Ses 13 buts de 1958 en Suède l’ont rendu immortel, même s’il vient de nous quitter ce 1er mars : mais sa légende lui survivra pour toujours. Vingt et un jours (du 8 au 28 juin) ont suffi à la bâtir, et la terrible fracture de la jambe qui a mis fin à sa carrière, en deux temps, en 1960 et 1961, y ont ajouté une touche dramatique : jusqu’où ne serait-il pas monté, sans elle, jusqu’où l’équipe de France, auréolée de sa 3ème place à la Coupe du Monde ne serait-elle pas montée elle aussi , si le tandem Kopa-Fontaine avait pu continuer à fonctionner à plein ? On peut rêver qu’elle n’aurait pas été éliminée par la Bulgarie, et qu’au Chili, lors de la Coupe du Monde 1962…
Mais cela ne s’est pas passé ainsi : l’équipe de France a été cassée avec la jambe de Just Fontaine, en 1961.
Pas titulaire un mois avant la Suède
Revenons en arrière : en mai 1958, lorsque les 22 Bleus partent prendre leurs quartiers en Suède, à Kopparberg, Fontaine est du lot, il a joué les deux derniers matchs officiels (Espagne 2-2, marquant un but, et Suisse 0-0), deux parties pas vraiment convaincantes, disputées sans Raymond Kopa, que son club, le Real Madrid, n’a pas encore mis à disposition de l’équipe de France : ce n’était pas obligatoire à l’époque, quand un joueur évoluait à l’étranger. Pire, pour le match du retour de Kopa, officieux, joué contre une sélection de Paris le 13 mai (2-1), la ligne d’attaque est : Wisniewski, Douis, Kopa, Piantoni, Vincent.
Bref, Fontaine n’est pas titulaire. On sait qu’il a toujours affirmé que Paul Nicolas, le sélectionneur, lui avait dit qu’il le serait en Suède, dans ces termes, qu’il rapporte dans son autobiographie, Reprise de Volée : « A l’aéroport d’Orly même, à l’instant du départ, Paul Nicolas m’avait attiré à part : Justo, c’est à toi de jouer, désormais. Car c’est toi qui joueras. Avant centre. Je te le promets formellement » Mais il ajoute : « Qu’il eût également inscrit dans ses projets d’utiliser Bliard, c’est possible, sinon probable. mais pas à mon détriment. » René Bliard, coéquipier à Reims, 7 sélections (mais zéro but !) passait pour favori, aux yeux de la presse, et Fontaine s’est toujours senti obligé de se justifier par rapport à lui, car Bliard se blessa à l’entraînement en Suède, et dut repartir en France, libérant en quelque sorte la place.
« Ciso, quel coup de fusil, celui-là ! »
Il la libéra d’autant plus que Thadée Cisowski, jambe cassée, n’était pas non plus disponible. Or, Cisowski avait été l’artisan de la qualification de l’équipe de France pour la Coupe du monde, en inscrivant la bagatelle de cinq buts contre la Belgique en novembre 1956, et Fontaine était ce jour-là… sur le banc des remplaçants ! Voici ce qu’en dit Fontaine dans son second livre, Mes 13 vérités sur le foot : « Au soir du 11 novembre, moi sur le banc et lui le héros du premier match de qualification, je me fis une réflexion au sujet de mon ami Ciso : oh là là… quel coup de fusil, celui-là ! Faudrait un miracle pour que je joue la Coupe du monde ». Autant dire que Fontaine était une solution de rechange.
Car jusque-là, Fontaine ne s’était pas imposé. Il avait certes cartonné avec les Espoirs en 1953 (8-0, 3 buts), mais ce match ne comptait pas alors pour une sélection A, de même que le suivant, joué en 1954 contre les espoirs italiens, au cours duquel Fontaine marqua deux fois. Il n’avait pas encore fait ses preuves, et ne comptait donc, pour la FFF, que 3 sélections, et un seul but, au moment de partir pour la Suède.
