La dixième génération des Bleus est bien celle d’Antoine Griezmann : depuis son arrivée en sélection en mars 2014, jour des adieux de Franck Ribéry, jusqu’à l’annonce de son départ le dernier jour de septembre 2024, l’équipe de France s’est transformée en machine à vaincre, sinon à convaincre : en dix ans et six mois et 143 matchs, elle a progressé régulièrement avec un quart de finale de Coupe du monde en 2014, une finale européenne en 2016 et un titre mondial en 2018. Elle a surtout appris de ses erreurs : sa défaite face à l’Allemagne à Rio lui a permis de prendre sa revanche deux ans plus tard à Marseille, et l’énorme claque de Saint-Denis contre le Portugal a engendré le réalisme de tueur à gages pour achever la Croatie à Moscou.
La rechute inattendue de juin 2021 à l’Euro contre la Suisse a marqué un coup d’arrêt, mais la conquête de la Ligue des Nations quatre mois plus tard contre deux gros adversaires (Belgique et Espagne) avec deux renversements de score, a remis l’équipe sur les rails. Enfin, malgré un groupe amoindri par des forfaits de taille (Kanté, Pogba, Benzema puis Lucas Hernandez), elle a atteint une deuxième finale mondiale d’affilée en 2022, et a bien failli la gagner, mais son triste Euro 2024 a effacé une partie du chemin regagné depuis trois ans.
C’est désormais une nouvelle génération qui commence. Sera-t-elle celle de Kylian Mbappé ? Auquel cas, elle serait largement superposée à celle de Griezmann, puisque les deux joueurs ont cohabité pendant plus de sept ans, c’est-à-dire près des trois quarts de la durée de vie de la génération Griezmann. Mais il est trop tôt pour le savoir.
C’est avec le cœur plein de souvenirs que je clos ce chapitre de ma vie. Merci pour cette magnifique aventure tricolore et à bientôt. 🇫🇷 pic.twitter.com/qpw8dvdtFt
— Antoine Griezmann (@AntoGriezmann) September 30, 2024
Durant ces 126 mois, 103 joueurs ont porté le maillot de la sélection, dont Antoine Griezmann bien sûr, qui a participé à 137 des 143 matchs. Les seuls qu’il a manqués sont anecdotiques : contre la Serbie en 2014 (1-1), le Cameroun (3-2) et la Côte d’Ivoire en 2016 (0-0), l’Angleterre en 2017 (3-2), l’Allemagne (0-2) et le Chili (3-2) en 2024. Que des rencontres amicales. Parmi les 103 partenaires de l’attaquant de l’Atlético, sept seulement n’ont pas de temps de jeu en commun : Benoît Costil, Sébastien Corchia, Hatem Ben Arfa, Paul-Georges Ntep, Houssem Aouar, Castello Lukeba et Khéphren Thuram.
Le cœur et le noyau
Le cœur de la génération Griezmann, ce sont les joueurs qui ont disputé au moins la moitié des matchs de leur carrière internationale dans cette période. Ils sont 85 dans ce cas, dont 68 qui y ont même joué tous leurs matchs (dont 28 comptent moins de 10 sélections, et 12 n’en comptent qu’une). Tous les champions du monde sont dans ce cas. On repère plus facilement ceux qui ont raté le coche, comme Sissoko (58), Rabiot (48), Coman (57), Digne (47), Benzema (33), Payet (31), Martial (30) ou Ben Yedder (19).
Si on regarde maintenant combien ont joué au moins la moitié des 143 matchs de la période (soit 72 ou plus), il en reste six : Antoine Griezmann évidemment (137), Olivier Giroud (111), Hugo Lloris (91), Raphaël Varane (89), Kylian Mbappé (86) et Paul Pogba.
Sur les graphiques ci-dessous, on représente en orange les matchs joués hors période (avant ou après), en noir les matchs joués dans la période et en gris clair les matchs manqués pendant la période.
Douze autres joueurs ont disputé entre un quart (36) et la moitié (71) des matchs de la génération Griezmann. Seuls deux d’entre eux ont terminé leur carrière (Matuidi et Koscielny) et si Moussa Sissoko n’est plus dans le groupe, les neuf autres y sont, avec en chef de file N’Golo Kanté (63).
Qui les a lancés ?
La génération Griezmann ayant démarré lors de la deuxième saison du mandat de Didier Deschamps, il en est évidemment l’unique sélectionneur. Ses 18 premiers matchs dirigés concernent plutôt la génération Ribéry, qui s’est achevée, on l’a vu, le même jour de la naissance de la génération Griezmann.
Mais qui a lancé le plus de joueurs de cette génération-là ? Sans surprise, Deschamps arrive en tête avec 78 joueurs de Mapou Yanga-Mbiwa en août 2012 à Manu Koné en septembre 2024 [1]. Laurent Blanc a contribué à hauteur de 12 internationaux, dont Giroud, Koscielny, Payet et Matuidi. Enfin, Raymond Domenech a fait débuter 13 joueurs dont Lloris, Benzema, Sissoko, Valbuena, Ribéry ou Evra.
Sur le graphique ci-dessous, je mets en évidence pour chaque sélectionneur la proportion de joueurs lancés par lui et leur nombre total de sélections (sur l’ensemble de leur carrière internationale, pas uniquement sur la période).
