Pourquoi Nantes 1995 n’est-il pas devenu France 1998 ?

Publié le 23 avril 2025 - Richard Coudrais

Le FC Nantes champion de France 1995, considéré comme l’une des plus belles formations de l’histoire du championnat de France, aurait dû alimenter l’équipe de France de 1998. Il n’en a rien été.

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Le championnat de France 1994/1995 a été dominé par une équipe du FC Nantes quasiment invincible qui a terminé la saison avec une seule défaite au compteur (sur trente-huit matchs), établissant une série d’invincibilité de trente-deux rencontres, un record toujours en vigueur.

Potion magique

En plus de voler de victoires en victoires, les hommes de Jean-Claude Suaudeau semblaient avoir trouvé la potion magique dans un football assez spectaculaire, basé sur la récupération haute du ballon et le lancement de contre-attaques vitesse grand V, le tout basé sur une combinaison de passes, d’appels et de contre-appels qui donnaient le tournis aux adversaires les plus chevronnés.

Il est important de rappeler que le championnat de France était alors loin d’être dévalué (même si l’OM était alors en seconde division). Le principal opposant du FC Nantes était le Paris Saint-Germain demi-finaliste de la Ligue des Champions. Le football français vivait sa meilleure période sur le front européen et le championnat de France, l’avant-dernier de l’avant-Bosman, comptait encore des joueurs tels Ginola, Blanc, Zidane, Djorkaeff, Thuram, Lizarazu, Petit, Dugarry et voyait percer quelques jeunes du nom de Pirès, Maurice, Vieira, Henry...

A trois ans de la Coupe du monde 1998, et alors que l’équipe de France venait de rater deux échéances consécutives, la génération nantaise donnait de véritables motifs d’espoir : les Loko, Ouédec, Pedros, Karembeu, Ferri, Makélélé et peut-être d’autres semblaient en capacité d’emmener les Bleus au firmament du football mondial. Mieux, ce succès du FC Nantes devait être la base du triomphe de 1998.

Génération perdue

Curieusement, quand le titre mondial fut acquis, la génération nantaise était déjà oubliée. Un seul de ses représentants faisait partie des finalistes, Christian Karembeu, devenu joueur du Real Madrid, alors que ses camarades de promotion ne figuraient même pas dans le groupe des vingt-deux. Ce n’est pas faute d’avoir essayé. Le sélectionneur s’est efforcé d’intégrer du Jaune dans le Bleu. Il a même bousculé ses plans pour reconstituer l’attaque canarie aux avant-postes de l’équipe de France. En vain. La greffe n’a jamais pris.

Le FC Nantes de 1995 a émergé trois ans plus tôt, au début de la saison 1992/1993, alors que le club était dans la ligne de mire de la DNCG et avait dû vendre ses meilleurs joueurs (parmi lesquels Marcel Desailly). Jean-Claude Suaudeau fit appel aux jeunes de son centre de formation, et alors qu’on envisageait une relégation en grandes pompes pour le club historique, les Canaris se mirent à occuper la tête du classement au nez et à la barbe des favoris.

La jeune équipe de Jean-Claude Suaudeau n’était pas qu’un feu de paille. Elle s’installa durablement dans le peloton de tête. Elle intrigua puis enthousiasma le pays, jusqu’au sélectionneur de l’époque, Gérard Houllier, qui se mit à suivre de très près l’évolution de cette génération spontanée.

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Karembeu le premier

Dès le 14 novembre 1992, il convoque son premier Nantais, Christian Karembeu. A vingt-et-un ans, le puissant Kanak aux dreadlocks entre à la 72e minute du match contre la Finlande au Parc (72e) à la place de Jean-Philippe Durand. Il fête sa première sélection en réalisant un petit pont dans sa propre surface… A la même époque, Nicolas Ouédec, Reynald Pedros et Stéphane Ziani sont régulièrement appelés en équipe de France Espoirs.

