qu’avec l’accord de son capitaine. De fait, les choses sont bien plus compliquées que cela et se situent finalement entre la consultation et la décision, même si Jean-François Larios pense lui devoir sa quasi-éviction pendant la Coupe du monde 1982.
Michel Platini est incontestablement la pierre angulaire de la sélection des années Hidalgo, puis du début des années d’Henri Michel à la tête de l’équipe de France. Son départ n’est donc guère une période aisée pour l’équipe de France, ni tactiquement, ni techniquement, ni comme capitaine.
III. L’ère du management / un directeur des ressources humaines
1. Le privilège des stars
Après quelques mois d’hésitations et de capitanats successifs de Jean Tigana, Patrick Battiston et Luis Fernandez, c’est finalement Manuel Amoros qui devient l’incontestable capitaine. La régularité des performances sur le terrain comme sa participation à deux Coupes du monde rendent ce choix très légitime, comme le reconnaît Bernard Casoni, même si la presse fait volontiers écho d’une concurrence à cette fonction entre Luis Fernandez et le défenseur monégasque (puis marseillais). Légitime par sa présence continue au haut-niveau, Manuel Amoros n’a pour autant rien d’un leader qui prend la lumière, même si, avec l’âge, la parole lui devient plus aisée.
Il est en cela très différent de ses deux successeurs. C’est d’abord Gérard Houllier qui confie le brassard à Jean-Pierre Papin en 1992. Auréolé de son titre de Ballon d’Or 1991, capitaine depuis longtemps à l’Olympique de Marseille, d’où il vient d’être transféré vers l’AC Milan, Jean-Pierre Papin est alors la star du football français, ce qui lui vaut une cruelle marionnette aux Guignols de l’Info. Le choix du sélectionneur se porte sur un joueur-vedette pour qui le capitanat international est une fonction honorifique désignant « d’abord celui qui porte le brassard et qui échange les fanions ». Il y voit néanmoins une marque de confiance de la part du sélectionneur avec qui il entretient des relations cordiales et respectueuses.
Certaines de ses déclarations peuvent cependant desservir la motivation du groupe. Ainsi, à la veille d’un match décisif contre la Bulgarie en novembre 1993, il juge en conférence de presse la préparation inutile, tant il est certain que « tout le monde sera à bloc ce jour-là ». Une fois l’équipe de France vaincue, ce qui l’empêche de s’envoler vers la Coupe du monde aux Etats-Unis, Jean-Pierre Papin dispute encore quelques matchs, mais le nouveau sélectionneur, Aimé Jacquet, ne lui confie plus le brassard, lui préférant un autre attaquant-vedette, Eric Cantona.
C’est autour de lui que se construit l’équipe de France qui doit aller à l’Euro 1996 en Angleterre puis disputer la Coupe du monde en France en 1998. S’il considère avant d’être choisi qu’« on peut être un leader sans avoir le brassard », Eric Cantona se montre rapidement très investi par sa nouvelle fonction. Aimé Jacquet se félicite de voir que le capitanat, accepté par les autres joueurs « comme s’il était naturel » métamorphose son bénéficiaire, qui motive l’équipe dans le vestiaire où il se montrait jusqu’alors si discret. Il devient véritablement le relais du nouveau sélectionneur sur le terrain et dans le groupe, et s’assume pleinement comme chef d’une meute qu’il veut mener à la victoire dès l’Euro 96. Cependant, Cantona est Cantona. À la suite d’un mouvement d’humeur face à un supporter de Crystal Palace, il est suspendu en janvier 1995 pour plusieurs mois.
2. L’ère du management
Il faut alors pour Aimé Jacquet désigner un nouveau capitaine. C’est l’année de la tournante, pendant laquelle sept internationaux sont essayés tour à tour pour porter le brassard. Le sélectionneur arrête enfin son choix à la veille de l’Euro 1996 sur le milieu défensif Didier Deschamps.
Ce choix va à l’encontre de la période précédente, et même des quinze années précédentes, mise à part la parenthèse Amoros : Didier Deschamps n’a rien du joueur star, ultra médiatisé, qui prend la lumière, en raison de son poste comme de son caractère. En revanche, sa régularité est là, comme Manuel Amoros et d’autres avant lui, et surtout la variété de sa palette relationnelle est un apport incontestable pour la fonction. Aimé Jacquet le décrit comme « un relais exceptionnel », capable de « passer sans transition du rôle de patron froid, réaliste, râleur s’il le faut, à celui de grand frère, confident ou chambreur ».
