L’épopée des voyages bleus (1904-1945)

Publié le 7 juillet 2020 - Raphaël Perry

Train, bateau, avion, taxi, covoiturage… De 1904 et son match inaugural en Belgique à la fin de la deuxième guerre mondiale, l’équipe de France a utilisé toutes sortes de moyens de locomotion pour ses déplacements. Petit florilège.

7 minutes de lecture

Le Train du Plaisir, direction Belgique

Le premier rassemblement des pionniers de la sélection a eu lieu Gare du Nord à 22 heures la veille du premier match disputé à Bruxelles, le 30 avril 1904. Onze joueurs figuraient dans le train de nuit à destination de la capitale belge qu’ils ont atteint à 4 heures du matin. Sur place, ils ont été rejoints par l’extrême gauche de Tourcoing Adrien Filez, seul provincial de l’équipe et benjamin de ce premier groupe. La Belgique sera la destination des trois premiers déplacements tricolores.

Autre destination belge fréquentée par les Français, Liège, atteinte à bord du Train du Plaisir le bien nommé qui, en 1929, laissera en plan dans la Cité Ardente, 400 supporters français mécontents.

En 1908, on innove en cette année olympique. D’abord en Suisse en mars. Pour ce déplacement toujours en train, les coéquipiers français avaient rendez-vous au buffet de la Gare de Lyon la veille du match à 19h pour un diner avant un départ à 21h pour Genève. Ils sont arrivés sur place vers 8h le dimanche matin, soit cinq heures avant le coup d’envoi.

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Douvres, Shakesperare Cliff.


Un gardien dans le Channel

Londres, théâtre des JO en octobre, a accueilli en mars nos couleurs pour la première fois. Comme dans notre sélection figuraient des Parisiens et des Nordistes, chacun a fait par ses propres moyens pour rejoindre Park Royal. En train, puis en bateau puis de nouveau en train pour les premiers nommés, en bateau puis en train pour les plus proches de la Perfide Albion. Certains équipiers sont même partis deux jours avant le match avec le dirigeant André Espir pour assister à un match de professionnels sur place la veille.

Lors de ce premier rendez-vous outre-Manche, les Français ont été confrontés à une pénurie au niveau de leurs gardiens de but. Le titulaire initial Zacharie Bâton, n’ayant pas reçu l’autorisation de sa hiérarchie de se rendre sur place ; son remplaçant Maurice Tillette est arrivé blessé à Londres. Du coup, c’est le Roubaisien André Renaux qui a été appelé. Les mauvaises langues diront qu’il a été convoqué car c’était le gardien le plus proche pour rejoindre Londres dans les temps pour pouvoir jouer en Angleterre. Il reviendra avec 12 buts dans sa besace.

Rendez-vous à Covent Garden

Lors des Jeux en octobre, deux équipes montées de bric et broc ont représenté la France à trois jours d’intervalle, avec des joueurs qui ont fait connaissance, pour la plupart, sur le chemin menant à Londres, voire carrément à Covent Garden, leur quartier général sur place. Leurs voyages n’ont pas été de tout repos. Pour des soucis d’économie, l’USFSA a fait partir chaque équipe de France la veille de leur match, avec traversée de la Manche programmée en matinée. On a connu meilleure préparation ! Leurs adversaires danois, entraînés par un Anglais et présents sur place depuis plusieurs jours passeront les deux équipes de France à la moulinette (9-0 et 17-1).

Paris-Milan en 40 heures chrono

Rejoindre la botte avant la première guerre ressemblait à un joli parcours de combattant. Prenez Milan en 1910 avec un rendez-vous fixé à la Taverne Grüber située à côté de la Gare de Lyon pour un départ de l’Express à 13h40 le samedi et une arrivée dans la cité lombarde à cinq heures du matin le jour du match, soit quinze heures de train montre en main. Il en sera de même niveau durée deux ans plus tard pour rejoindre Turin avec des changements de trains en Suisse et des correspondances à ne surtout pas rater.

On aurait pu penser que les progrès réalisés en matière ferroviaire allaient simplifier ce moyen de transport après la guerre. Ce fut pire à l’image de ce déplacement encore à Milan en 1920, l’un des plus épiques de l’histoire de la sélection. En tout, il durera près de 40 heures avec moult péripéties au passage : travaux sur la ligne, grève des cheminots, correspondance manquée à Lausanne, escale de nuit improvisée à Brigue, en Suisse, en attendant le train suivant, pour une arrivée dans la capitale lombarde une heure et demie seulement avant le coup d’envoi du match.

