Lire l’article sur le site de Soccer Nostalgia The Soccernostalgia Interview-Part 87
Cet article fait partie de la série Dialogue avec Soccer Nostalgia
Lire la version en anglais. English version here
Soccernostalgia : Quelle était l’ambiance en équipe de France avec Michel Platini à l’automne 1990, après une saison relativement réussie ?
Richard Coudrais : Le football français était dans une bonne dynamique. L’Olympique de Marseille et l’AS Monaco avaient été jusqu’en demi-finales des Coupes d’Europe (L’OM en C1 et l’ASM en C2) et l’équipe de France, même si elle était absente de la Coupe du monde 1990 en Italie, était invaincue depuis plusieurs mois. Michel Platini et son adjoint Gérard Houllier avaient construit une équipe de France solide portée par le duo d’attaque Papin-Cantona. Le public français était confiant.
La France devait participer aux éliminatoires de l’Euro 1992 dans un groupe avec l’Espagne, la Tchécoslovaquie, l’Islande et l’Albanie. L’Espagne et la Tchécoslovaquie venaient de participer à la Coupe du monde 1990. Comment ont été considérées les chances de la France alors qu’une seule équipe pouvait se qualifier dans ce groupe ?
C’était un groupe difficile car seule l’équipe classée première se qualifiait pour l’Euro 1992 (le dernier disputé à huit équipes). Les équipes d’Espagne et de Tchécoslovaquie faisaient figures de favorites car elles avaient fait un bon tournoi lors de la Coupe du monde 1990. La France pouvait toutefois tirer son épingle du jeu, car elle était redevenue performante et tenait à le prouver sur le terrain.
La saison a commencé par un match amical à Paris contre la Pologne le 15 août 1990. Emmnauel Petit a fait ses débuts internationaux dans un match nul et sans but sans intérêt. Était-ce un match typique de début de saison où la plupart des joueurs ne sont pas en forme et prêts ?
Un match international, même amical, n’est jamais sans intérêt. Les rencontres qui inaugurent la saison ne sont pas très spectaculaires, mais elles permettent à l’équipe de retrouver ses automatismes avant de s’engager dans les rencontres éliminatoires. Emmanuel Petit a en effet connu sa première sélection contre la Pologne au Parc, alors qu’il n’avait même pas vingt ans. Associé à Franck Sauzée en défense centrale, il a connu pas mal de difficultés et Platini ne l’alignera plus durant les éliminatoires.
La fortune de la France semblait liée à l’Olympique de Marseille de Bernard Tapie, qui recrutait la plupart des internationaux français (Boli, Casoni, Pardo, rappel de Cantona), pour constituer une équipe capable de remporter la Coupe des Champions. Dans une interview, Platini a estimé qu’il s’agissait d’une pression positive sur les joueurs car cela les faisait progresser, était-ce le consensus général ?
La moitié de l’équipe de France était en effet constituée de joueurs marseillais, y compris Didier Deschamps et Franck Sauzée, qui avaient rejoint Bordeaux et Monaco mais qui reviendront très vite. Le fait d’avoir une ossature de club est toujours un atout pour une sélection. Bernard Tapie avait des moyens financiers extraordinaires, mais il ne pouvait pas recruter plus de trois joueurs étrangers. Il devait alors investir dans ce qui se faisait de mieux dans l’hexagone et il se servait de l’équipe de France pour faire son marché. Platini ne voyait pas ça d’un mauvais œil. Le système Tapie assurait la cohésion de son équipe.
Le premier match de qualification pour l’Euro a eu lieu à Reykjavik, le 5 septembre 1990. La France s’est imposée (2-1) grâce aux buts du duo d’attaquants Papin et Cantona. Ce n’était pas un match spectaculaire, mais la France avait fait le minimum requis. Quelle a été la réaction de la presse ?
Un match en Islande est toujours un match piège. La pelouse n’est pas toujours de bonne qualité et les joueurs islandais sont vaillants et compliqués à jouer. En marquant dans le premier quart d’heure, Papin a permis aux Français de jouer libérés. Cantona a doublé la mise en fin de rencontre et a consolidé la victoire tricolore. Les Islandais ont réduit l’écart mais n’ont pas été en mesure d’égaliser. C’était une victoire très importante car elle lançait idéalement les éliminatoires. On restait en outre persuadés que l’Islande était en mesure de faire tomber un des trois favoris. L’Espagne s’inclinera à Reykjavik.
