D’accord, cette équipe de France-là a perdu deux fois plus de matchs qu’elle n’en a gagnés, et a encaissé quelques unes des plus cinglantes raclées de l’histoire, comme un 1-13 à Budapest en 1927. Mais c’est aussi celle de la victoire historique contre l’Angleterre (amateur) en 1921. Celle aussi de la première opposition contre une équipe sud-américaine, l’Uruguay, au JO de Paris en 1924 . Ou de la toute première victoire en compétition de l’histoire, quatre ans plus tôt aux JO d’Anvers face à l’Italie (3-1), ce qui n’est pas rien.
Jules Devaquez fait ses débuts en sélection en janvier 1920, alors qu’il n’a pas encore 21 ans, lors d’un match organisé n’importe comment contre l’Italie à Milan, où les Français sont arrivés un quart d’heure avant le coup d’envoi après un voyage rendu dantesque par une grève des cheminots. L’équipe de France tenait bon jusqu’à la mi-temps (3-4) puis s’effondrait au retour des vestiaires (4-9). La carrière internationale du Parisien, qui s’expatria à Marseille en 1924, dura jusqu’en mai 1929. Avec 41 sélections, il dépassait le précédent détenteur du record, Raymond Dubly, et allait le conserver 9 ans.
La génération Devaquez est directement issue de la création de la FFFA (Fédération française de football association) le 7 avril 1919, puisque le premier match d’après-guerre contre la Belgique est antérieur à cette date. Le président est Jules Rimet, qui occupera ses fonctions jusqu’en 1949, avec une interruption de deux ans en 1942. C’est aussi la seule génération d’avant le professionnalisme, mis en place en France en 1932. Ce qui ne veut bien sûr pas dire que tous les joueurs de l’époque étaient de purs amateurs comme Raymond Dubly (directeur d’une usine de tissus) : si Devaquez lui-même était dessinateur industriel, il était payé pour jouer à l’OM. Et le gardien Pierre Chayriguès avait raconté comment il vivait de son sport en 1927.
Deux nouveaux joueurs à chaque match !
Plus encore que la génération suivante, celle d’Etienne Mattler et des années 30, celle de Devaquez voit passer un nombre considérable de joueurs : 117 en 53 matchs. Soit, si on considère un 11 de départ, 106 autres pour les 52 rencontres suivantes. Soit plus de deux nouveaux par match…
Ils ne sont que 13 à avoir débuté avant 1920, dont 11 avant la guerre. Parmi eux, quelques grands noms comme Raymond Dubly, Henri Bard, Lucien Gamblin ou Pierre Chayriguès, même si ce dernier a joué plus souvent avant 1914 (11 fois) qu’après 1919 (10). Et 12 autres ont prolongé l’aventure en sélection au-delà de 1929 : parmi eux, le buteur Paul Nicolas, le capitaine à la Coupe du monde 1930 Alexandre Villaplane (qui finira exécuté pour collaboration en 1944) ou le gardien Alex Thépot. Le dernier représentant de la génération Devaquez, Marcel Langiller, jouera pour la dernière fois en Bleu en décembre 1937, 26 ans après le tout premier, Ernest Gravier en janvier 1911.
A l’époque évidemment, pas de sélectionneur mais un comité de sélection présidé par Gaston Barreau, lequel avait fait appel à un préparateur physique (qu’on pourrait qualifier d’entraîneur) pour les JO d’Anvers en 1920 : l’Anglais Fred Pentland. Il y en aura un autre pour les JO de 1924, T.Griffiths, et un troisième en 1928, P.Farmer. Barreau intègre aussi au comité de sélection nombre d’anciens internationaux comme Gabriel Hanot, Lucien Gamblin, Jean Rigal, Henri Bard et Maurice Bigué.