Au début de l’année 1993, c’est Patrice Loko qui intéresse le sélectionneur. L’attaquant nantais de vingt-trois ans (également coiffé de dreadlocks) est appelé, avec Karembeu, en équipe de France A’ pour un voyage à Dakar. Le Nantais, international espoirs entre 1990 et 1991, inscrit deux buts contre l’équipe du Sénégal (score final 3-1), ce qui lui vaut d’être rappelé une semaine plus tard dans la grande équipe de France, laquelle se rend à Lisbonne pour un match de préparation contre le Sporting. Entré dans le dernier quart d’heure en remplacement de Sauzée, Loko ouvre le score et démontre au niveau international le sens du but dont il fait preuve chaque semaine en championnat.

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Le Nantais connaît sa première vraie sélection en février à Tel Aviv, où les hommes de Gérard Houllier écrasent Israël 4-0. Il remplace Bixente Lizarazu à huit minutes de la fin alors que le score n’en est qu’à 2-0. Il entre à nouveau en jeu un mois plus tard à Vienne en remplacement de Xavier Gravelaine mais ne trouve pas le temps de marquer. Victime de blessures à répétition, et confronté à la concurrence du duo Papin-Cantona, le Nantais n’est plus rappelé par Gérard Houllier.

Un mois après Vienne, le sélectionneur organise un match d’entraînement contre l’Olympique Lyonnais auquel il convie trois Nantais. Karembeu est de retour, alors qu’il n’avait plus été rappelé depuis sa première sélection, accompagné par le milieu de terrain Jean-Michel Ferri et l’avant-centre Nicolas Ouédec. Le premier est le seul qui débute le match alors que le second, entré en cours de jeu, inscrit troisième but français (score final 4-1).

Toutefois, lors de l’ultime rencontre de la saison 1992-1993 contre la Suède au Parc, le sélectionneur ne fait appel à aucun Nantais. Karembeu ne l’a jamais vraiment convaincu, pas plus que Loko, Ferri ou Ouédec, qu’il estime encore trop tendres. Après avoir bousculé la hiérarchie, les hommes de Suaudeau ont terminé la saison à la cinquième place du championnat, un peu sur les rotules, comme l’a démontré l’horrible finale de la Coupe de France qu’ils termineront à huit (trois expulsés, dont Karembeu).

Pedros prend le relais

Au début de la saison 1993-1994, le sélectionneur s’intéresse au milieu gauche Reynald Pedros. L’international espoir connaît sa première sélection à vingt-et-un ans en entrant à six minutes de la fin du match amical à Caen contre la Russie, remporté 3-1. Parallèlement, le sélectionneur rappelle Ferri et Ouédec pour une rencontre de l’équipe de France A’ à Guingamp contre son homologue russe (5-1).

Pedros plaît à Houllier et devient titulaire en août 1993 à Solna où l’équipe de France obtient un bon match nul (1-1). Le milieu gauche nantais est régulièrement rappelé, tantôt remplaçant, tantôt titulaire, notamment lors du match du 17 novembre 1993 contre la Bulgarie au Parc. Jean-Michel Ferri est également appelé, mais en Suède comme au Parc contre Israël, il n’est pas entré en jeu.

Quand Aimé Jacquet reprend l’équipe de France, il garde un œil sur ce FC Nantes qui continue de jouer les premiers rôles en championnat. Lorsqu’il monte une équipe de France B pour une rencontre à Tunis en février 1994, il titularise Ferri et Loko. Puis, pour son premier match officiel à Naples contre l’Italie, il rappelle Karembeu, longtemps boudé par le précédent sélectionneur. Le jeune Nantais polyvalent est placé au poste d’arrière latéral.

Contre le Chili, en mars 1994, Jean-Michel Ferri connaît enfin sa première sélection à vingt-cinq ans. Il est rejoint en cours de rencontre par Christian Karembeu et après plusieurs blessures et réorganisations, les deux hommes constituent la charnière centrale du dernier quart d’heure.

