Albert Polge est né le 29 novembre 1909 à Hongay au Tonkin, l’un des six territoires de l’Indochine française [1]. Son père, prénommé Urbain, employé à la Société Française des Charbonnages, ne reconnait son fils qu’en déposant une requête en 1915. « Il n’a pu lors de sa naissance lui faire dresser d’acte de naissance, l’état-civil n’existant pas au Tonkin pour les indigènes ». Sa mère est une annamite qui est « non dénommée » dans les registres d’état civil. Il a deux frères nés au Tonkin : Louis né 1915 et Jean né en 1918 [2].
En 1920, déraciné de son pays natal, Albert arrive en France. Il rejoint la ville de Gagnières dans le Gard, là où vivent ses grands-parents. Il va à l’École Saint-Eloi à Aix-en-Provence. Il commence le football à l’âge de 12 ans comme inter gauche ou arrière (journal Le Sud du 5 décembre 1930). En 1928, il intègre l’École des Arts et Métiers d’Aix. Il obtient en 1931 le diplôme d’ancien élève des écoles nationales d’arts et métiers (Journal officiel de la République Française N°204). Pendant ses études, il joue le championnat de France universitaire et avec l’UAI (Union athlétique inter-Gadz’Arique).
Petite taille, grand joueur
Il signe son premier contrat en avril 1930 avec le SC Nîmes qui l’avait repéré lors d’un match universitaire à Nîmes opposant les universités de Montpellier et d’Aix. Le journal Le Sud ci-avant cité indique que « malgré sa petit taille, Polge, qui est un grand joueur, forçant l’admiration des sportifs, sera prochainement chevronné d’un titre mérité. » Effectivement ce petit gabarit de 1,62 mètre joue et fait le bonheur de ce club jusqu’en 1934. En juin 1932, le journal Le Sud mentionne que sur la saison écoulée Albert est le meilleur buteur du SCN avec un total de 21 buts sur 17 matchs joués.
Son père, rentré d’Indochine en mai 1931 après six ans d’absence, meurt en septembre 1931 à Lyon, alors que Polge était à Nîmes. Je n’ai trouvé aucune information sur sa mère. Est-elle au moins venue en France en 1920 ? Fin octobre 1931, il entre au 19e régiment d’artillerie divisionnaire (19e RAD) à Nîmes pour son service militaire.
Cela doit être à cette période qu’Albert rencontre sa future femme Marcelle Battut. Née à Lyon, elle a dû rejoindre rapidement la ville de Nîmes car elle fut avant sa majorité le modèle de Marcel Courbier, artiste Nîmois, pour sa sculpture « La Jeune Fille au Chevreau ». En 1926, Marcel Courbier obtient pour ce groupe en pierre le Prix National du Conseil supérieur des Beaux-Arts. Cette œuvre été acquise par la ville de Nîmes et installée au Jardin de la Fontaine.
L’équipe de France contre le pays de Galles le 25 mai 1933 à Colombes. Albert Polge est accroupi, le premier en partant de la gauche.
Première sélection contre le pays de Galles
En mars 1933, il intègre l’équipe de France B pour un déplacement en Afrique du Nord avec 2 matchs à la clé : contre l’équipe de Constantine et contre l’équipe de Tunisie. En avril 1933, il est sur le banc du Parc des Princes pour le match contre l’Espagne. Le 25 mai 1933, il obtient sa première sélection A contre le pays de Galles, match disputé à Colombes. « Le petit ailier Nîmois Polge fit de très bons débuts dans l’équipe de France. Adroit, fin et habile, il sait à merveille éviter la charge et ses centres ont une bonne précision. Malheureusement, il ne fut pas assez servi. » (Journal L’Auto le lendemain du match.)
Début juin 1933, il retourne en équipe de France B avec un déplacement au Luxembourg. Quelques jours après, il intègre les A pour un match en Tchécoslovaquie. Fin novembre 1933, il joue le match contre une sélection des Etrangers de France. Sa prestation ne convainc pas le sélectionneur. Ce dernier ne le retient pas pour le dernier match des Bleus de l’année en Angleterre.
Une dernière prestation décevante en Belgique
En janvier 1934, il a de nouveau sa chance lors d’un match d’entraînement contre une sélection de Paris. Cette fois conservé par le sélectionneur, il fit sa troisième et dernière apparition chez les A avec un match en Belgique le 21 janvier. « En avant, un homme fut d’une faiblesse incompréhensible : c’est Polge ; il fut à ce point déconcertant qu’on ne put mettre à son actif un seul fait méritant la mention « assez bien ». Le petit Nîmois a certainement joué au-dessous de sa valeur, sinon on se demanderait ce qu’il venait faire en cette galère » (journal L’Auto le lendemain du match). Clap de fin pour Polge avec les A. Il avait réussi à trouver les filets avec les B mais resta muet pour toujours avec les A. Il restera dans l’Histoire de l’équipe de France, le seul joueur né en Indochine [3].