Le jour où il courut après Bozsik
Les deux premières, contre les prestigieux Hongrois, en 1956 et 1957, n’avaient pas permis à Fontaine de démontrer ses qualités de buteur à l’échelon international. Il en dit ceci : « ce jour-là, Bozsik était censé me marquer. J’eus le trac. Au bout du compte, ce fut moi qui consacrai mon après-midi à courir après le Hongrois. » Et pour le second match : « Là encore, je devais jouer de malchance. Un coup de pied à la poitrine m’étendit pendant 6 minutes. ensuite, je voguai comme une âme en peine… En championnat, les buts s’additionnaient aux buts ; en match international, j’étais frappé d’impuissance ! » Car l’un n’entraîne pas forcément l’autre, le niveau n’est pas le même, et Fontaine paraissait n’avoir pas le niveau international, et le savoir.
Précisons, au sujet du match de 1953, qu’il fut tardivement estampillé A (pendant l’Euro 1984), et que les joueurs se virent crédités alors d’une « cape », à la demande de la FIFA : car tous les matchs de Coupe du monde, qualification comprise, sont des matchs dits « représentatifs », donc catégorie A, quels que soient les joueurs choisis, même si ce ne sont pas les meilleurs, chaque fédération étant libre de se faire représenter par les joueurs qu’elle veut, à l’unique condition qu’ils aient la nationalité du pays. Ce match fut donc requalifié A, et Fontaine y gagna, pour ses statistiques : au lieu de 27 buts en 20 sélections, il est désormais crédité de 30 buts en 21 sélections, une moyenne de but ahurissante, 1,43 but par match (aujourd’hui, avec 0,50, on passe pour un super-buteur en sélection, ni Giroud, ni Henry, et encore moins Benzema n’atteignent ce chiffre !).
La métamorphose de Kopparberg
Frappé d’impuissance avant juin 1958, Fontaine subit une métamorphose aussi soudaine, inattendue que spectaculaire, qu’il explique par l’entraînement et par l’ambiance régnant à Kopparberg : « Albert Batteux, qu’assistait Jean Snella, ne nous imposait rien d’ennuyeux. On galopait. Beaucoup. On transpirait. Enormément. Le jeu ne cessait pas. Toujours cette impression de vacances ! » Des matchs préparatoires furent conclus avec des équipes des environs : « Elles n’étaient pas, loin s’en faut, irrésistibles. Il n’empêche qu’elles étaient de bonne valeur et que le raz-de–marée qui déferla sur leur cage les sidéra ». Et il y avait de quoi : 12-0 le 25 mai (Narke) 15-0 le 26 (Staldalen) de nouveau 12-0 le 1er juin (Narke) 13-1 le 2 (Kopparberg) et enfin 6-1 le 5 (Saab), trois jours avant le match inaugural, contre le Paraguay… bon pour le moral !
La présence de Kopa n’y était pas pour rien. Jamais, auparavant, Fontaine n’avait joué avec Kopa, mais l’entente entre ces deux joueurs fondamentalement opposés (de style comme de caractère), mais complémentaires, fonctionna tout de suite. Voici comment Fontaine décrit le but qu’il marqua à Gilmar : « Kopa, sur la droite, amorça une série de dribbles. Connaissant mon Raymond, je fonçai sans plus réfléchir. La passe jaillit, lobant la défense brésilienne. Au milieu de trois défenseurs, je m’engouffrai dans la brèche. J’évitai Gilmar et décochai mon tir. J’avais égalisé ! ».
« Il fallait attendre que Raymond ait fini sa session »
Le secret, c’était l’appel en profondeur « au moment opportun », précise Fontaine, c’est-à-dire : « Tant que Raymond n’avait pas fini de dribbler, c’était inutile de faire un appel de balle. Il fallait parfois attendre que Raymond ait fini sa session. » Il ajoute : « Je sens son jeu comme il sent le mien. Instantanément. En Suède, Kopa eût offert des occasions à n’importe quel partenaire, comme il me les a offertes. Il n’était que de les solliciter. J’aurais marqué sans lui, il m’a facilité la tâche. »
Précisons que les bBrésiliens, Pelé y compris, qui l’a toujours chaleureusement traité, ont toujours davantage estimé Fontaine que Kopa, bluffés par son réalisme.