Un bilan très brillant
Si on peut entendre que la qualité du jeu n’a pas toujours été au rendez-vous avec cette génération, notamment lors des premiers tours 2016 et 2018, franchement moches, ou d’une Coupe du monde gagnée par l’état d’esprit et la cohésion plus que par les exploits techniques, il faudrait être particulièrement borné pour contester le bilan comptable depuis le printemps 2014. Si l’on s’en tient à la proportion de victoires sur le total des matchs joués, il est même légèrement supérieur à celui, pourtant exceptionnel, de la génération Zidane : 66% contre 64%. Certes, les Bleus de Deschamps sélectionneur ont perdu proportionnellement plus souvent que ceux de Zizou joueur (14% de défaites contre 9%), mais près de la moitié de ces défaites (9 sur 20)concernent des matchs amicaux [2].
Si maintenant on regarde uniquement les matchs de compétition, le bilan est stable : 60 victoires sur 92 (65%) pour 11 défaites [3]. On constatera que cinq d’entre elles ont eu lieu en phase qualificative de la Ligue des Nations, donc avec une importance moindre qu’en phase finale (quatre).
Zidane et ses potes avaient fait pareil avec 65% de victoires en compétition, mais ils perdaient moins souvent : 6 défaites en 80 matchs. Enfin, en phase finale [4], les Bleus de la génération Griezmann ont le meilleur bilan de l’histoire de l’équipe de France : 38 matchs joués, 24 gagnés (63%) pour seulement 4 perdus, dont un sans conséquence contre la Tunisie en 2022. Soit moins de victoires que la génération Zidane (28 sur 37 matchs joués, soit 76%), mais aussi moins de défaites (4 contre 5). Le bilan laborieux de l’Euro 2024 (2 victoires, 3 nuls, une défaite) n’y est pas pour rien.
Le point haut : 15 juillet 2018 à Moscou, France-Croatie 4-2
Bien sûr, ce n’est pas le plus beau match des Bleus depuis 2014. Mais, même baroque et improbable, cette finale contre une Croatie redoutable pendant une heure restera dans l’histoire du football français : un froid réalisme doublé d’une franche réussite en première mi-temps (but croate contre son camp, pénalty accordé avec l’assistance vidéo) et une estocade en deux temps et six minutes pour plier le match et donner au score une ampleur tout à fait inattendue.
Sans la stupéfiante bourde de Lloris et avec un peu plus de sang-froid devant, ce France-Croatie aurait même pu se terminer sur un score de tennis. Le métier de Griezmann, la détermination de Pogba et les éclairs de Mbappé auront suffi à masquer les défaillances du duo Kanté-Matuidi, les coups de mou de Pavard et l’inefficacité de Giroud. Avec un sentiment d’inéluctable particulièrement dur à avaler pour les adversaires.
Le point bas : 28 juin 2021 à Bucarest, France-Suisse 3-3
Ce n’est certes pas une défaite, et les Bleus ont été plus nettement battus à Rotterdam par les Pays-Bas en novembre 2018 ou à Konya par la Turquie en juin 2019 (0-2 à chaque fois). Mais ils ont bu la tasse pendant une mi-temps face à la Suisse en huitièmes de finale de l’Euro, dont ils étaient les grands favoris. Et alors qu’ils avaient fait le plus dur en revenant à 3-1 au milieu de la deuxième période, ils ont complètement perdu le fil du match, se faisant remonter à 3-3 dans les dix dernières minutes dans une sorte de remake improbable de Séville. Encore stériles en prolongations (comme face au Portugal en 2016), ils finissaient mal la séance de tirs au but avec un raté de Mbappé, cinquième tireur. La déception était à la hauteur des attentes, immenses, et au niveau du quart perdu contre la Grèce en 2004.
Vos commentaires
# Le 16 août 2018 à 16:17, par Tran Quang En réponse à : Génération 10 : les années Griezmann (depuis 2014)
Pour moi, pour le moment, le point le plus bas c’est le match nul 0-0 contre le Luxembourg en septembre 2017 en eliminatoires heureusement sans consequence a la fin
# Le 19 août 2018 à 13:20, par Bruno Colombari En réponse à : Génération 10 : les années Griezmann (depuis 2014)
Oui, c’était une possibilité, de même que pour le point haut il y aurait pu avoir aussi le France-Allemagne 2016 ou le France-Argentine 2018. J’ai retenu ce match contre la Belgique parce que l’équipe a lâché très vite mentalement et a ouvert les vannes, un an avant l’Euro, à domicile contre un des favoris de la compétition.
Le 0-0 contre le Luxembourg est une énorme contre-performance, mais due à un jeu trop décousu devant et une défaillance collective contre une équipe massée en défense et très solidaire. Ça peut arriver.
# Le 24 août 2018 à 11:32, par Nicolas En réponse à : Génération 10 : les années Griezmann (depuis 2014)
Au contraire le choix du France/Belgique est pertinent. La Belgique se positionnait alors clairement en favori pour l’Euro tandis que les doutes et questions s’accumulaient pour les bleus après la démonstration belge.
Espérons que la génération Griezmann nous fasse encore rêver parce que je l’aime cette équipe !