A l’été 1934, il rejoint le club de Saint-Etienne alors en deuxième division. Il joue deux saisons pour les verts. C’est à Saint-Etienne en 1935 qu’il se marie avec Marcelle Battut, « une jeune femme blonde fort belle et charmante » (Football du 27 mai 1936). Désireux de retrouver sa qualité d’amateur, Albert demande la résiliation de son contrat. Après de multiples aller/retour en commission du statut professionnel de la Fédération, le joueur est « libéré » de son contrat.
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Paris-Midi, le 15 août 1939 (BNF Gallica)
Ingénieur, il quitte le statut professionnel et intègre l’équipe de France amateur
Albert rejoint la capitale début 1937 pour travailler comme ingénieur au sein de la compagnie du Métro. Il joue deux saisons pour l’équipe de football affiliée à l’entreprise, l’US Métro. A cette époque, en avril 1938, il joue aussi pour l’équipe de France amateur, avec notamment l’international et futur sélectionneur Georges Verriest, un match contre une équipe représentant un championnat amateur de l’Angleterre : Isthmian League (la France gagna ce match 2-1 avec un doublé de Maurice Dudouit. Il me semble que le joueur du SC Rémois a été emporté par la guerre comme le laisse supposé la fiche du même nom présent sur le site Mémoires des Hommes). Après une saison dans l’équipe amateur du Racing, il redescend dans le midi et joue avec le SC Nîmes les championnats dit « de guerre ».
Lors de mon premier article pour Chroniques Bleues, j’ai relaté la joie de la libération avec un match France Libérée contre une équipe de Grande Bretagne disputé le 30 septembre 1944 dans la capitale. Le samedi qui précède, c’est le côté sombre de la libération qui s’affiche dans la ville aux Sept Collines : l’audience du couple Polge débute. Sa femme Marcelle est accusée d’intelligence avec l’ennemi et Albert est accusé de complicité.
Sa femme est condamnée à mort en octobre 1944
L’accusation porte sur le train de vie somptueux de Marcelle et ses relations plus qu’amicales avec le commandant allemand Saint Paul. On reproche à Albert ses complaisances et même une éventuelle participation à la Milice, qui pratiquait la torture pour débusquer les Résistants.
La presse indique une pression populaire et une charge rapide à la Cour Martiale de Nîmes. Marcelle, déjà tondue de force avant son procès, sera condamnée à la peine capitale le 2 octobre 1944.
Le site Nemausis.com détaille cette période. Morceaux choisis issus de la presse : « Même dépouillée de sa longue chevelure platinée, elle en impose encore par sa prestance. Derrière, son petit mari, effacé, timide, paraissant jouer le rôle d’utilité dans l’étrange ménage. ». « Après délibération la Cour condamne la femme Polge, coupable du crime d’intelligence avec l’ennemi à la peine de mort, à l’unanimité, avec saisie de tous ses biens. Pour son mari, Polge Albert, coupable également de crime d’intelligence avec l’ennemi, il ordonne un supplément d’enquête à la majorité. »
Albert ne subira pas le même sort que sa femme. Il semble bénéficier du doute et échappe de peu au poteau. Sa femme exécutée, sa réputation gravement salie, Albert, qui a 34 ans, va devoir vivre avec et ce n’est pas l’amnistie générale de 1951 qui affaiblira ses peines.
En vétéran à Avignon en 1951
On retrouve sa trace sept ans plus tard dans un article de La Gazette provençale du 8 mai 1951 qui mentionne les fêtes de Pentecôte à Avignon au cours desquelles il dispute un match vétéran avec l’équipe de L’Olympique Avignonnais. Dans cette équipe figure aussi Roger Sartorius, international amateur. Roger est le fils de Emile Sartorius, international français notamment connu pour être l’unique buteur de la plus large défaite de l’Histoire de l’équipe de France : 17-1 contre le Danemark aux Jeux olympiques de 1908.
Albert s’est de nouveau marié en 1950 à Avignon. Il divorce en 1963 et décède à Avignon le 22 avril 1982 à Avignon.
Vos commentaires
# Le 23 mai 2023 à 12:20, par Frederic Humbert En réponse à : Les mystères d’Albert Polge
Très intéressante lecture, j’adore ces bios d’anciens aux parcours étonnants !
J’ai transmis à un ami Gadz’Arts, historien du rugby et de l’UAI, en espérant vous aider à trouver quelques infos complémentaires dans ses annuaires et ses sources... sans succès malheuresement, sauf bien sur à confirmer qu’Albert Polge était bien à Aix de 1928 à 1931.
En passant, mon ami Denis précise que l’intitulé exact de l’UAI est Union Athlétique Intergadz’Arts :)
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# Le 25 mai 2023 à 06:35, par Nhi Tran Quang En réponse à : Les mystères d’Albert Polge
Si je ne me trompe pas, Albert Polge est le premier international français né en Asie, il est aussi avec Guy Van Sam les seuls internationaux français d’origine vietnamienne, quoi que Yohan Cabaye a aussi des origines vietnamiennes du fait que sa grand-mère maternelle est vietnamienne