Relais du sélectionneur, Didier Deschamps l’est sans nul doute. Les échanges entre les deux hommes sont fréquents, Aimé Jacquet vient souvent rendre visite à son capitaine à Turin, ils échangent régulièrement au téléphone non seulement sur les joueurs, mais aussi sur la structure de l’équipe et du groupe. Aimé Jacquet va jusqu’à dire que sur le terrain « il [le] remplaçait, en quelque sorte ».
Didier Deschamps est aussi le leader du groupe dont il gère le moindre point de tension. Par exemple, en juillet 1998, au cours de la demi-finale contre la Croatie, Laurent Blanc est expulsé pour avoir bousculé Slaven Bilic, qui tombe et abuse ainsi l’arbitre. Le défenseur français et vice-capitaine est remplacé par Frank Leboeuf, qui, à la fin du match, échange son maillot avec le coupable croate et déclare au journal L’Equipe : « Je suis désolé pour lui, mais bon, maintenant le sujet « Laurent » est terminé. Ma joie prime sur sa peine. Que voulez-vous, c’est comme ça, c’est la vie ! ».
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Didier Deschamps : partout et avec tous
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Pour éviter que ne naisse une polémique qui pourrait être dangereuse alors qu’une finale de Coupe du monde approche, Didier Deschamps profite de la présence de tout le groupe le 10 juillet dans la salle à manger pour interpeler Frank Leboeuf : « C’est quoi ça, Frank ? Explique-nous ! ». Il prend l’initiative de crever l’abcès, mettant fin aux chambrages de certains qui avaient punaisé ces unes dans la salle à manger et aux colères d’autres qui voulaient en venir aux mains, et légitimant de ce fait la présence du défenseur remplaçant dans l’équipe titulaire qui joue contre le Brésil deux jours plus tard.
Didier Deschamps comme capitaine, c’est un management permanent, et particulièrement pendant ces longues périodes de compétition que furent la Coupe du monde 1998 et l’Euro 2000. Il « rassure les jeunes, parle à l’oreille de Zidane, modifie une consigne sur les coups de pied arrêtés », il conseille ses partenaires lorsque ceux-ci doivent parler à la presse, il est partout et avec tous. C’est lui aussi qui modifie l’équipe pendant la finale, après l’expulsion de Marcel Desailly, en faisant reculer Petit en défense centrale et en glissant Zidane sur la gauche.
Une telle présence lui vaut l’accusation de choisir les joueurs sélectionnés. Il nie évidemment les faits, accusant au passage Michel Platini de l’avoir fait, mais reconnaît volontiers avoir été souvent consulté sur le plan tactique par Aimé Jacquet. C’est surtout une gestion interne au groupe des joueurs que Didier Deschamps revendique, estimant que l’intervention du sélectionneur doit se limiter aux situations graves. Il attribue ses qualités de capitaine au fait qu’il les ait assumées dès son enfance et qu’il avait le caractère idéal pour la fonction.
Cette figure s’inscrit dans des mutations profondes pour les pratiques de haut-niveau. L’ouverture du marché européen à la suite de l’arrêt Bosman (1995) se traduit par la découverte de nouveaux championnats pour les joueurs de l’équipe de France, ce qui signifie qu’ils se voient un peu moins pendant l’année puisqu’ils évoluent pour beaucoup dans des compétitions différentes.
A l’évidence, la longévité de Didier Deschamps autant que sa personnalité redore l’image du capitanat, au point que son successeur, Marcel Desailly, intitule son autobiographie sortie au début de 2002, « Capitaine ». Il y affirme qu’« un capitaine a le devoir d’être exemplaire, ni trop sérieux ni trop coincé. Son rôle est multiple, il ne se limite pas à saluer l’arbitre avant le coup d’envoi et à encourager ses partenaires. Il doit parler tactique avec le sélectionneur, répondre aux journalistes, négocier les primes de match et les contrats publicitaires, régler les problèmes d’intendance, veiller à l’équilibre du groupe… » Responsable de la vie du groupe, il se souvient même avoir eu à régler un problème d’eau chaude dans un hôtel en Afrique du Sud. Chef de groupe, il s’en sent pourtant déjà un peu en dehors en assurant le capitanat, et dit avoir alors « conscience de faire un peu figure de grand-père, parmi ces « jeunots » fous de rap et d’Amérique ».
