L’histoire et la géographie tout d’abord : dans Bleu ciel, la bio coécrite avec le journaliste Florent Torchut (éditions Hugo Sport, 253 pages, 17 euros), on découvre que la famille Trezeguet a des origines françaises datant du 19e siècle (1888), l’arrière grand-père de David étant né à Mézin, dans le Lot et Garonne, en 1877, soit un siècle tout juste avant le futur champion du monde. Ses descendants se sont installés à quatre cents kilomètres à l’ouest de Buenos-Aires, dans la pampa après cinq heures de route en Ford Taunus. Le père, Jorge Ernesto, a joué trois saisons au FC Rouen entre 1976 et 1979, faisant l’ascenseur entre D2 et D1 avant de rentrer au pays. Entre temps, il se sera marié (avec une Argentine) et aura vu naître David en octobre 1977.
Le meilleur au baby futbol
Les souvenirs d’enfance de Trezegol sont touchants, dans un milieu modeste où une paire de crampons était un investissement et où les enfants jouaient encore sur un bout de terrain avec des briques en guise de cage. Ses premiers pas en club, David les fait dans des clubs de baby futbol. Rien à voir avec le baby-foot, il s’agit plutôt d’une forme de futsal se pratiquant sur des petits terrains de hand dans un gymnase. Très bon apprentissage pour le placement et le jeu à une touche de balle. La légende (alimentée par son père) veut que le petit David, à huit ans, ait affirmé qu’il jouerait pour la France et qu’il gagnerait la coupe du monde. Un peu trop beau pour être vrai, mais ce rêve-là, quel gamin ne l’a pas fait ? L’anecdote est en tout cas révélatrice de la tension (positive) de David entre l’Argentine, où il a presque toujours vécu et dont il est imprégné, et la France à laquelle le rattache sa naissance et ses papiers. En club, tout le monde l’appelle el Francés, d’ailleurs, et il admire Alain Prost, le XV de France et Platini. Comme quoi la binationalité n’est pas une tare, pas vrai Manuel ?
Gili, Passarella, Buffon et Zidane
Bleu ciel est plus un livre sur Trezeguet qu’un récit autobiographique : il est régulièrement entrecoupé de témoignages, comme celui de Thierry Henry qui signe aussi la préface, dans laquelle il raconte la stupéfaction du staff monégasque lors de l’essai de Trezeguet à l’été 1995 : le gringalet cadre toutes ses frappes, et les convertit toutes en but. [1] On y croise aussi des entraîneurs comme Gérard Gili, Gérard Houllier, Jean Tigana, Luis Fernandez (le PSG ne l’a pas retenu lors d’un essai en juillet 1995 pour de ridicules clauses financières) et des partenaires comme Gianluigi Buffon, Zinedine Zidane, Fabien Barthez, Robert Pires, Didier Deschamps ou Daniel Passarella, sacré casting tout de même.
La mission que Jacquet avait confié à Tigana
Ces témoignages, au demeurant très instructifs pour cerner le personnage, permettent de décortiquer le but qui a propulsé Trezeguet dans l’Histoire, celui contre l’Italie à Rotterdam en finale de l’Euro 2000. Barthez, Pires, Henry et Zidane le racontent en démultipliant les points de vue, s’accordant sur le fait que cette volée du gauche était tout sauf facile. On découvre aussi qu’Aimé Jacquet avait demandé à Jean Tigana, alors entraîneur de Monaco, de préparer Thierry Henry et David Trezeguet en vue de la coupe du monde, et ce dès la fin de l’année 1996. Il manque toutefois le regard de ses quatre sélectionneurs : Aimé Jacquet donc, qui a pris le risque de retenir deux gamins de vingt ans, Roger Lemerre qui lui a moyennement fait confiance, Jacques Santini qui en a fait un titulaire indiscutable et Raymond Domenech qui ne l’a jamais compris (leur inimitié remonterait à fin 1999, quand l’attaquant de Monaco est rappelé en Espoirs alors qu’il est blessé au genou).
Trezeguet ne semble pourtant pas lui en vouloir, il préfère se souvenir des grands entraîneurs qui l’ont dirigé comme Carlo Ancelotti, Marcello Lippi, Didier Deschamps, Fabio Capello ou Matias Almeyda. Le témoignage des gardiens qui ont joué avec lui est aussi précieux. Gianluigi Buffon raconte : « David avait une façon très particulière de frapper, il maniait une sorte de contretemps qui mettait toujours le gardien en difficulté et qui le rendait indéchiffrable ». Et Barthez reconnaît que « sur dix centres à l’entraînement, il m’en collait toujours sept ou huit. De la tête ou des pieds, il cadrait constamment. Sa nonchalance, ses longues jambes fines et sa dégaine étaient trompeuses. C’était un faux lent, avec une vitesse d’exécution impressionnante. »
Un parcours à l’envers
La particularité de la carrière de David Trezeguet, c’est de s’être déroulée à l’envers : très tôt l’apothéose avec un titre de champion du monde à 20 ans, de champion d’Europe à 22 ans, une finale de Ligue des Champions à 25 ans, une place de titulaire dans la grande équipe de France entre 2002 et 2004 et dans l’impressionnante Juventus de la même époque, celle qui réunissait Del Piero, Ibrahimovic, Cannavaro, Vieira, Thuram, Buffon, Nedved, Zambrotta, Camoranesi... Et puis, alors que la plupart des grands atteignent leur apogée autour de 28 ans, pour lui tout s’effondre en 2006 : il rejoint le banc chez les Bleus et manque un tir au but à Berlin (avant d’être appelé en équipe de France A’ à l’été 2007 au fin fond de la Slovaquie, une humiliation qu’il n’a jamais digérée), la Juve est reléguée en Série B et il fait des choix de carrière étranges à partir de 2010, qui l’amènent à Hercules Alicante, à Abu Dhabi et en Inde, avec tout de même un retour au pays en 2012 où il joue enfin avec le club de ses rêves, River Plate. C’est grâce à lui que le club des Millionaros remonte en première division dans une ambiance de folie furieuse. Et c’est avec le maillot à la bande rouge qu’il marque peut-être le plus beau des 307 buts de sa carrière, le 31 mars 2012 contre Ferrocarril Oeste. Il a alors 34 ans et six mois. David Trezeguet est éternel.