Pour se remettre de ce voyage mouvementé, le capitaine tricolore Emilien Devic fit servir à ses coéquipiers des Porto-flip bien tassés. Les tricolores s’inclinèrent 9-4 après avoir tenu une mi-temps.

Hitler et l’Orient Express

La première virée en Europe occidentale a eu lieu au printemps 1914, en Hongrie, atteinte après 31 heures de voyage en train, plutôt confort


Dans les années 1920, les hommes de Gaston Barreau retourneront à plusieurs reprises dans ces contrées à bord notamment de l’Orient-Express… qui a failli se refuser à eux en 1933. Alors que la logistique de leur déplacement vers Prague est calée depuis des semaines, l’arrivée au pouvoir d’Adolf Hitler en Allemagne change la donne. Le nouveau chancelier ordonne la suppression des passeports collectifs sur le sol germanique. Branle-bas de combat alors à la FFFA qui arrivera à récupérer tous les documents administratifs nécessaires juste avant le départ.

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Perdus dans les Balkans

En 1932, à l’occasion de leur tournée dans les Balkans, les Français ont mis 36 heures pour rejoindre Belgrade en train. Partis de la Gare de l’Est le jeudi 2 juin à 8h53, ils ont cheminé via Strasbourg, Munich et Vienne pour arriver dans l’ex capitale yougoslave le vendredi 3 juin vers 23h en présence de Jules Rimet, sa femme et sa fille. Après leur match à Sofia joué sur un terrain gorgé d’eau, les Français auront le malheur de rater leur train pour Bucarest et seront quitte pour rejoindre la capitale roumaine dans un train omnibus qui mettra 25 heures. Pas vraiment idéal quand on rejoue le lendemain.

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Nourrir les poissons de la mer du Nord

Après la Manche en 1908 et en attendant le déplacement en Uruguay à l’occasion de la première coupe du monde de l’histoire, les Français ont vogué en juin 1922 lors d’une tournée en Norvège volontairement oubliée par leurs instances dirigeantes. Parti le 2 juin en train de Paris à 22h45, ils sont arrivés par bateau à Stavanger 48 heures plus tard. Comme peu avaient le pied marin dans cette mer du Nord tempétueuse, ils ont donné à manger aux poissons. Sur place, les coéquipiers de Raymond Dubly, le capitaine et plus capé de la bande (9 débutaient pour la première fois), ont d’abord affronté une sélection régionale (2-3) avant de prendre le train en direction de la capitale. Mais ce voyage ne sera mouvementé sur les chemins de fer locaux avec la neige tombant dru sur les montagnes environnantes et retardant leur arrivée à Christiania. Opposés cette fois à la véritable équipe de Norvège sous les yeux du roi Haakon VII, ils subissent un lourd revers (0-7). Contrairement à son homologue scandinave qui a officialisé ce résultat, la FFF ne l’a jamais reconnu.

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Conte Verde en 1930. Il avait fallu 15 jours pour traverser l’Atlantique du Nord au Sud.


Le baptême de Neptune sur le bont du Conte Verde

Huit ans plus tard, les Français reprendront le bateau pour un voyage au long cours à destination de l’Uruguay. Partis à bord de Villefranche sur Mer le 21 juin 1930 à bord du SS Conte Verde de la marine italienne où se trouve déjà la délégation roumaine montée à Gênes, ils ont navigué pendant deux semaines avec des haltes à Barcelone pour récupérer l’équipe belge et à Rio pour l’équipe brésilienne avant d’atteindre leur destination le 5 juillet. Le passage de l’Equateur a donné lieu au traditionnel baptême par le dieu Neptune de tous les passagers n’ayant pas encore franchi la ligne. Une cérémonie qui consiste à ingurgiter une forte cuillerée de sel et se voir ensuite arrosé de Champagne. L’arbitre français retenu pour la compétition, Thomas Balway [1], apprendra par télégramme à son arrivée à Montevideo le décès de sa femme - il ne pourra s’incliner sur sa tombe que 55 jours plus tard. Après leur élimination, les Français quitteront l’Uruguay à bord du transatlantique la Duilio qui fera escale à Sao Paulo et à Rio où les Français disputeront deux matches de gala, dont l’un face à la Seleçao (2-3) ne donnant droit à aucune sélection.