Un bilan très faible… sauf en compétition
Déjà pas extraordinaire quand Jules Devaquez est aligné (12 victoires pour 25 défaites et 4 nuls), le bilan pique carrément du nez quand l’ailier droit ne joue pas (2 victoires, 10 défaites). Et mieux vaut ne pas s’attarder sur la différence de buts : 81 marqués et 170 encaissés. Un véritable carnage, même si les pires valises appartiennent à la période d’avant-guerre. Entre 1920 et 1929, les Bleus ne subissent que cinq cartons : 4-9 contre l’Italie, 1-8 aux Pays-Bas, 0-7 en Italie et 1-8 en Espagne. La débâcle du 12 juin 1927 contre la Hongrie (1-13) est l’exception.
Le point haut : 5 mai 1921, France-Angleterre
Ce n’est certes qu’un match amical. Mais il se tient à Pershing devant 30 000 spectateurs, une affluence record pour l’époque pour un match de l’équipe de France. Et en face, c’est l’Angleterre, qui a déjà battu les Bleus sept fois sur sept pour un cumul de buts de 60 à 2. Et le 5 mai 1921, c’est pile le centenaire de la mort de Napoléon. Autant dire que ce qui se joue dans le stade construit par les Américains deux ans avant dans le bois de Vincennes est bien plus qu’un amical. Les Français n’ont pas peur, ne reculent pas et même ouvrent le score par Jules Devaquez dès la sixième minute, après un double une-deux Dubly-Jourda. Les Anglais égalisent trois minutes plus tard, mais c’est le grand jour de Maurice Cottenet dans les buts. Le gardien parisien, pourtant pas un foudre de guerre (69 buts encaissés en 18 sélections) s’illustre, tout comme ses dix autres coéquipiers. Et c’est Jean Boyer qui inscrit le but victorieux sur un centre de Dubly (67e, 2-1). Le reste appartient à la légende. C’est aussi la dernière fois que l’Angleterre aligne une équipe amateur contre la France. Le match n’est d’ailleurs pas considéré comme officiel outre-Manche. Mauvais joueurs !
Le point bas : 12 juin 1927, Hongrie-France
Ce match-là a dû hanter Jules Devaquez jusqu’à la fin de ses jours (il est mort 44 ans plus tard). Par l’ampleur cataclysmique de la déroute d’abord (1-13) qui fait de ce Hongrie-France la troisième plus lourde défaite de l’équipe de France, et l’un des cinq matchs à au moins dix buts encaissés [1] mais aussi parce qu’il a marqué dans les deux sens : un but contre son camp, le neuvième pour la Hongrie, et un autre pour sauver ce qu’il restait d’honneur alors que le score était à 0-10. Budapest était écrasé par la canicule ce jour-là et le défenseur André Rollet dut être remplacé avant la demi-heure pour… indigestion [2]. Sans doute la blessure la plus burlesque de l’histoire du football. Deux jours plus tard, dans le quotidien L’Auto, l’ancien international Lucien Gamblin sort l’artillerie lourde : « nous sommes ridicules et nous continuerons de l’être si nous ne changeons pas notre manière de faire » [3].
Ce que l’on retiendra
Après les débuts amateurs à tous les sens du terme, aussi bien sur le terrain que dans les instances, le football français se structure après-guerre. L’équipe de France commence à voyager, s’ouvre à d’autres adversaires (l’Espagne et la Norvège en 1922, la Lettonie en 1924, l’Autriche en 1925, la Yougoslavie et le Portugal en 1926) et surtout croise la route de la meilleure équipe du monde, l’Uruguay double championne olympique en 1924. Enfin, elle se comporte honnêtement lors des rares matchs de compétition qu’elle dispute (2 victoires et 3 défaites). Enfin, les affluences suivent. De 3000 par match avant guerre, elles dépassent systématiquement les 20 000 dans les années 1920, pour atteindre même 40 000 en mai 1928 à Colombes contre l’Angleterre. L’équipe de France n’est pas encore une sélection majeure, mais elle progresse. La génération Mattler en apportera la confirmation.