Le match de qualification suivant eut lieu le 13 octobre 1990, au Parc des Princes, la France battait la Tchécoslovaquie (2-1) grâce à un doublé de Papin. Jocelyn Angloma a également fait ses débuts dans ce match. Y a-t-il eu le sentiment qu’il s’agissait d’un match de référence pour le groupe de Platini ?
Cette rencontre contre la Tchécoslovaquie au Parc constituait le premier grand rendez-vous pour les Français et ceux-ci devaient absolument l’emporter car il s’agissait d’un concurrent direct. Jean-Pierre Papin marque les deux buts et devient l’atout numéro un de l’équipe. Jamais la France n’avait connu un tel avant-centre depuis Just Fontaine. Quant à Jocelyn Angloma, il a fait ses débuts comme milieu droit. Il venait alors de rejoindre le Paris-Saint-Germain mais comme il portait désormais le maillot bleu, il était annoncé à l’OM… qu’il rejoindra en fin de saison.
Laurent Blanc a fait la transition avec beaucoup de succès pour jouer en tant que nouveau libéro de l’équipe nationale de France, ce qui a forcé Platini à repenser sa tactique. Que pouvez-vous dire du nouveau positionnement de Blanc ?
Franck Sauzée ne voulait plus jouer en défense centrale puisqu’il jouait milieu de terrain à Monaco. Dans le même temps à Montpellier, Laurent Blanc est passé du numéro 10 au numéro 5 et a été performant en Coupe d’Europe où le club pailladin a multiplié les exploits. C’est tout à fait logiquement qu’il a pris ce poste de libéro en équipe de France. Il fera la carrière que l’on sait à ce poste qui ne lui était pas prédestiné.
Le prochain match de qualification pour l’Euro se déroule contre l’Albanie à Tirana le 17 novembre 1990. La France fait le minimum requis et s’impose (1-0) grâce à un but de Boli (à une époque où il marquait également beaucoup pour l’OM). La conclusion était-elle que le groupe de Platini était capable de remporter des victoires à l’extérieur ?
C’était la première fois que la France rencontrait l’Albanie. La rencontre avait lieu dans un petit stade qui ne disposait pas d’éclairage, raison pour laquelle elle est disputée en après-midi. L’équipe d’Albanie est alors très faible (elle perdra 9-0 contre l’Espagne). Privé de Papin et Cantona, Platini a aligné une équipe très offensive avec Philippe Tibeuf et Pascal Vahirua servis par Jean-Marc Ferreri et Christian Perez. Mais l’expérience n’est pas satisfaisante. L’équipe de France l’emporte grâce à un but de Basile Boli, qui marque de la tête sur un corner. A Marseille, Franz Beckenbauer en a fait un arrière latéral, ce qui lui donne une plus grande liberté et la possibilité de participer au jeu offensif. Et donc de marquer des buts. Mais il retrouvera son poste de défenseur central quand le Kaiser quittera la Canebière. Cette victoire (1-0) en Albanie démontre que l’équipe de Platini peut remporter des rencontres même quand elle ne joue pas très bien, ce qui est la force des grandes équipes.
Durant ces derniers mois de 1990, Phillipe Vercryusse, connaît une seconde jeunesse à l’Olympique de Marseille et est même sélectionné par Platini mais se blesse à ces occasions. Y a-t-il eu une demande pour qu’il fasse partie de l’équipe nationale ?
Le public français restait nostalgique des années Platini joueur et rêvait toujours d’un grand meneur de jeu. Philippe Vercruysse avait le profil pour tenir ce rôle (il le tenait à l’OM) mais il aurait fallu reconstruire l’équipe autour de lui. Platini préférait s’en tenir à son 5-3-2 basé sur la contre-attaque avec Papin et Cantona pour conclure. A Marseille, quand Beckenbauer a cédé sa place à Raymond Goethals, Vercruysse s’est retrouvé sur le banc de touche au même titre que Cantona. On peut regretter que des joueurs comme Vercruysse, mais aussi Ferreri, Touré, Passi, Bravo, n’aient pas bénéficié de conditions favorables pour devenir de grands meneurs de jeu.
Au début de l’année 1991, quelques semaines avant le match contre l’Espagne en février, les joueurs de l’Olympique de Marseille risquaient de faire grève. Le président du club, Bernard Tapie, a été suspendu le 28 janvier par la Commission nationale de discipline pour avoir insulté et intimidé des arbitres. Pouvez-vous expliquer cela davantage ?