Dans l’avion spécial de la Royal Air Force

Au sortir de la première guerre mondiale, on a cru que l’avion allait devenir le moyen de transport privilégié pour les déplacements de l’équipe nationale. Dès 1919, à l’occasion du déplacement à Bruxelles, il était prévu que les Français embarquent à bord de biplans Voisin. Le mauvais temps aura raison de cette initiative. En revanche, les officiels, journalistes et photographes, sont bien montés à bord ce jour-là de quatre avions pilotés par les aviateurs Frantz, Gardey, Delaunay et Delmas.

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Biplan Voisin. L’équipe de France aurait dû emprunter ce type d’avion en 1919 pour aller en Belgique.


Il faudra attendre un quart de siècle pour assister au premier déplacement effectué par voie aérienne. Le 25 mai 1945, l’équipe de France décolle du Bourget à destination de Croydon, au sud de Londres par avion spécial de la Royal Air Force.

Le Dakota dans la neige de Bavière

Le déplacement suivant à destination en décembre de la même année sera un peu plus mouvementé. Réunie au Bourget, la délégation tricolore dans laquelle figure pour la première fois Emile Bongiorni (qui trouvera la mort en 1949 dans la catastrophe de Superga décimant le grand Torino), décolle à destination de Vienne à bord d’un Dakota. Le voyage se passe sans souci jusqu’aux abords de la capitale autrichienne noyée dans le brouillard. Dans l’impossibilité d’atterrir, l’avion est dérouté sur Munich où les Français passent la nuit. Le lendemain, c’est cette fois la Bavière qui est tapie sous un épais manteau blanc et empêche tout décollage. Avertie, la Fédération autrichienne reportera alors le match de 24 heures.

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Avio Dakota de Douglas Aircraft, juste après la deuxième guerre mondiale.


Péripéties

La première de l’histoire a concerné Georges Crozier. Gardien de l’équipe de France en mai 1905 contre la Belgique, ce militaire avait reçu la permission de minuit pour réintégrer sa caserne parisienne. Le timing était juste mais tenable à condition que le match se déroule sans-accroc. C’est sans compter sur cet énorme orage qui s’abat sur la capitale belge qui retarde l’arrivée de l’arbitre anglais John Lewis prévu pour diriger la partie et de fait le coup d’envoi.

Conséquence, avec le retard pris, peu après l’heure de jeu, Crozier quitte précipitamment ses coéquipiers alors menés 4-0 et le terrain, direction la gare de Bruxelles et le train de 18 heures, le dernier à même de lui permettre de rejoindre sa caserne à temps. Peine perdue, le portier arrivera à Paris après minuit et écopera de quinze jours de prison.

Dans les années 1930, plusieurs déplacements sont restés dans les annales des transports. Pour diverses raisons. Cela a commencé par ce chevreau devenu mascotte de l’équipe de France à bord du Sud-Express en route vers Porto en février 1930.

Cela s’est poursuivi par cette escale foireuse à Belfort lors d’un déplacement à Berne en mars 1932. Quatre joueurs, Manuel Anatol, les frères Jean et Lucien Laurent et Ernest Libérati, ainsi que le sélectionneur Gaston Barreau descendent sur le quai pour se dégourdir les jambes et discuter. Mais pris par leur conversation, ils oublient de remonter dans le train. Il n’y aurait pas eu trop de désagréments si Barreau n’avait pas eu en sa possession tous les billets de train ainsi que tous les passeports de la délégation à son arrivée à la frontière. Après de longues explications avec les douaniers, ils seront admis en Suisse sans billet ni passeport. Quant aux cinq du quai belfortain, ils ont rejoint Berne distante de 130 km en taxi et retrouvé le groupe au dîner.

A la sortie de la deuxième guerre, il est arrivé une drôle d’aventure au Lensois Marcel Ourdouillié, retenu pour la première fois en équipe de France le 15 décembre 1945 pour affronter la Belgique à Bruxelles. La veille du rassemblement, son plus jeune fils, âgé de 13 mois, enchaîne les convulsions à la suite d’une percée de dents. Bloqué à son domicile et inquiet en attendant le passage du médecin appelé en urgence, ce dernier le rassure. Ourdouillié va pouvoir rallier la capitale belge. Mais comment ? Mis au courant de sa mésaventure, des supporters de Lens qui ont prévu d’aller encourager les Français à Bruxelles, l’embarquent dans leur car et le déposeront à l’hôtel des joueurs sur place.

[1parfois appelé Georges Balvay, il y a un doute sur son identité.

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Hommage à Pierre Cazal