C’est à l’occasion de la Kirin Cup au Japon, où l’équipe de France est invitée à clore la saison 1993-1994, que le sélectionneur fait clairement comprendre qu’il compte beaucoup sur les hommes de Suaudeau. Il embarque quatre Nantais (Pedros, Ferri, Karembeu et Ouédec), faisant du FC Nantes le club le plus représenté dans le groupe. Les trois premiers joueurs cités disputent le premier match contre l’Australie et les deux derniers celui contre le Japon, Nicolas Ouédec étrennant pour sa part sa première sélection à vingt-deux ans en entrant à vingt minutes de la fin de la rencontre.

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La marque jaune

La saison 1994/1995, la troisième de cette génération nantaise, sera celle du décollage définitif de la fusée. Les joueurs sont mûrs et maîtrisent leur art au point de survoler le championnat. Pour le premier match de cette saison 1994-1995, à Bordeaux contre la République tchèque, le sélectionneur est contraint de ménager Nantais et Parisiens qui se retrouvent deux jours plus tard en championnat (ce sera le match du fameux but inscrit par Patrice Loko). Ferri entre toutefois dès la 24e minute pour remplacer un Desailly blessé, et Loko apparaît pour le dernier quart d’heure.

En Slovaquie trois semaines plus tard, pour la première rencontre qualificative à l’Euro 1996, Aimé Jacquet fait appel à Pedros et Karembeu. Le premier est titulaire mais sort à l’heure de jeu, remplacé par Dugarry. Le second quant à lui reste sur le banc.

C’est le 8 octobre 1994 qu’Aimé Jacquet, quand la France affronte la Roumanie à Saint-Etienne, tente le pari d’aligner l’attaque nantaise au complet : Pedros, Ouédec et Loko, en ajoutant Karembeu comme milieu de terrain aux côtés de Desailly. L’équipe de France, avec Eric Cantona comme meneur de jeu, joue de manière offensive, se crée de nombreuses occasions, mais ne parvient pas à marquer face à un gardien en état de grâce. En fin de rencontre, Ouédec cède sa place à Zidane et Loko à Dugarry. On aurait dû y voir un signe.

Un mois plus tard en Pologne, Aimé Jacquet veut renouveler l’opération. Mais Loko est forfait, Pedros se blesse après 25 minutes, Karembeu est expulsé à la 51e et Ouédec est remplacé par Dugarry à un quart d’heure de la fin. Constat d’échec.

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Fin de partie à Nantes

A Trébizonde, face à l’Azerbaïdjan, Aimé Jacquet rappelle Jean-Pierre Papin qu’il entoure de Pedros et Loko. Ce dernier donne à JPP le ballon du premier but et inscrit le second, son premier but bleu en match officiel. Jean-Michel Ferri entre en cours de deuxième mi-temps alors que Ouédec reste sur le banc.

Aimé Jacquet ne désespère pas de construire une équipe de France à forte ossature jaune et verte. Au début de l’année 1995, ce sont pas moins de cinq Nantais qui jouent à Utrecht contre les Pays-Bas : Karembeu, Ferri, Pedros, Loko, tous titulaires, que rejoint Ouédec quand il remplace Papin à la 67e minute. C’est Loko qui inscrit le seul but de la rencontre.

Jacquet insiste. A Tel Aviv en mars 1995, il relance l’attaque Pedros-Ouédec-Loko qui fait tant d’étincelles en championnat. Le score reste à 0-0. C’est paradoxalement lorsque les Tricolores se rendent à Nantes, en avril 1995 pour jouer la Slovaquie, que le sélectionneur change ses plans. Il appelle quatre Nantais mais n’en fait jouer qu’un seul, Loko, laissant les autres sur le banc. L’attaque se résume à un duo Loko-Ginola, le jeu est conduit par Zidane lequel joue avec trois demi défensifs : Guérin, Deschamps et Desailly. Le score final est éloquent : 4-0.

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Karembeu, le dernier

L’OPA du FC Nantes sur l’équipe de France est définitivement rejetée. Aimé Jacquet continuera de sélectionner des Nantais, mais ne cherchera plus à intégrer leur collectif. Le sélectionneur estime que Zidane associé à Djorkaeff donnera de meilleurs résultats. De toutes manières, le collectif nantais explose au cours de l’été 1995 lorsque Loko et Karembeu décident de quitter le club à grand fracas.