Cette saison 1990-1991 fut très riche en “affaires”. Les Girondins de Bordeaux étaient dans la tourmente, notamment le président Claude Bez accusé de malversations financières qui le conduiront en prison. A Toulon, c’est le manager général Roland Courbis qui faisait l’objet d’une enquête pour des histoires de commissions sur les transferts. Plus tard, c’est Jean-Claude Darmon, l’homme chargé du sponsoring de nombreux clubs et de la fédération, qui est à son tour menacé pour d’éventuelles malversations. Curieusement, chacune de ces affaires a éclaté avant un match de l’équipe de France. En janvier, c’est en effet Bernard Tapie qui s’attire les foudres de la commission de discipline, ce qui provoque des remous au sein des joueurs. Comme la moitié de l’équipe de France fait partie de l’OM, on pouvait craindre un impact mais il n’en a rien été.
Le match le plus important de la saison a eu lieu le 20 février 1991, au Parc des Princes contre l’Espagne. La France s’est imposée (3-1) face à un rival et adversaire. Est-ce le match qui a définitivement établi la France comme favorite pour remporter le groupe et espérer la Suède ?
Après avoir battu la Tchécoslovaquie, la France bat son autre rival direct et s’installe en tête du groupe avec quatre victoires en quatre rencontres. Elle devient naturellement la favorite du groupe. Ce match contre l’Espagne est extraordinaire, car les Espagnols font le jeu et ouvrent rapidement le score. Mais les Français font alors preuve d’un remarquable esprit de corps et l’emportent 3-1, avec notamment une “Papinade”, le genre de but que seul Jean-Pierre Papin est capable de marquer.
C’était le dernier match de Bernard Pardo pour la France, car il s’est blessé peu de temps après et n’a jamais vraiment retrouvé sa forme par la suite. Que pouvez-vous dire de l’impact d’un des acteurs clés de Platini ?
Bernard Pardo s’est blessé au moment où sa carrière était au sommet, alors qu’il avait trente ans. Ce n’était pas à proprement parler un grand joueur, mais c’était un bagarreur et un remonteur de mécaniques. Tant à l’OM qu’en équipe de France, il était le relais de l’entraîneur sur le terrain. Sa blessure aurait pu constituer un handicap pour les Tricolores, mais il n’en a rien été.
Quelques semaines plus tard, l’Olympique de Marseille éliminait le grand AC Milan et le football français et l’OM étaient à la pointe du football européen et Papin était lié à des équipes de Serie A, dont l’AC Milan. Pouvez-vous décrire cette phase ?
L’élimination de l’AC Milan par l’OM en quart de finale de la Coupe des Clubs champions a été un tournant pour le football français. Le club phare pouvait traiter d’égal à égal avec le meilleur club du monde (double champion d’Europe). On n’avait pas connu un tel phénomène depuis Saint-Etienne. Les grands clubs étrangers s’intéressaient aux joueurs français, mais c’était déjà le cas dans les années Hidalgo : Beaucoup de contacts mais peu de mouvements. Les opportunités restaient rares car le nombre d’étrangers par club restait limité. On verra Laurent Blanc rejoindre Naples en 1991 puis Papin l’AC Milan en 1992, sans oublier Cantona dont la carrière prendra un virage inattendu en Angleterre.
L’Olympique de Marseille et dans une moindre mesure Montpellier ont bien performé en Europe. Malheureusement, l’aventure de l’OM s’est terminée par une défaite en finale à Bari contre l’Etoile Rouge en mai, mais visiblement l’équipe de France avec autant de joueurs olympiens a profité de cette aventure. De même, le Montpelliérain Laurent Blanc a été récompensé par un transfert à Naples. Pensez-vous que Platini a été bénéfique à la progression des joueurs ou vice versa ?
Le joueur progresse tant en club qu’en sélection et chacune des équipes où il évolue bénéficie de sa progression. C’est un cercle vertueux qui est renforcé quand le joueur retrouve les mêmes coéquipiers dans ses différentes équipes. La politique de l’OM a bénéficié à l’équipe de France et le parcours de l’équipe de France a bénéficié à l’OM, voire aux autres clubs français (Montpellier, Monaco, Auxerre, notamment).
La saison se termine par un nouveau match de qualification pour l’Euro, le 30 mars 1991, au Parc des Princes, contre l’Albanie. La France s’est imposée confortablement (5-0) grâce à Franck Sauzée marquant deux coups francs. La France avait remporté ses cinq premiers matches de qualification. La qualification était-elle pratiquement assurée ?
