Il fut un temps que les moins de vingt ans ont du mal à imaginer : celui où tout n’était pas à portée de clic.
Quelques années après mon premier abonnement Internet chez Wanadoo, en 1999, l’INA ne proposait que quelques vieilles retransmissions, souvent des matchs amicaux en noir et blanc sans aucun intérêt historique ni aucune contextualisation, et il fallait payer quelques euros pour les voir. La plupart étaient des matchs à domicile, jamais en phase finale de tournoi.
Je me disais alors que l’idéal serait de pouvoir accéder à n’importe quel match de l’équipe de France, en intégralité. Quelques-uns l’étaient sur YouTube, découpés en sept ou huit parties. Très compliqué à regarder, et souvent de très mauvaise qualité.
Mettre en ligne des matchs disponibles nulle part
Et Footballia est arrivé à l’été 2015 avec un concept très simple mais efficace : mettez en ligne les matchs de votre vidéothèque. Il n’y a pas de téléchargement possible, ce n’est que du streaming, et de toute façon la quasi-totalité des rencontres proposées ne sont disponibles nulle part. Alors certes, se pose la question de la légalité de la démarche (les contenus ne sont pas libres de droit), mais le principe de Footballia se rapproche de celui des bibliothèques publiques, où l’on peut lire des livres gratuitement dans le cadre d’un emprunt temporaire. Pour l’instant en tout cas, les responsables du site (qui sont basés à Barcelone) n’ont pas été inquiétés. Pourvu que ça dure.
Actuellement, il y a 265 matchs de l’équipe de France sur Footballia sur les 600 joués depuis 1958, sachant que très peu ont été filmés avant cette date. 265 sur 600, on est presque à la moitié ! Et dans le lot, il y a tous les matches de Coupe du monde joués par la France depuis 1966, jusqu’en 2018. Pareil pour les Euros depuis 1984. Et bien sûr, il y a beaucoup d’autres choses : plus de 12 000 matchs disponibles, certains classés par thématique : les matchs de Pelé, Di Stéfano, Cruyff, Maradona ou Messi, les Pays-Bas des années 70, la Dream Team barcelonaise des années 90... Souvent, sur Footballia, les commentaires ne sont pas en français [1] mais ça n’a pas d’importance. Au contraire même parfois c’est préférable, ça permet d’être plus concentré sur le jeu. Le site contextualise chaque rencontre avec la feuille de match complète, où l’on peut choisir de voir ou pas le résultat.
Raconter un match comme s’il avait eu lieu la veille
Quand j’ai lancé Chroniques bleues en août 2010, j’ai eu envie de raconter dans le détail, comme s’ils avaient eu lieu la veille, des grands matchs des Bleus [2]. Voir un match en entier, dans les conditions du direct, c’est une expérience très intéressante, la chaîne ESPN l’a d’ailleurs bien compris. La différence avec un résumé des buts d’une minute trente, c’est la même que celle entre un film entier et sa bande-annonce.
Quelque part, il y manque l’essentiel, c’est à dire le contexte, le temps long, l’absence de pubs en bord de touche, les photographes qui entrent sur le terrain après un but, les bancs de touche qui étaient vraiment des bancs et rien de plus, la rareté des gros plans, les ralentis qui ressemblent plutôt à une succession d’images arrêtées, l’absence de noms sur les maillots…
Pourquoi revoir un match ? Parce qu’on relit des livres, et qu’on revoit des films
C’est un peu la même expérience que de relire un roman ou de revoir un film de fiction : bien sûr, on connaît déjà la fin, mais le suspense n’est qu’une des multiples dimensions de la narration : il y a aussi le style (l’écriture, la mise en scène), les personnages, le contexte historique, les décors, les dialogues… Autant de choses qui peuvent être relativement escamotées lors d’une première lecture ou d’un premier visionnage.
Revoir un match dix, vingt ou trente ans après, c’est s’attacher à la tactique de chaque équipe, se focaliser sur ou deux joueurs, être attentif aux cadrages, au public, à ce qui se passe aux abords du terrain… Hors de la tension générée par l’attente du résultat, on s’aperçoit que tel attaquant a été bien meilleur que dans notre souvenir, ou que l’arbitre était toujours loin de l’action, ou enfin que le pressing haut était inexistant alors que les passes longues étaient bien plus précises qu’aujourd’hui.
Qui a pris le brassard quand le capitaine est sorti ? Qui a manqué un pénalty ?
Avoir des vidéos de matchs entiers est aussi très utile pour la recherche documentaire. Je donne trois exemples : les feuilles de match oublient très souvent de mentionner qui récupère le brassard quand le capitaine sort du terrain. Là, il suffit de connaître la minute de sortie de ce dernier et d’observer qui le porte ensuite. On peut aussi avoir envie de savoir si les Bleus ont manqué un pénalty en cours de rencontre, ou si leur adversaire en a manqué un. Ça non plus ne figure pas sur la feuille de match. Ou bien de découvrir quel joueur a fait une passe décisive. Autant de petites choses qui ont leur importance mais qu’un résumé d’une minute trente, pressé d’aller à l’essentiel — quitte à montrer cinq fois le même but pris sous tous les angles — ne révèle jamais.