Ceci dit, Kopa et Fontaine n’ont joué que 11 matchs ensemble (8 victoires, 3 défaites), entre juin 1958 et décembre 1959, Kopa donnant 5 passes décisives à Fontaine (toutes lors de la Coupe du monde) et Fontaine en donnant une à Kopa (contre l’Ecosse). Par conséquent, 5 buts …sur les 26 réussis par Just Fontaine sur cette période. Les autres passes décisives sont dues à Vincent (5) Penverne (3) et Piantoni (3), sachant également que Fontaine a réussi beaucoup de buts de « rapine », en récupérant des balles relâchées par les gardiens de but.
« Rien n’était poussé au paroxysme, mais un peu de tout y était »
Quel était le style de Fontaine ? « Albert Batteux a donné une définition qui me paraît judicieuse : Justo est le prototype du joueur moyen en tout », rapporte Fontaine avec modestie. « Bliard courait plus vite que moi, Piantoni manoeuvrait avec plus de subtilité et d’adresse, il tirait fort. Kopa était un virtuose du dribble. Mais (…) j’étais plus tenace que Bliard et Piantoni, aussi gagneur que Kopa. Sans sprinter avec l’aisance de Bliard, je me déplaçais rapidement. Je shootais des deux pieds. Mon tir était moins raide et vif que celui de Piantoni, mais il partait sans atermoyer. Je sautais haut. Rien n’était poussé au paroxysme, mais un peu de tout y était et, surtout, avec la détente, la fougue et la rage du jeu. »
Fontaine, en effet, n’avait pas un gabarit impressionnant : 1,73m et 70 kilos (c’est lui qui le dit, pour l’époque, évidemment, car par la suite, il a beaucoup grossi) ; il confesse être arrivé en France, en 1953 « brut de décoffrage », mais avoir beaucoup travaillé. Voici ce qu’il dit, au moment où il évoque la blessure qui va casser plus que sa jambe : « Depuis le début de la saison (1959-60), je n’arrêtais pas de travailler ma technique de frappe des deux pieds et je ne cessais d’améliorer, entre autres, le nombre de recours pour affronter les gardiens de but en un contre un, si bien que je me sentais dorénavant proche de la perfection dans ce crucial exercice du buteur. Mais le 20 mars 1960, tout s’arrête. Et qui sait, sans cette jambe brisée ? » Fontaine n’était donc pas surtout un joueur d’instinct, il avait progressé en travaillant tout seul, et en s’adaptant à ses partenaires (Kopa plus particulièrement, mais pas seulement) ; il continuait à travailler, même une fois la réussite venue, pour aller plus haut encore.
La fracture, la rechute et la fin, à 27 ans
Ce que l’on sait peu, c’est que Fontaine rejoua, dès novembre 1960, à l’issue d’une rééducation poussée à Berck : « j’étais possédé d’une telle fureur, d’une si farouche espérance, que mon rétablissement s’accéléra », à tel point que, l’équipe de France étant alors en difficulté, l’idée de rappeler Just Fontaine germa. Il fut aligné en décembre 1960 contre la Bulgarie, qui bétonnait, et, s’il ne parvint pas à marquer lui-même, Fontaine participa à un succès très net : 3-0. C’est même sur un de ses tirs renvoyé par un poteau que Cossou marqua le troisième but.
