La décennie qui a tout changé (6) : novembre 2015, nuit de terreur

Publié le 14 août 2020 - Bruno Colombari

Ce soir-là, alors que Français et Allemands se rencontrent au Stade de France pour un match amical, trois hommes se font exploser aux abords de l’enceinte, pendant que les attentats se multipliaient dans Paris.

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Le contexte

L’automne 2015 est marqué par ce qui est, à ce jour, la dernière affaire qui a secoué l’équipe de France. Après une plainte de Mathieu Valbuena en juin suite à une tentative de chantage après le vol d’une vidéo intime du joueur, l’affaire s’emballe en octobre avec la garde à vue de Djibril Cissé et et de Axel Angot, Mustapha Zouaoui et Younès Houass. Le 4 novembre, c’est Karim Benzema qui est mis en examen pour « complicité de tentative de chantage et participation à une association de malfaiteurs » et placé sous contrôle judiciaire. Une semaine plus tard, L’Equipe publie une conversation téléphonique entre l’attaquant du Real et son ami Karim Zenati. Pour le rassemblement de novembre où les Bleus doivent rencontrer l’Allemagne et l’Angleterre, Didier Deschamps ne retient ni Valbuena, ni Benzema. Le meilleur passeur et le meilleur buteur de l’équipe de France voient leur statut fortement mis en cause, sept mois avant l’Euro.


 

13 novembre 2015 : France-Allemagne

En recevant les champions du monde en titre, les Bleus vont tenter de gagner un match amical de prestige, après deux défaites à domicile contre le Brésil de Neymar en mars (1-3) et la Belgique de Hazard en juin (3-4). Ils cherchent surtout à s’étalonner contre un des favoris de l’Euro 2016 que l’équipe de France convoite, 16 ans après avoir remporté l’édition de 2000, laquelle avait succédé à la victoire de 1984, 16 ans plus tôt.

Du match proprement dit, il ne reste pas grand chose. Une action lumineuse d’Anthony Martial sur l’aile gauche, qui élimine Rüdiger presque avec nonchalance avant de balader Ginter sur la ligne de sortie de but et d’éviter le retour de Boateng en servant en retrait Olivier Giroud qui battait Neuer de près. Un deuxième but en fin de match, signé André-Pierre Gignac de la tête à la réception d’un centre de Matuidi. Et, entre les deux, comme un doute : une première détonation retentit à 21h20, une deuxième, plus forte, à 21h24, sur laquelle on voit Patrice Evra sursauter, le long de la touche.

Deux des terroristes qui participent à l’opération qui va endeuiller Paris viennent de se faire sauter avec leur ceinture d’explosifs, sans avoir pu entrer dans le stade. Ils feront un mort, Manuel Dias, et plusieurs blessés graves. Mais le bilan est bien moindre que s’ils avaient agi à l’entrée où la sortie des 78000 spectateurs, voire à l’intérieur de l’enceinte.

Si François Hollande, prévenu à la mi-temps, est discrètement exfiltré, les joueurs ne sont pas tenus au courant des événements, de même que le public, afin de ne pas créer de mouvement de panique. Ce n’est qu’à la fin de la rencontre qu’une annonce sera faite au micro. Le stade sera évacué dans le calme, à l’exception d’un mouvement de foule à l’une des sorties qui fera refluer sur la pelouse quelques milliers de spectateurs.

Les deux équipes, de France et d’Allemagne, découvrent alors dans les vestiaires les attentats qui frappent Paris : ceux des terrasses, qui font 40 morts et celui du Bataclan (90 tués). Les Bleus restent dans le stade jusqu’à 4h du matin, alors que la Mannschaft est évacuée tôt le matin vers Roissy où un avion attend. Antoine Griezmann a enfin reçu des nouvelles rassurantes de sa sœur Maud, qui était présente au Bataclan. Pour Lassana Diarra, c’est la tragédie : sa cousine Aska Diakité a été tuée lors des attentats des terrasses. Il jouera quand même à Wembley quatre jours plus tard.