Cette rencontre contre l’Albanie au Parc des Princes était très étrange. Le pays des Aigles traversait une grave crise politique et certains joueurs envisageaient le déplacement à Paris pour fuir. L’équipe albanaise était donc très friable avec des joueurs qui avaient autre chose que le football à penser. Les Tricolores ont voulu en profiter pour faire comme l’Espagne, c’est-à-dire lui marquer au moins neuf buts, car la différence de buts entrait en jeu en cas d’égalité. Ils s’y sont appliqué en marquant dès les premières secondes du match et en atteignant le score de 4-0 à la mi-temps. Platini avait aligné quatre attaquants (Cocard, Papin, Cantona, Vahirua). Mais en seconde période, ce fut une catastrophe. Les Français étaient incapables de faire le jeu contre une équipe pourtant démobilisée. Ils n’ont marqué qu’un but, sur une erreur du gardien Nallbani. Cette équipe de France n’était forte que dans l’adversité. Jamais dans la facilité.
Bizarrement, dans cette seconde partie de saison, Eric Cantona, était un titulaire indiscutable avec Platini, malgré son écart à l’OM par Raymond Goethals. Comment cela a-t-il été perçu par la presse de l’époque ?
Platini avait perçu que Cantona était un joueur exceptionnel, ce qui n’était pas le cas de Goethals et Tapie, qui ne supportaient pas que l’on conteste leur autorité. A l’OM, Cantona était un titulaire à part entière avec Beckenbauer, mais une blessure l’a éloigné du terrain. A son retour, Goethals lui a signifié qu’il ne comptait pas sur lui et qu’il le laisserait sur le banc de touche. Comme Vercruysse. Ce dernier a perdu sa place en équipe de France contrairement à Cantona qui bénéficiait d’un traitement de faveur du sélectionneur. Le cas Cantona était un gros sujet de discussion à l’époque, et il le sera durant toute sa carrière.
Tout comme la saison précédente, le groupe de Platini était quelque peu fermé et des joueurs comme Ginola, Ferreri, Roche, etc. seraient exclus. Comme l’équipe a réussi, j’imagine que ce n’était pas un problème pour la presse ?
David Ginola est apparu à l’occasion du déplacement à Tirana (17 novembre 1990) mais Platini ne le rappelera pas par la suite. Il jouait alors à Brest mais n’avait pas encore la maturité nécessaire au niveau international. Ferreri n’a plus été rappelé non plus alors qu’il faisait encore les beaux jours de Bordeaux, tout comme Alain Roche, qui n’a jamais convaincu Platini. Bien sûr, la presse émettait quelques noms au sélectionneur, mais celui-ci avait décidé de s’en tenir à un groupe, en injectant quelques nouveaux à dose homéopathique. Comme les résultats parlaient en sa faveur (n’oublions pas que l’équipe de France venait de boucler sa deuxième saison d’invincibilité), on discutait peu de ses choix.
Tout comme la saison précédente, Platini était-il considéré comme le sauveur de la France après de nombreuses années décevantes ?
Platini conservait une très bonne image dans la presse et aux yeux du public. Même si l’on savait que le travail de fond était réalisé par son adjoint Gérard Houllier, l’ancien capitaine des Bleus conservait une certaine aura. Une bonne étoile le guidait.
Rétrospectivement, s’agissait-il des saisons les plus réussies du football français avec une équipe nationale à succès et un club à succès comme l’Olympique de Marseille (similaire à la popularité de Saint-Etienne dans les années 1970) ?
Sur le plan des résultats, 1990-1991 était en effet une très belle saison pour le football français : L’équipe de France qui remporte toutes ses rencontres de qualification, l’OM qui atteint le finale de la Coupe d’Europe, Montpellier qui surperforme en Coupe des Coupes… Rétrospectivement, c’est une saison qui annonce une belle décennie pour le football français. Certes, il y aura le couac de l’Euro 1992, la rocambolesque élimination des Bleus face à la Bulgarie, l’affaire VA-OM, le drame de Furiani… mais en contrepartie, il s’agit d’une décennie où le football français remportera sa première Coupe d’Europe, puis sa première Coupe du monde. Il s’agira de la meilleure période des clubs sur le plan européen avec l’OM, le PSG, Auxerre, Monaco, qui atteindront régulièrement les demi-finales. Plus globalement, le sport français a connu une embellie dans les années 1990, en améliorant significativement le nombre de médailles récoltées aux Jeux olympiques à partir de 1992 à Barcelone et en remportant de nombreux titres mondiaux dans des sports majeurs.