5 décembre 1937 : France-Italie

Publié le 19 octobre 2020 - Bruno Colombari

Les Français en rouge affrontent les champions du monde italiens en bleu dans un Parc des Princes bondé dans le contexte du Front populaire et de la Guerre d’Espagne. C’est aussi le premier 0-0 de l’histoire des Bleus.

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Il a donc fallu 144 matchs de l’équipe de France, entre mai 1904 et décembre 1937, pour voir une partie se terminer sans but. L’affiche est amicale mais prestigieuse : dans un Parc des Princes contenant 39046 spectateurs, sous les yeux de Jules Rimet et du secrétaire d’Etat aux sports Léo-Lagrange, et face aux champions du monde 1934, l’équipe de France évolue en rouge et tient le choc comme elle peut. Le gardien sochalien Laurent Di Lorto sort une partie exceptionnelle (18 arrêts sur 26 tirs italiens, selon l’infographie faite à la main dans L’Auto), alors qu’Etienne Mattler, touché d’entrée par Silvio Piola, finit le match avec le pied violacé (il faudra découper sa chaussure) et avec huit ligaments arrachés. Après une première mi-temps correcte, les Français ne font plus que subir et tiennent le score à défaut du ballon. A la 83e, les Italiens pensent avoir le match gagné quand Giovanni Ferrari marque enfin, mais l’arbitre suisse (donc neutre) Hans Wüthrich l’annule pour un hors-jeu. 0-0 donc.

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Jacques Goddet fait dans le lyrique

Dans L’Auto du lendemain, Jacques Goddet n’est pas tendre dans son article de Une : « Hier, dans une Parc des Princes surpeuplé, la foule, coude à coude, coeur à coeur, s’évertuait à comprendre le sens de ce spectacle débridé, auquel l’action incohérente de l’équipe de France donnait tantôt l’allure d’une pièce classique, tantôt l’aspect désordonné d’un spectacle burlesque. »

Pourtant, les Italiens n’ont pas vraiment forcé : « Le jeu latin ? Pas même en dominant, les azzuri ne rappelaient sa fougue, son audace. Et la technique, qui vient d’Angleterre, n’a pas tort lorsqu’elle établit, article premier, qu’un ballon roule plus vite qu’un joueur ne court. » On dirait du Platini ou du Hidalgo, quarante ans plus tard !

Pour conclure, après avoir salué l’élégance et la dignité du public parisien, Goddet fait dans le lyrique : « Le ciel charriait des nuées tragiques. Mais le soleil, au prix de prodigieux éclairages, parvenait jusqu’au terrain et ne se laissait pas chasser par l’ouragan. Di Lorto paraît, paraît, soutenant un siège émouvant. Notre peuple, secoué par ses sentiments, notre soleil, lynché par les éléments, notre gardien assailli, tous tenaient, et tous nous prouvaient qu’on sait, chez nous, traverser la tempête. »


Maurice Pefferkorn constate pour sa part : « L’héroïsme est une vertu devant laquelle tout le monde s’incline avec respect ; mais ce n’est pas une vertu à répétition. On ne peut pas être héroïque tous les jours que Dieu fait… […] Aussi, je crois que pour disputer une épreuve comme la Coupe du monde, il faut posséder un trésor de science plus riche que celui de notre actuelle formation nationale. » Pu loin, il rappelle « le match nul que l’équipe de France joua en 1925 à Buffalo, contre l’Uruguay […] Ce jour là aussi l’équipe de France mit toute son âme, en face d’un adversaire qui lui était supérieur, à obtenir le match nul. Et elle l’obtint, par 0 à 0 aussi, terminant exténuée, ravie et pleine d’orgueil. » Pour la petite histoire, il s’agit d’un match non officiel contre le Penarol de Montevideo, dont on reparlera par ailleurs.

Le Miroir des Sports consacre la Une de son édition du mardi 7 décembre à une photo de Laurent Di Lorto porté en triomphe sur les épaules de son remplaçant Martin Gonzales (en gabardine) et du milieu de terrain François Bourbotte.

Gabriel Hanot salue le courage de Mattler

Dans un long article sur une double page intérieure, Gabriel Hanot souligne que l’équipe de France avait bien joué à Stuttgart contre l’Allemagne, mais avait été corrigée (4-0). Face à l’Italie, « terriblement dominée et même complètement surclassée par moments, elle a fait match nul. »


En passant en revue les onze protagonistes français, seuls trois trouvent grâce aux yeux de Hanot : « Courtois, à l’aile droite, était en appétit de jeu. Il sut en plusieurs occasions se libérer de la surveillance du demi-adverse Locatelli. Mattler fut touché dès la deuxième minute d’un coup de pied juste au-dessous de la cheville, ce qui provoqua un large hématome. Mais on sait que Mattler est l’énergie même. Di Lorto était là, et il prouva une fois de plus qu’il n’a jamais été en meilleure forme. Sur lui vinrent échouer tous les assauts des avants italiens. Les coups et les chocs même, il les encaissa sans les accuser, lui qui passe pour fragile. Mattler parle de l’attacher aux poteaux, pour éviter qu’il soit emporté ! »

Le sélectionneur italien Vittorio Pozzo, champion du monde avec l’Italie en 1934, et qui le sera à nouveau six mois plus tard [1] enfonce le clou après le match : « Voulez-vous mon opinion ? L’équipe d’Italie a joué cet après-midi son match le plus facile depuis cinq ans. Avec la fortune pour nous, nous aurions pu triompher par 6 buts à 0, trois par mi-temps. »

Gabriel Hanot raconte enfin que les Italiens avaient demandé à ce que les Français entrent sur le terrain en même temps qu’eux, et aillent s’aligner au milieu de la pelouse, pour éviter tout incident pour la présentation officielle et l’exécution des hymnes.

Fin du Front populaire, intensification de la Guerre d’Espagne

En décembre 1937, le contexte international est explosif. Hitler est au pouvoir en Allemagne depuis mars 1933 et en Espagne, la guerre civile qui a éclaté en juillet 1936 implique l’Italie, qui envoie le Corps des Troupes Volontaires qui compteront 50 000 hommes ainsi que des chars, des bombardiers et des batteries anti-aériennes. De son côté, la France du Front Populaire soutient les Républicains au tout début du conflit mais, devant l’opposition du Royaume Uni et d’une partie de classe politique française (droite et radicaux notamment), fait marche arrière et choisit la non-intervention. L’Allemagne quant à elle envoie en Espagne les avions de la Légion Condor qui provoquent un massacre de civils à Guernica en avril 1937.

En juin 1937, le premier gouvernement Blum démissionne après avoir décrété une « pause dans les réformes » en février. C’est le radical Camille Chautemps qui s’installe à Matignon, et le Front populaire s’éteint à petit feu. Après un retour éphémère de Blum en mars-avril 1938, le grand mouvement de gauche s’éteint avec l’arrivée d’Edouard Daladier.

Sept mois après ce 0-0, Français et Italiens se retrouvent à Colombes en quart de finale de la Coupe du monde. Les Bleus encaissent d’entrée un but par Gino Colaussi (7e) mais répliquent immédiatement par Oscar Heisserer (8e). Mais, portés par un Silvio Piola étincelant et auteur d’un doublé (52e et 72e), les Italiens concrétisent cette fois leur domination. Ils gagneront une deuxième Coupe du monde consécutive. Les Français devront patienter soixante ans de plus.

[1Il est le seul sélectionneur à avoir remporté deux titres mondiaux avec cette fonction.

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