 

Comment Chroniques bleues l’a traité

C’est la seule fois en dix ans que je ne fais pas de retour sur le match. A quoi bon ? Parler de football était bien la dernière des choses à faire cette nuit-là, passée dans la sidération et le dégoût. Le lendemain, quand même, j’ai voulu garder une trace de ce que je ressentais, et j’ai écrit ce texte, qui n’a à la fois rien et tout à voir avec le ballon : Ce fil ténu qui nous relie à l’enfance. « quand, trop souvent hélas, l’horreur nous renvoie à la fragilité de cette vie que l’on peut souffler avec autant de désinvolture que la flamme d’une bougie, on se sent tellement démuni. Alors, un match de foot, vous pensez bien... »

Et pourtant, la vie reprend ses droits, même s’il faut composer « avec parfois la furieuse envie de se chercher un coin tranquille à l’abri de la fureur des hommes, en se disant, pour reprendre le superbe titre d’un roman de Colum McCann, Et que le vaste monde poursuive sa course folle. »

Donc, malgré tout, « Je continuerai ici à parler de football car c’est le fil, parmi quelques autres, qui me relie inévitablement à l’enfance. L’odeur d’un ballon neuf offert à Noël, les heures passées, seul dans un bout de colline, à enrouler des frappes du gauche autour d’un gros pin qui faisait office d’obstacle, le bruit des filets à chaque but marqué, ces petits moments de bonheur qui font que la vie vaut le coup d’être vécue malgré tout. »

Avant de conclure, dans cet instant flottant suspendu au milieu de la décennie, « Je continuerai à écrire sur le football parce que l’écriture est une façon de rester en relation avec les autres et le monde tout en s’en protégeant un peu, et parce que le football reste, avant tout et malgré tout, un jeu. »

Ce que ça a changé

Si bien sûr ce France-Allemagne — remporté 2-0 — et le Angleterre-France joué quatre jours plus tard — et perdu sur le même score — n’ont apporté aucun enseignement à Didier Deschamps, ils ont un peu plus soudé l’équipe autour d’un objectif commun, plus large que la victoire à l’Euro : redonner de la joie au public, vivre une aventure forte avec lui. Et d’une certaine manière, malgré la défaite contre le Portugal, les Bleus y sont arrivés.

19 des futurs vice-champions d’Europe sont présents ce soir-là. Seuls Raphaël Varane, Lassana Diarra, Hatem Ben Arfa et Loïc Perrin ne seront pas retenus pour l’Euro (remplacés par Adil Rami, Samuel Umtiti, N’Golo Kanté et Dimitri Payet). Et 7 d’entre eux seront champions du monde 32 mois plus tard : Lloris, Mandanda, Varane, Pogba, Matuidi, Griezmann et Giroud.

Enfin, cette soirée a resserré les liens entre les deux sélectionneurs, Didier Deschamps et Joachim Löw. C’était la troisième fois qu’ils se croisaient pour un match international, et ils le feront quatre autres fois par la suite : en juillet 2016 à l’Euro, en novembre 2017 en amical et en septembre et octobre 2018 en Ligue des Nations. Deschamps en a témoigné récemment sur le site de la FFF [1] : « On a vécu cet évènement dramatique ensemble. Je ne l’oublie pas et je sais que Joachim ne l’oublie pas non plus. Ces heures et ces minutes ont été très longues. Nous n’étions plus adversaires. Nous étions ensemble, à partager notre inquiétude. Avec l’Allemagne, nous entretenons un rapport de rivalité sportive mais aussi un rapport de fraternité. »

Entre 1904 et 1919, 128 internationaux ont porté au moins une fois le maillot de l’équipe de France. Si leur carrière internationale est la plupart du temps anecdotique, leur vie est souvent romanesque.

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Hommage à Pierre Cazal