Le choix du maillot (2/4) : ceux qui ont rejoint les Bleus

Publié le 12 mars 2024 - Matthieu Delahais

Après nous être intéressé aux Bleus qui ont décidé de changer de sélection, voyons le parcours de quelques joueurs qui ont choisi de porter les couleurs françaises, alors qu’ils avaient la possibilité d’évoluer pour une autre nation ou qui avaient déjà évolué sous d’autres couleurs.

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On dénombre six joueurs qui ont débuté leur carrière internationale avec une autre sélection et qui ont fini par rejoindre les Tricolores. Tous ces joueurs ont pratiqué leur art avant l’application des règles mises en place par la FIFA en 1964, et pour cinq d’entre eux avant la fin de la seconde guerre mondiale.
 Yvan Beck (7 sélections et 4 buts avec la Yougoslavie entre 1927 et 1931, puis 5 avec la France entre 1935 et 1937)
 Rodolphe Hiden (20 sélections avec l’Autriche entre 1928 et 1933, puis une avec la France en 1940)
 Michel Lauri (10 sélections et 1 but avec l’Argentine entre 1929 et 1935, puis une avec la France en 1937)
 Henri Hiltl (Une sélection avec l’Autriche en 1931, puis 2 avec la France entre 1940 et 1944)
 Pierre Duhart (2 sélections avec l’Uruguay en 1932, puis 6 et 1 but avec la France entre 1935 et 1937)
 Hector De Bourgoing (5 sélections avec l’Argentine entre 1956 et 1957, puis 3 et 2 buts avec la France entre 1962 et 1966)

Un septième joueur complète cette liste de pionniers. Il s’agit d’André Simonyi (4 capes et une réalisation sous la tunique tricolore entre 1942 et 1945). Ce joueur d’origine hongroise a en effet disputé trois rencontres avec l’équipe B magyare entre 1930 et 1933.

Carlos Curbelo, dénoncé par un journaliste uruguayen

Depuis, deux joueurs ont profité de leur double nationalité pour défendre les couleurs de la France, alors qu’ils avaient évolué plus jeune sous le maillot d’une autre nation. Le premier est Carlos Curbelo, uruguayen de naissance, qui quitte son pays en crise en 1962 pour tenter sa chance en Europe. Il passe huit ans à Nancy (1972-1980) puis autant de temps à Nice (1980-1988). En 1976, il obtient la double nationalité et est appelé en équipe de France. Il joue contre la Pologne, puis entre en jeu contre la Hongrie. Son aventure en Bleu s’arrête toutefois-là, la faute à quatre matchs joués avec l’équipe olympique d’Uruguay lorsqu’il avait 18 ans. « C’est un journaliste uruguayen qui m’a dénoncé à la FIFA ! explique-t-il. Le journaliste en question devait m’en vouloir parce que je ne lui donnais pas de nouvelles de mes matches avec Nancy. Je n’avais rien contre lui, mais je n’aimais pas parler de moi. Je pense qu’il ne l’a pas supporté et qu’il s’est vengé [1]. » La fédération uruguayenne l’approche ensuite en vue de la Coupe du monde 1982, mais la Celeste ne se qualifie pas et Curbelo ne porte pas le maillot de son pays d’origine.

Presnel Kimpembe, un match avec la RDC

Le second à avoir suivi le même chemin est le monde Presnel Kimpembe. En octobre 2014, il dispute un match avec les u20 de la République Démocratique du Congo (défaite 3-0). « C’était une équipe composée de pas mal de nouveaux joueurs, se souvient Glenn Mbimba. Avec Presnel, on se connaissait déjà puisqu’on avait fait notre formation ensemble au PSG. Il a beaucoup apporté sur le terrain car c’est un défenseur très sûr qui met en confiance ses partenaires. Lui comme beaucoup de joueurs ont d’ailleurs été couvés par la fédération. On a tenté de le retenir, mais il faut comprendre ses arguments. Il m’a dit qu’il pensait pouvoir davantage progresser avec les Bleus et que c’était une décision personnelle. Evidemment, on aurait aimé l’avoir chez nous. La France peut se sentir chanceuse de le compter dans ses rangs [2]. » Quelques mois après ce premier match avec les Léopards, Kimpembe est à nouveau appelé par le Congo pour un stage à Dubaï mais avec l’équipe A cette fois-ci. Le défenseur décline toutefois l’invitation et préfère répondre à l’appel du sélectionneur des u20 français. Il est ensuite convié en espoirs, puis en A en octobre 2016 mais doit patienter jusqu’au 27 mars 2018 pour honorer sa première sélection avec l’équipe de France [3].