Tous les voyants paraissaient au vert, mais la jambe finalement mal consolidée en dépit des apparences céda, en janvier 1961, sans aucun choc, sur une simple rotation. Il fallut recommencer : plâtre, rééducation, mais ce fut alors la cheville, ankylosée par l’arthrose due aux trop longues périodes d’immobilisation sous plâtre, qui posa problème. Fontaine se força encore à rejouer quelques matchs, en juillet 1962, mais le moral n’y était plus : « Le 6 juillet 1962, en Guadeloupe, contre une sélection locale, ce fut le dernier tournant. J’eus peine à m’adapter au train. Ma jambe traînailla. Sans chichis, la gorge serrée, le corps très las, j’annonçai à mes partenaires que tout était désormais fini. »
Fontaine n’est alors pas pour autant au bout de ses déceptions, car il faut bien évoquer la courte parenthèse pendant laquelle il fut sélectionneur des Bleus.
En 1967, il n’y avait plus ni un Kopa, ni un Fontaine, ni un Piantoni
« Deux matchs seulement comme sélectionneur. Un nouveau record, le record du sélectionneur au mandat le plus court. C’est aussi un record qui tient ! » écrit Fontaine, avec l’auto-dérision mêlée d’amertume qui le caractérise. Deux défaites, à vrai dire (Roumanie 1-2 et URSS 2-4) illustrant l’inanité de la tactique qu’il avait voulu mettre en place avec des novices, un 4-2-4 s’appuyant sur la recherche de la mise hors-jeu de l’adversaire. Curieux, de la part d’un attaquant, lui-même passé habile dans l’art de s’engouffrer dans les espaces laissés libres par des défenseurs ne pratiquant pas la couverture, non ?
Diplômé entraîneur dès 1963, mais n’ayant jamais exercé, Fontaine s’est heurté à la corporation des entraîneurs, s’est obstiné, et en garda une rancune tenace : « Matraqué par les uns, clabaudé par les autres (il vise les Guérin, Fruchart, Domergue, Dugauguez et Boulogne), on m’a condamné sans sursis, par peur que je prouve que le football français n’était pas une denrée avariée » (allusion à son projet de jeu offensif basé sur la défense en ligne) ; mais il croyait en son projet, et demandait du temps pour mieux mettre en place son système : « peut-être aurais-je échoué ; moi, il me reste la conviction que j’aurais réussi, parce que j’aime le football français et que je l’estime », argument au lyrisme sympathique mais utopique. En 1967, le football français n’avait plus ni un Kopa, ni un Fontaine, ni un Piantoni, et c’était toute la différence.
La fascination du nombre 13, fêté tous les quatre ans
Il est dommage que Just Fontaine ait un peu terni son image de « winner » en se lançant dans une carrière de sélectionneur à laquelle il n’était nullement préparé, et dont il a sous-estimé la difficulté ; mais, heureusement pour lui, chacun s’est empressé d’oublier cet épisode, et, les années passant il s’est installé dans ce personnage mythique de « meilleur buteur de la Coupe du Monde », rendu plus fascinant encore, à notre époque davantage férue de statistiques que le passé, par le nombre 13, et fêté tous les quatre ans.
Treize buts en six matchs, ça paraît démesuré, on se dit : mais le jeu était différent alors, plus facile, avec pour objectif de diminuer le mérite d’un tel exploit, dont on sait les attaquants d’aujourd’hui incapables. Pourtant, quand on revoit les matchs, ce qui est possible via YouTube, la différence n’est pas si grande : il n’y a pas de pressing collectif au milieu du terrain, certes, donc plus de liberté et d’espaces, mais c’est tout. Et les sprints de Fontaine sont vraiment impressionnants, autant que ceux de Mbappé aujourd’hui, sauf qu’il perce plein axe, Fontaine, c’était un attaquant moderne, de mouvement, vertical.
Mbappé sera-t-il le nouveau Fontaine ? Il est athlétiquement et techniquement plus doué, affiche la même rage de buts sur le terrain ; mais trouvera-t-il son Kopa ? En attendant, Just Fontaine reste confortablement assis sur le trône des buteurs de la Coupe du monde !