D’autres capitaines marquent bien sûr les premières années du millénaire, que ce soit Zinedine Zidane, Patrick Vieira, Lilian Thuram, William Gallas ou Thierry Henry, tous assumant tour à tour leur fonction commune alors que le sélectionneur, Raymond Domenech, donne une définition naturaliste du capitaine : « En fait on ne le choisit pas. Si personne ne se dégage d’une manière évidente, c’est qu’il n’y en a pas. »
3. Dans le secret du vestiaire
Le vestiaire est un véritable sanctuaire pour le joueur de football, longtemps inviolé avant que des caméras de télévision n’y pénètrent. Les Yeux dans les Bleus montrent fortement le rôle joué par Didier Deschamps dans le groupe de 1998, en particulier en ce lieu sacré. Mais tout ce qui se dit là, comme dans un confessionnal, n’est pas destiné à être rendu public. Ainsi, à la mi-temps de France-Mexique pendant la Coupe du monde en 2010, Raymond Domenech et Nicolas Anelka auraient eu quelques désaccords que L’Equipe révèle rapidement à sa une. Les mots publiés sont loin de ce qui a été dit, mais qu’importe, le mal est fait, Nicolas Anelka se voit exclu du groupe par la FFF.
En réaction à une décision qu’ils estiment abusive, les joueurs refusent de participer à un entraînement public à Knysna. Le capitaine, Patrice Evra, joue alors le rôle traditionnel de porte-parole des joueurs et informe le staff de ce refus. Cet épisode vaut à Patrice Evra cinq matchs de suspension, pour ne pas avoir su se montrer garant de l’image de l’équipe de France. Pourtant, selon une déclaration du joueur en 2016, cela aurait pu être pire puisqu’initialement les joueurs envisageaient de boycotter le dernier match de poule, contre le pays hôte, ce qui aurait valu une interdiction de compétition pour plusieurs années à l’équipe de France !
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Hugo Lloris : une image médiatique excellente
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L’image ternie de l’équipe de France, il faut trouver un capitaine qui sache redorer le blason. Laurent Blanc choisit Alou Diarra qui est incontesté dans cette fonction mais qui se trouve être contesté comme titulaire au milieu de terrain. Cela pousse le nouveau sélectionneur à procéder au même turn-over de capitaine qu’Aimé Jacquet en son temps, avant d’arrêter son choix sur le gardien de but Hugo Lloris, choix que confirmera ensuite Didier Deschamps. L’image sportive d’Hugo Lloris est positive, dès lors qu’il est considéré comme un des plus prometteurs puis un des meilleurs joueurs du monde à son poste, mais elle se double aussi d’une image médiatique excellente, celle d’un garçon bien sous tout rapport, sage, posé, discret, loin des caïds désignés par Roselyne Bachelot, qui menaient la fronde à Knysna.
Pour autant, c’est bien au vestiaire qu’il faut revenir. De multiples reportages menés sur l’équipe de France sous Didier Deschamps laissent penser que l’autorité d’Hugo Lloris semble bien reposer sur les mêmes piliers que son image : incontestable et discrète, une autorité qui permet à la FFF de lancer une cagnotte des joueurs pour les Hôpitaux de Paris et l’aide à la recherche pendant le confinement sous la direction du capitaine. Si Hugo Lloris voulait que cette initiative reste discrète, elle n’en est pas moins éminemment médiatique. Et c’est sans nul doute un apport important que de choisir Hugo Lloris comme capitaine pour changer l’image d’une équipe qui n’était guère appréciée il y a dix ans.
Le capitanat est donc une fonction à multiples facettes, à qui chacun de ses détenteurs donne sa propre couleur en raison de sa personnalité autant que du contexte. Néanmoins, quelques lignes de force et quelques ruptures se dessinent. On passe ainsi, en un peu plus d’un siècle de l’image du commandement à l’image, tout court, le capitaine devenant finalement une sorte de vitrine de l’équipe nationale et du sport qu’il pratique au plus haut-niveau. Dans le même temps, le capitaine se voit priver d’une partie importante de ses fonctions, par l’externalisation des choix tactiques désormais entre les mains des entraîneurs. En revanche, la participation accrue à des compétitions internationales qui nécessitent des regroupements de plus en plus importants favorise une implication croissante du capitanat dans la vie de groupe.