La génération Kopa est la deuxième d’après-guerre. Elle s’étend sur dix ans, d’octobre 1952 à novembre 1962. Une décennie qui correspond à la carrière internationale de Raymond Kopa, avec une particularité toutefois : sur les 78 matchs que compte cette génération, le meneur de jeu du Real Madrid n’en a joué que 45, soit environ 58%. C’est très peu et c’est très regrettable pour les Bleus qui n’ont ainsi profité de leur Ballon d’or 1958 qu’environ six années sur dix. Mais ça s’explique : à l’été 1956, Kopa quitte le Stade de Reims pour le Real Madrid, ce qui signifie quasiment tirer un trait sur la sélection : à l’époque, les clubs étrangers n’étaient pas obligés de libérer leurs joueurs, même pour des matchs de compétition. Il manque donc un peu plus de deux saisons entières (13 matchs) et ne rejoint les Bleus qu’en mai 1958, pour la Coupe du monde suédoise. Celle-ci terminée, il rejoint le Real et ne joue qu’un match jusqu’en octobre 1959 (5 manqués), où il retrouve sa place aussi bien en équipe de France qu’au Stade de Reims.
La Coupe du monde 1954 en Suisse, à laquelle participent pourtant six des onze titulaires contre le Brésil 1958 (Jonquet, Kaelbel, Penverne, Marcel, Vincent et Kopa) est un échec, avec une élimination dès le premier tour qui se résume à deux matchs seulement. Ce n’est qu’après l’arrivée d’Albert Batteux comme entraîneur (mais pas sélectionneur) en 1955 et des victoires de prestige en Espagne et contre l’Angleterre que la génération Kopa se met en place, avec l’apport décisif de Roger Piantoni à gauche. Il ne manque plus que Just Fontaine, qui a fait quatre timides apparitions entre 1953 et le printemps 1958 (sans Kopa) pour que le quatuor exceptionnel de la Suède se mette en place et illumine le mois de juin. Elle scintillera jusqu’en mars 1960 avant de s’éteindre.
Cette génération-là est pléthorique avec ses 112 joueurs consommés en 78 matchs seulement, ce qui donne une idée de l’intense rotation jusqu’au milieu des années 50 et à partir de 1960. En terme d’amplitude, le plus ancien de la génération Kopa est l’immense Larbi Ben Barek, qui avait fait ses débuts avant-guerre, en décembre 1938, et le plus jeune Fleury Di Nallo, qui a joué pour la dernière fois en sélection en avril 1971. Soit un écart monstrueux de 33 ans !
Le cœur et le noyau
Dans les graphiques ci-dessous, je représente en orange les matchs joués hors période (avant ou après), en noir les matchs joués dans la période et en gris clair les matchs manqués pendant la période.
93 des 111 partenaires de Kopa ont joué au moins la moitié de leurs matchs pendant la période. Ils forment donc le cœur de la génération Kopa. Et 73 n’ont joué que pendant cette période de dix ans, dont Jean Vincent, Roger Piantoni, Just Fontaine, Jean-Jacques Marcel, Armand Penverne, Raymond Kaelbel ou le gardien Claude Abbes. Pour d’autres, le passage aura été anecdotique : 24 joueurs ne compteront qu’une seule sélection en équipe de France, et 33 autres entre 2 et 4, c’est-à-dire quasiment rien.
La particularité de cette génération, c’est l’étroitesse de son noyau, avec seulement quatre joueurs ayant disputé plus de la moitié des 78 matchs entre 1952 et 1962 (soit 40 rencontres au moins) : il s’agit de Vincent, Kopa, Marcel et Jonquet. Cinq autres ont joué entre un quart et la moitié des matchs : Penverne, Marche, Piantoni, Kaelbel et Wisniewski. Tous (sauf Roger Marche, qui était remplaçants) ont joué la demi-finale 1958 contre le Brésil. Les trois autres étant Abbes, Lerond et Fontaine.
Le sélectionneur unique n’ayant été mis en place que postérieurement (en 1964, avec Henri Guérin), il est peu éclairant de définir, comme je l’ai fait pour les générations 5 à 10, qui a lancé les joueurs de la génération Kopa. Entre 1952 et 1962, se succèdent en effet un triumvirat Gaston-Barreau-Jean Rigal-Paul Nicolas (jusqu’en décembre 1953), puis Alex Thépot arrive à la place de Nicolas en décembre 1953, lequel Nicolas revient en septembre 1954 alors que Rigal s’en va en décembre 1956 et que Barreau meurt en juin 1958. En juin 1959, après le décès accidentel de Paul Nicolas, Jean Gautheroux et Georges Verriest rejoignent Alex Thépot. En octobre 1960, Verriest est seul sélectionneur mais il travaille toujours avec un entraîneur, Albert Batteux d’abord (qui occupe le poste depuis 1955) et Henri Guérin à partir de juillet 1962. Vous suivez toujours ?
