Mise à jour d’un article initialement paru en décembre 2013.
Après douze années d’interruption à cause de la guerre, la coupe du monde renaît au Brésil en 1950. C’est la deuxième fois, vingt ans après l’Uruguay, que l’Amérique du Sud accueille la compétition créée par Jules Rimet, devenu depuis président de la FIFA. Et c’est peu dire que cette quatrième coupe du monde va être rocambolesque.
Pour y accéder, l’équipe de France doit d’abord se débarrasser de la Yougoslavie en aller-retour. Match nul le 9 octobre à Belgrade (1-1), match nul le 20 octobre à Paris (1-1). Il faut jouer un match d’appui sur terrain neutre, à Florence le 11 décembre. L’équipe de France mène 2-1 à sept minutes de la fin mais concède un pénalty dans la foulée. 2-2, prolongations et défaite 2-3. La Yougoslavie est qualifiée, les Bleus sont éliminés pour la première fois en quatre éditions.
Forfaits en cascade
Dans la zone Europe, deux places sont attribuées à des équipes britanniques, lesquelles s’affrontent chaque année dans le British Home Championship (sorte de tournoi des quatre nations, sans la République d’Irlande). Mais les dirigeants écossais décident que seul le premier mérite de participer au tournoi mondial. L’Angleterre finit première devant l’Ecosse, qui déclare donc forfait, ceci au mois d’avril 1950. La France est donc repêchée et ira à Rio. Le tirage au sort de la phase de poules a lieu le 22 mai, et la FIFA doit faire face à une cascade de forfaits : l’Inde, qualifiée, renonce après que ses joueurs se soient vus contraints par le réglement de porter des chaussures (!), la Turquie, qui a éliminé la Syrie (forfait au retour), puis l’Autriche (forfait également), déclare forfait elle aussi. Vous suivez toujours ? Tant mieux, parce que ce n’est pas fini.
Les Bleus sont versés dans le groupe de la Bolivie et de l’Uruguay (un seul qualifié) en attendant de connaître leur quatrième adversaire. Le Portugal est un instant pressenti, repêché à la place de la Turquie. Mais la fédération portugaise renonce également en raison du coût trop élevé du voyage. Viennent alors deux matches amicaux de préparation de l’équipe de France, perdus 0-1 à domicile face à l’Ecosse le 27 mai, et 1-4 à l’extérieur contre la Belgique le 4 juin. De sérieux doutes commencent à apparaître sur le niveau réel de la sélection.
Du coup, la FFF par le biais de son président Emmanuel Gambardella (celui qui donnera son nom à la coupe) menace le comité d’organisation d’un forfait de la France. Le motif ? L’équipe de France doit disputer deux matches du premier tour contre l’Uruguay le 25 juin à Porto Alegre et contre la Bolivie le 29 à Recife, à 3500 kilomètres au nord. Le même Gambardella qui avait déclaré, après l’élimination en barrage contre la Yougoslavie, que la France avait sa place au Brésil, puisque c’était un Français qui avait inventé la Coupe du monde...
Le télégramme de la dernière chance
Entre les deux matches, le 1er juin, la FFF envoie un télégramme au comité d’organisation, demandant la modification du calendrier le lundi 5 dernier délai, date du bureau fédéral. Dans la journée du 5, Henri Delaunay reçoit un coup de téléphone de Cosme Sotero (comité d’organisation), laissant entrevoir possibilité d’un arrangement. A 20h, pas de réponse (par télégramme). Six des onze membres du bureau fédéral votent le forfait. Quelques minutes après, un télégramme arrive de Rio. Il rejette la demande française de modification du calendrier et propose une escale à Rio pour réduire les trajets en avion entre Porto Alegre et Recife.
Outre la peur d’être ridicule en phase finale, une autre explication possible de ce forfait tient à la distance à parcourir en avion, et au contexte de l’époque. Deux catastrophes aériennes ont marqué l’année 1949 : celle de Superga près de Turin le 4 mai qui a décimé l’équipe du Torino de retour de Lisbonne (31 morts dont l’international français Emile Bongiorni) et celle des Açores qui coûte la vie à Marcel Cerdan le 28 octobre (48 morts). On comprend mieux la phobie de l’avion de l’international Roger Gabet, écarté de l’équipe avant le forfait.
Le récit qu’en fait L’Equipe
Gallica, le site des archives numériques de la BNF, a mis en ligne récemment les numéros des cinq premières années de L’Equipe, de 1946 à 1950. Des sources très précieuses pour qui s’intéresse à l’immédiat après-guerre, et notamment à ce forfait de 1950.
Le 2 juin dans L’Equipe, Jacques de Ryswick livre un article intitulé « Récifs et foire d’empoigne ». Il rappelle que la distance entre Porto Alegre et Recife équivaut à celle séparant Paris et Le Caire. Et que s’il fait 5°C en cette saison au Sud du Brésil, la température moyenne de Recife en juin (sous l’équateur) est de 30°C. La France serait victime de son statut de repêchée, ou de plus faible équipe européenne (comme la Bolivie pour l’Amérique du Sud, contre laquelle elle devrait jouer à Recife).
Le plus amusant est la remarque de Ryswick sur le terme « manoeuvres de consulats » avancé par le correspondant du journal à Rio. « Peut-être verra-t-on un jour le consul d’un des pays « belligérants » pénétrer sur le terrain pour demander raison à l’arbitre, ou encore intimer l’ordre à son équipe nationale l’ordre d’abandonner le jeu parce qu’on lui aura refusé un pénalty ». C’est-à-dire exactement ce qui se passera 32 ans plus tard lors de France-Koweït à Valladolid.
