Depuis que le football est devenu un spectacle de divertissement autant qu’une affaire d’argent, le franc parler a cédé la place aux éléments de langage et à la langue de bois où toujours « le groupe vit bien » et où « l’essentiel, c’est les trois points ». Pourtant, il arrive que dans le chêne massif s’ouvrent des failles par lesquelles s’échappent des phrases brutes qui en disent plus que ne le voudrait leur auteur. Un exemple ? Jean-Michel Aulas : « l’élitisme profite à tout le monde ».
L’amour du jeu n’empêche pas la lucidité
Ce sont donc à 35 exercices d’autoportraits imaginaires mais basés sur des faits réels (et agrémentés de citations sourcées), illustrés par le talentueux nantais Christophe Poissenot Guerreiro, que se sont amusés Rémi Belot, Jérôme Latta et Antoine Zéo, trois plumes des Cahiers du football dont l’amour du jeu a toujours cohabité avec une lucidité certaine sur les vicissitudes du milieu, autant côté sportif que côté médiatique, on y reviendra.
L’équipe de France occupant une place particulière dans le supportérisme éclairé (et finalement plus mesuré qu’on ne le pense) des Cahiers, il est logique d’y retrouver quelques-unes de ses figures principales. Côté joueurs, sont ainsi autoportraiturés [1] Kylian Mbappé (« Oui, j’ai des compteurs qui tournent dans ma tête, je suis un footballeur de mon époque. Je suis presque allé trop vite, j’ai du mal à me suivre »), Zinédine Zidane (« Attention, je ne me prends pas pour une autre. Etre moi-même, c’est déjà du boulot »), Thierry Henry (« ne laissez jamais personne écrire votre propre légende, ou alors tenez-lui la main ») ou Karim Benzema (« J’aurais mérité un meilleur porte-parole que moi-même. J’avoue que parfois, je ne me comprends pas »). On vous laisse découvrir celles consacrées à Nicolas Anelka ou à Michel Platini, elles valent le déplacement.
Indulgence pour les joueurs
Mais les joueurs, parce que ce sont eux qui sont l’essence même du football et du plaisir qu’il nous procure, ont droit à bien plus d’indulgence que ceux qui gravitent autour. Que ce soient les dirigeants (Waldemar Kita, Jean-Michel Aulas, Robert Louis-Dreyfus, Bernard Tapie, Noël Le Graët, Sepp Blatter ou Gianni Infantino, qui a réussi l’exploit de le surpasser) ou les consultants.
On notera au passage que ces catégories ne sont pas strictement étanches, certains ayant trouvé à se reconvertir derrière un micro où ils ne se privent pas d’allumer bien confraternellement les générations suivantes. Comme Christophe Dugarry (« Je suis devenu ceux que je détestais ») ou Jean-Michel Larqué (« Quand je commentais à la télé, j’avais une tête de Turc par match. Maintenant, c’est une par chronique »).
Mais ceux qui prennent le plus cher finalement, ce sont les bateleurs de plateaux télé ou d’émissions radio, comme Daniel Riolo, Pierre Ménès (« Les gens disaient : Ménès, il ne dit pas que des conneries, parce que je disais souvent les mêmes conneries qu’eux »), Jacques Vendroux, Hervé Mathoux (« dans le journalisme sportif, la barre n’est pas très haute, et il vaut mieux passer dessous »), Estelle Denis ou Pascal Praud (« je suis au centre du débat, la société française s’est alignée sur moi »). En football comme dans d’autres domaines, le système médiatique ne mérite, lui, aucune indulgence.