David Trezeguet, le choix de carrière

Un autre champion du monde français aurait pu porter le maillot de son pays d’origine. David Trezeguet, né à Rouen en 1977 alors que son père évoluait dans le club local, est retourné en Argentine alors qu’il n’était qu’un bébé. Il a pourtant gardé un certain attachement à la France. « Quand j’avais huit ans, en 1986, j’étais attiré par le maillot bleu, cette équipe de France des Michel Platini, Jean Tigana, Luis Fernandez... Ce qui est drôle, c’est que j’ai fait leur connaissance à tous les trois, plus tard. Cette équipe de France était toujours dans ma tête. Mais je ne portais pas le maillot en public. Cet attachement, je ne le montrais pas, je le vivais de mon côté [4]. »

Il retourne dans son pays de naissance en 1995 et réussit à décrocher un contrat avec l’AS Monaco. Bien vite, ses performances et sa double nationalité attirent l’attention de Gérard Houiller, sélectionneur des juniors. Le buteur explique d’ailleurs que « au départ, jouer pour les Bleus, c’était un choix de carrière, je le nie pas [5]. » La suite lui donne raison, puisqu’il remporte la Coupe du monde, puis l’Euro avec les Bleus et marque 34 fois en 71 sélections.

Lucas Hernandez, entre rouge et bleu

Vient ensuite le cas particulier des frères Hernandez. Les deux joueurs ont en effet vécu toute leur vie en Espagne et ont eu du mal à faire le choix entre les Bleus ou la Roja.
Lucas, l’aîné, fait toutes ses gammes avec les équipes de France de jeunes (27 sélections entre 2012 et 2017 entre les u16 et les espoirs), mais semble prêt à rejoindre la Roja fin 2017 avec à la clé la quasi-promesse de jouer la Coupe du monde 2018 à la condition qu’il obtienne la nationalité espagnole [6]. Dans les jours qui suivent, le sélectionneur espagnol, Julen Lopetegui, tempère les choses puisqu’il juge la sélection d’Hernandez impossible. « Ce n’est pas un joueur sélectionnable. Parler de lui serait quelque chose qui n’a pas de sens. » L’obtention de la nationalité espagnole est en effet difficile d’autant plus que le processus est ralenti à la suite d’une affaire de violences conjugales [7].

Début mars 2018, il déclare « L’Espagne m’a tout donné, si on m’appelle j’y vais (…) Je me sens plus Espagnol que Français. Je parle mieux l’espagnol que le français, pour tout dire [8]. » L’affaire semble donc entendue, mais Didier Deschamps le convoque en Bleu le même mois, le défenseur y répond favorablement et tente de justifier ses déclarations passées : « Ça a pu être mal perçu. Les Français ne me connaissent pas. J’ai 22 ans. Ça fait 18 ans que je vis en Espagne. Quand je dis qu’elle m’a tout donné au niveau personnel et footballistique, c’est la vérité. J’ai fait mes études là-bas et ma carrière comme footballeur. C’est vrai aussi que je parle mieux espagnol que français. J’ai un peu l’accent comme vous pouvez le voir. Tout ça est vrai, mais ça n’empêche pas que mon pays, c’est la France et que c’est une fierté pour moi de défendre le maillot Bleu. Je n’ai jamais voulu dire que la France n’était pas mon pays [9]. » Il est depuis devenu un cadre de la sélection française avec laquelle il devient champion du monde en juillet 2018.

Théo Hernandez refuse les Espoirs mais attend les A

Son frère Théo suit le même chemin tortueux. Il porte le maillot des équipes de France de jeunes à 16 reprises entre 2015 et 2016 (pour un but, entre les u18 et u20), mais refuse une convocation avec les Espoirs en 2017. Il revient sur ce refus en 2019 lors d’un entretien avec L’Equipe : « J’ai fait une erreur de jeunesse. Mais ce n’était pas clair non plus à tous les niveaux. L’Atlético avait déjà refusé de me libérer en 2016 pour faire l’Euro des moins de 19 ans. Je sortais également d’une grosse saison avec Alavés et d’une finale de Coupe du Roi. On va dire aussi qu’on ne m’avait pas poussé à y aller, peut-être que certaines personnes espéraient peut-être que je choisisse l’Espagne. » Il explique également que son choix est fait en faveur des Bleus. “Ma décision est prise depuis quelques années. J’ai joué en équipe de France des moins de 18 ans, même si l’Espagne nous a fait des appels du pied à Lucas et à moi. Sa réussite avec les Bleus a encore renforcé ce choix. Je suis tellement fier de le voir champion du monde ) [10]. »

Le benjamin de la fratrie Hernandez doit cependant patienter près de deux ans pour rejoindre son frère sous le maillot Bleu, où il s’illustre rapidement en remportant la Ligue des Nations face à l’Espagne. En 2022, il supplée avec brio la blessure de son frère lors du premier match de la Coupe du monde (il est buteur en demi-finale), mais ne peut remporter le trophée, échouant aux tirs au but en finale.

[2RDC : Pourquoi Kimpembe a opté pour les Bleus, afrik-foot.com, 6 octobre 2016

[4Hamza Hissir, David Trezeguet : « Ma binationalité m’a rendu plus fort », tf1info.fr, 12 février 2016

[5« Jouer pour les Bleus, c’était un choix de carrière », So Foot, octobre 2010

[6Lucas Hernandez aurait choisi la sélection espagnole, lefigaro.fr, 10 décembre 2017

[7Lucas Hernandez interdit de sélection espagnole ?, football.fr, 3 janvier 2018

[8François Tesson, L’Espagne l’a mauvaise pour Lucas Hernandez, sports.fr, 16 mars 2018

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