Le 6 juin, L’Equipe titre sur cinq colonnes à la Une : « La France n’ira pas à Rio ! » Jacques Ferran raconte le déroulement de cette folle soirée du 5 juin. Et révèle la vraie raison, cachée derrière l’officielle (pas de réponse de la Fédération brésilienne dans les délais impartis) : « La véritable raison, qui ne fait de doute pour personne, c’est la mauvaise tenue de l’équipe de France lors de France-Ecosse (0-1) et de Belgique-France (4-1). Le Bureau fédéral, qui pouvait fort bien accorder un délai supplémentaire de 24 heures à la commission d’organisation, a décidé dene pas attendre et a décidé SANS APPEL. Comme s’il avait craint, beaucoup plus qu’espéré, que Rio finalement ne répondit : « Vous avez satisfaction ! »
Ce n’est pas ce qui s’est passé. Le télégramme de Rio arriva quelques minutes plus tard, et annonçait le rejet de la demande française. « Sommes disposés faciliter présence à Rio entre les deux matches, avec deux voyages en avion de 3 ou 4 heures. »
Et pourtant, si les joueurs français, à qui on n’avait rien demandé, étaient très déçus, il en allait de même pour les présidents des clubs professionnels, bizarrement : « Nous risquons d’être ridicules au Brésil, et encore ce n’est pas certain. Mais il vaut mieux courir ce risque que de nous rendre certainement ridicules en déclarant forfait maintenant », déclare Marcel Delisle, président de Rennes. Quant au secrétaire général de la FFF, Henry Delaunay, un des créateurs de la Coupe du monde avec Jules Rimet, il affirme avoir voté le forfait « la mort dans l’âme ».
Le 7 juin, L’Equipe a fait le tour des internationaux français et de leur entraîneur Paul Baron pour recueillir leurs réactions : « Quel dommage ! Moi qui les suivais de près, je suis sûr qu’ils auraient fait une bonne perfomance. » Pour Jean Grégoire, "c’était un rêve pour moi comme pour mes camarades. Une consécration suprême, en quelque sorte, comme l’est par exemple la finale de la Coupe… » Quant à Pierre Flamion, « ma déception est d’autant plus grande qu’il y a huit jours, je ne pensais pas le moins du monde à l’équipe de France. Puis ma sélection inattendue pour Bruxelles avait fait naître en moi l’espoir d’être du voyage au Brésil et maintenant tout s’écroule. »
Mais en Belgique (dernière sélection à avoir rencontré la France), le secrétaire du comité de sélection Emile Hanse n’est pas surpris. « Je pense que la FFF fait bien de ne pas y envoyer d’équipe. Un onze de football doit être préparé de longue date : il y a six mois qu’il fallait prévoir Rio […] Les Belges ne sont pas plus forts individuellement que les meilleurs français, mais nous possédons ici une équipe totale. » Et vlan.
Dans un article au vitriol en dernière page le 7 juin, Marcel Oger distribue les cartons rouges : « La France avait été réglementairement éjectée de la Coupe par sa défaite en trois matches devant la Yougoslavie. La Fédération critique qu’il n’était ni ridicule ni déraisonnable de solliciter, sans pour cela singer les bourgeois de Calais, le remplacement d’un défaillant. Polémiques vives. Nous ne désapprouvâmes pas la FFF du moment qu’elle gardait sa dignité. […] Ce forfait, sur un tel prétexte, ne peut être que mal interprété. A partir du moment où l’on s’était engagé dans la voie du repêchage, on ne devait pas faire fine bouche. Ou il fallait poser, avant, ses conditions. […] Quoi ! On s’engage dans une compétition, puis, le moment venu de la jouer, on se dérobe dans la crainte d’une fessée ! Autant supprimer Championnats du monde, d’Europe, de France, Jeux Olympiques, toutes épreuves qui, par leur ampleur propre, supposent des éliminatoires avec, à la base, des marges plus ou moins grandes de buts, de points, de minutes ou de secondes. »
Une coupe en dépit du bon sens
La quatrième Coupe du monde de l’histoire se jouera donc sans l’équipe de France. Cette édition 1950, disputée à treize équipes, sera celle du grand n’importe quoi : l’Uruguay sort du premier tour en n’ayant disputé qu’un seul match (remporté 8-0 contre la Bolivie), le format de l’épreuve ne ressemble à rien avec un second tour à quatre qui doit désigner le vainqueur. Le stade Maracana est inauguré le 24 juin et il est encore en chantier le jour de la finale.
Ce 16 juillet, le Brésil qui a passé deux raclées à la Suède (7-1) et l’Espagne (6-1) n’a besoin que d’un nul pour être champion du monde et pour la presse et le public, l’affaire est déjà pliée. C’est pourtant l’Uruguay qui l’emporte (2-1) en jouant intelligemment le contre face à une sélection brésilienne trop sûre d’elle. La Coupe du monde est remise en catimini par Jules Rimet au capitaine uruguayen Obdulio Varela pour éviter un drame dans un stade en deuil. Quelques semaines plus tard, une polémique éclate car les Etats-Unis, vainqueurs au premier tour de l’Angleterre, ont aligné trois joueurs non-sélectionnables selon les réglements en vigueur. La FIFA ne revient finalement pas sur le résultat final.