Un bilan meilleur en compétition
La génération Kopa est aussi celle qui inaugure la montée en puissance des matchs de compétition. Alors que ces derniers étaient l’exception avant-guerre, ils se multiplient avec des phases de qualification conséquentes et l’introduction de la Coupe d’Europe des Nations en 1960, qui permet d’enchaîner les compétitions en continu. Et ces 28 matchs à enjeu sont plutôt bien négociés, avec 18 victoires pour 3 nuls et 7 défaites. En phase finale, le bilan est équilibré, avec 5 victoires (dont 4 en 1958) et autant de défaites : une en 1954 contre la Yougoslavie, deux en 1958 encore contre la Yougoslavie puis face au Brésil et les deux dernières en 1960 face à la Yougoslavie (décidément !) et la Tchécoslovaquie.
A côté, le bilan en amical est bien triste : 16 victoires, 15 nuls et 19 défaites, dont deux cuisantes contre la Suisse en novembre 1953 à Colombes (2-4) et un féroce 2-6 à Bâle en octobre 1960 avec un quintuplé de Joseph Hügi. On peut y ajouter un cinglant 0-4 à Londres en décembre 1957, contre une équipe qui avait été humiliée quatre ans plus tôt par la grande Hongrie.
A noter une autre particularité de cette génération décidément atypique : les résultats des Bleus sont presque meilleurs lors des 33 matchs sans lui que pendant les 45 avec lui ! Pas tout à fait quand même, puisque l’équipe de France a gagné plus souvent avec le meneur du Stade de Reims et du Real Madrid. Mais elle a aussi plus souvent perdu.
Le point haut : 28 juin 1958, France-RFA
Bien sûr, le match-phare de la génération Kopa, c’est plutôt celui d’avant, le 24 juin contre le Brésil à Solna en demi-finale mondiale contre Pelé, Dida, Vava et Garrincha. Mais c’est une lourde défaite (2-5) qui laisse un goût amer, l’équipe de France ayant évolué à dix pendant près d’une heure après la grave blessure de Robert Jonquet, alors que Roger Piantoni allait être victime juste après le match d’une crise d’appendicite qui l’a évidemment diminué. Pour la petite finale de Göteborg contre les champions du monde sortants, les Bleus jouent donc sans Jonquet et Piantoni (remplacés par Lafont et Douis) et c’est un festival. Le gardien remplaçant allemand, Heinz Kwiatkowski, est complètement débordé par les vagues françaises : 3-1 à la mi-temps (Kopa et doublé de Fontaine), 6-3 à la fin du match (Douis et encore un doublé de Fontaine). En Coupe du monde, il faudra attendre 1986 pour voir les Bleus faire aussi bien, et 1998 pour les voir faire mieux. Et ils n’ont plus jamais marqué six buts dans un match de phase finale mondiale ou européenne.
Le point bas : 16 décembre 1961, Bulgarie-France
Après avoir perdu le dernier match de la phase qualificative à Sofia contre la Bulgarie, l’équipe fantôme de 1958 doit jouer un match d’appui sur terrain neutre, à Milan, face encore aux Bulgares. Les deux sélections sont en effet premières ex-aequo et la différence de but n’est pas prise en compte à l’époque. Le sélectionneur Georges Verriest joue la prudence et de la scintillante équipe de l’épopée suédoise, il ne reste que deux joueurs : le défenseur André Lerond et l’ailier droit Maryan Wisniewski. Vincent, Piantoni et Fontaine ne sont plus là et Kopa est forfait. Face à des Bulgares pourtant pas terribles, les Bleus encaissent le but qu’il ne fallait pas sur une frappe de vingt mètres déviée par Lerond et qui prend Bernard à contre-pied. Ce sera tout (0-1). L’équipe de France n’ira pas au Chili en 1962. Elle ne le méritait pas.
Ce que l’on retiendra
Tout ce qu’il reste de cette belle génération pour ceux qui n’en sont pas contemporains, ce sont des images d’archives en noir et blanc (et souvent muettes) de la Coupe du monde 1958 au Brésil. Une impression d’extraordinaire efficacité offensive (face à des défenseurs qui jouaient souvent en marchant, et pour qui la notion de pressing n’existait pas) et de grande naïveté défensive. Toutes proportions gardées, cette équipe a eu pour héritière celle de 1982, qui a marqué 16 buts (plus qu’en 1998) et en a encaissé 12.
Il reste aussi une grande frustration née de cette demi-finale contre le Brésil, que les Bleus d’Albert Batteux n’ont pas disputé à armes égales. Ils n’auraient sans doute pas battu les futurs champions du monde, mais le score aurait pu être plus serré. Et ça aurait fait une si belle finale...