Le premier nommé rejoint le PSG mais doit marquer une pause en raison de soucis d’ordre personnel. Quant à Karembeu, il rejoint le Calcio et la Sampdoria. Le 11 octobre 1995 à Bucarest, c’est lui qui marque le premier but des Français contre la Roumanie et qui lance donc son équipe vers la victoire qui qualifie les Bleus pour l’Euro 1996.

Trois joueurs du FC Nantes 1995 sont dans le groupe de l’Euro anglais. Karembeu dispute quatre matchs sur cinq, étant suspendu pour la demi-finale. Loko dispute les cinq matchs, tantôt titulaire, tantôt remplaçant, et auteur d’un but. Pedros, le seul qui est toujours Nantais, est remplaçant, n’entrant en jeu que lors des trois derniers match. Il aura le malheur de manquer le tir au but décisif en demi-finale. Par la suite, les joueurs vont peu à peu disparaître de l’équipe de France, faute de performances convaincantes et de choix de carrière pertinents. Loko, à Paris, n’est plus aussi flamboyant qu’à Nantes. Ouédec signe à l’Espanyol de Barcelone, un club de second plan où il se fera oublier. Pedros quant à lui rejoint Marseille puis erre de clubs en clubs sans obtenir de temps de jeu conséquent.

Karembeu lui-même s’est retrouvé dans un imbroglio qui aurait pu ruiner sa carrière, privé de terrain par un club qui l’avait promis au FC Barcelone alors que lui s’était engagé avec le Real. Il retrouvera du temps de jeu au début de l’année 1998, juste à temps pour être repris par Aimé Jacquet, trois mois avant la Coupe du monde. Premier Nantais de cette génération appelé chez les Tricolores, il en deviendra le seul champion du monde et sera le seul à réaliser une carrière en Bleu conséquente (53 sélections).

Claude Makélélé, le plus jeune titulaire de l’équipe de 1995, était brièvement apparu en juillet 1995 chez les Bleus et avait probablement rêvé de la Coupe du monde 1998 quand il fut appelé pour deux matchs amicaux avant le tournoi. Mais ce n’est véritablement qu’au début de la saison 2000/2001, quand il aura déjà vingt-sept ans et qu’il jouera au Real Madrid, qu’il commencera vraiment sa carrière internationale. Il réalisera un beau parcours (71 sélections) et jouera la finale de la Coupe du monde 2006.

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Le syndrôme nantais

L’échec de la “génération 1995” en Bleu relance l’idée selon laquelle le FC Nantes produit un collectif d’où les individualités peinent à sortir. Loin du cocon nantais dans lequel il s’épanouit, le joueur nantais, à quelques exceptions près, semble avoir tout à réapprendre dès lors qu’il change de contexte, que cela soit en sélection ou dans un autre club. Karembeu démontre toutefois que les joueurs plus défensifs tirent leur épingle du jeu, à l’image de Deschamps ou Desailly avant lui, ou Makélélé plus tard.

Ce manque de réussite fait écho à ceux du passé où les sélectionneurs, en 1966 et en 1977 notamment, avaient massivement appelé les joueurs nantais pour reproduire les effets du collectif au plus haut niveau. Sans résultats probants. Sans doute à cause d’un système de jeu trop spécifique, le Jeu à la Nantaise n’a jamais su s’imposer en équipe de France.

pour finir...

La rédaction de cet article a nécessité la consultation des sites selectiona.free.fr, L’Équipe, FFF, Wikipédia, Racing Stub, La Maison Jaune, la relecture d’anciens exemplaires de France-Football et L’Équipe, ainsi que des ouvrages « L’intégrale de l’équipe de France de football » de Pierre Cazal, Jean-Michel Cazal et Michel Oreggia (First édition, 1998), « Les 1000 joueurs de l’équipe de France » de Jérôme Bergot (Talent Sport, 2021), « La belle équipe » de Fabien Lévèque (Amphora, 2025),

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