C’est le 30 avril 1922 que l’équipe de France affronte pour la première fois celle d’Espagne. La rencontre a lieu au Bouscat, près de Bordeaux, au stade Sainte-Germaine, fief du Stade Bordelais et haut lieu du rugby à XV. Craignant sans doute que le football n’ait plus droit de cité en terre d’ovalie, la FFFA tient à organiser des rencontres de haut niveau en territoire ennemi. La proximité de la frontière permet à de nombreux Espagnols de se rendre en Gironde pour venir encourager leur équipe nationale.
La furie rouge
L’Espagne pratique le football depuis la fin du XIXe siècle, principalement sur les ports où ont débarqué les marins anglais. Curieusement, la sélection espagnole n’a été formée qu’en 1920, à l’occasion des Jeux olympiques d’Anvers. Le caractère profondément régionaliste de l’Espagne et la concurrence entre différentes fédérations a longtemps retardé la création d’une véritable équipe nationale. La rencontre du Bouscat contre l’équipe de France n’est que la huitième de la Furia Roja. Mais lors des sept précédentes, elle a déjà remporté six victoires et décroché une médaille olympique d’argent (dans des conditions, il est vrai, très particulières). Cette équipe est composée de joueurs rompus aux duretés du championnat espagnol dont les plus connus sont Josep Samitier, Paulino Alcántara ou le spectaculaire gardien Ricardo Zamora.
Pour les joueurs français, la date de la rencontre tombe plutôt mal. Elle se déroule une semaine avant la finale de la Coupe de France et cette échéance préoccupe tellement les esprits que certains internationaux convoqués pour France-Espagne ont déclaré forfait. Ceux du Red Star et du Stade Rennais, concernés par la finale, mais aussi certains provenant d’autres clubs. Craignant une hémorragie, la fédération réagit aussitôt et prononce une suspension de quinze jours pour les déserteurs, en l’occurrence Pierre Chayriguès (Red Star), Maurice Cottenet (Olympique), Albert Jourda (Sète), Jules Devaquez (Olympique) et Paul Nicolas (Red Star). La sanction dissuade les deux derniers, qui rejoignent finalement Bordeaux en traînant des pieds.
Les joueurs français sont logés dans un hôtel bordelais proche de la gare. Et pour qu’ils se rendent au stade, on les embarque dans un camion bâché. On a connu meilleure organisation pour préparer des footballeurs internationaux et surtout les motiver. Certains font connaissance durant le trajet, notamment avec les trois nouveaux : le défenseur strasbourgeois Grégoire Berg, l’attaquant lillois André Ryssen et le demi parisien Marcel Domergue, provenant du CASG. Seul ce dernier connaîtra d’autres sélections par la suite.
Le stade Sainte-Germaine est garni de quelques dix-mille spectateurs, dont la moitié sont espagnols et le font savoir. C’est le Belge Raphaël van Praag que l’on appelle pour arbitrer cette rencontre. Celui-ci a déjà dirigé les Tricolores à deux reprises (Luxembourg 1911 et Irlande 1921) et sera encore sollicité en trois occasions.
Réglé en une mi-temps
Après vingt minutes de jeu, l’Espagne mène déjà 2-0. L’arrière latéral Pedro Vallana a ouvert le score à la 18e minute d’une frappe de trente mètres suite à un mauvais renvoi de la défense française. Puis deux minutes plus tard, l’attaquant philippin Paulino Alcántara (un des premiers naturalisés de l’histoire de la sélection espagnole) bat Emile Friess en reprenant de près un centre de Txomin Acedo.
Les Français sont complètement dépassés. Les attaquants tentent bien quelques attaques, un peu désordonnées et se terminant souvent par un tir hors du cadre. La seule réelle occasion est procurée par le capitaine Raymond Dubly, qui se retrouve seul devant Zamora. Mais son tir échoue sur le poteau.
En fin de première mi-temps, les Espagnols reprennent la maîtrise du ballon et en profitent pour creuser l’écart. L’avant-centre basque Manuel Travieso s’octroie un doublé express (40’ et 42’) qui porte la marque à 4-0. Ce sera le score à la mi-temps, mais aussi celui à la fin de la rencontre, la seconde période ayant été de part et d’autre pauvre en occasions de but.
Un préjudice à notre réputation
Le lendemain, l’envoyé spécial de L’Auto ne cache pas sa colère : « Il faut absolument que la F.F.F.A. consente à étudier sérieusement la question des matches internationaux, qu’elle donne à ses sélectionneurs des directives précises et les possibilités de réalisation qui sont nécessaires. Si le bureau et le Conseil fédéral se désintéressent de notre représentation internationale, il leur faut renoncer à ses manifestations qui portent, inutilement, un préjudice considérable à notre réputation sportive, voire même à notre réputation tout court. ».
En juillet, la Fédération enverra une équipe de France expérimentale pour une tournée en Norvège qui se soldera par deux défaites, dont une déroute (7-0) telle que la rencontre sera purement et simplement effacée de la liste des rencontres officielles de l’équipe de France. Celle-ci ne retrouvera les terrains qu’en janvier 1923 où elle affrontera... l’Espagne, pour une nouvelle défaite. Il lui faudra un an de plus pour retrouver le goût de la victoire.
Espagne bat France 4-0
Buts : Vallana (18’), Alcántara (20’), Travieso (40’ et 42’)
FRANCE : Friess - Vanco, Berg - Domergue, Hugues, Bonnardel, Devaquez, Nicolas, Ryssen, Boyer, Dubly
ESPAGNE : Zamora - Vallana, Careaga - Samitier, Meana, Peña - Echeveste, Sesumaga, Travieso, Alcántara, Acedo.
Arbitre : Raphaël van Praag (Belgique)
10.000 spectateurs
Joueur | Âge | Poste | Sél. | Club |
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Emile Friess | 20 ans | Gardien | 2/2 | AS Strasbourg |
Marcel Vanco | 27 ans | Arrière | 7/8 | CA Paris |
Grégoire Berg | 26 ans | Arrière | 1/1 | Red Star Strasbourg |
Marcel Domergue | 21 ans | Demi | 1/20 | CASG Paris |
François Hugues | 26 ans | Demi | 12/24 | Stade Rennais |
Philippe Bonnardel | 23 ans | Demi | 8/23 | Red Star Club |
Jules Devaquez | 23 ans | Attaquant | 13/41 | Olympique Paris |
Paul Nicolas | 23 ans | Attaquant | 12/35 | Red Star Club |
André Ryssen | 22 ans | Attaquant | 1/1 | Olympique Lillois |
Jean Boyer | 21 ans | Attaquant | 4/15 | VGA Médoc |
Raymond Dubly (c) | 29 ans | Attaquant | 20/31 | RC Roubaix |