Allez, prenons un peu de recul et éloignons-nous un instant de la fosse septique dans laquelle se vautre l’équipe de France depuis quelques jours. En vérité, je vous le dis, les Bleus n’avaient pas la moindre chance de s’en sortir en Afrique du Sud, même si, à l’heure où ces lignes sont écrites (dimanche 20 juin au matin), la route d’un éventuel huitième finale n’est pas encore fermée. Un huitième de finale contre l’Argentine de Messi, Higuain et Tevez, qui a déjà surclassé l’équipe de France deux fois en trois ans... Comme disait Bartleby, je préfèrerai ne pas.
Finalement, la main de Thierry Henry amenant le but égalisateur — et qualificatif — contre l’Irlande en novembre dernier aura été le point de départ d’un système entropique dont on mesure aujourd’hui toute la puissance. Or, en se penchant sur l’histoire des Bleus, l’attaquant de Barcelone aurait pu comprendre que tout allait mal se passer et qu’il valait mieux laisser sortir le ballon et donner à nos amis irlandais l’occasion de défendre leur chance au pays des springboks.
Avant même le tirage au sort de décembre qui alait établir les groupes du premier tour, deux conjonctions particulièrement défavorables étaient déjà en place : la première est d’ordre politique. Jamais, au grand jamais, l’équipe de France n’a gagné quelque chose avec un gouvernement de droite [1]. Et elle a conquis ses trois trophées (coupe du monde 1998, Euro 1984 et 2000) avec un gouvernement de gauche.
Mieux, même, à trois reprises en coupe du monde, un changement de majorité a eu lieu quelques semaines avant la compétition, alors que les Bleus alignaient une équipe ayant des chances sérieuses de victoire : en 1978 (la gauche perd de justesse les législatives en mars, la France alors « championne du monde des matches amicaux » est battue au premier tour en Argentine), en 1986 (nouvelle défaite de la gauche aux législatives en mars, les Bleus champions d’Europe s’inclinent en demi-finale au Mexique) et en 2002 (champions du monde et d’Europe, la France se vautre au premier tour en Corée quelques jours après la réélection de Chirac à la présidentielle).
Autrement dit, le résultat de 2012 aura des conséquences directes non seulement sur l’avenir du pays, mais aussi sur l’Euro en Pologne, le Mondial au Brésil et bien sûr l’Euro organisé à domicile pour lequel, bonne nouvelle, les Bleus sont déjà qualifiés.
La deuxième conjonction est plutôt numérique. Quand l’année se termine par un 0, ce n’est pas bon, ne me demandez pas pourquoi (à moins que ce zéro final n’ait une signification subliminale). C’est la cinquième fois qu’une coupe du monde tombe une année en multiple de dix, et à chaque fois, ça s’est mal fini : en 1930, les Bleus ne passent pas le premier tour en Uruguay, en 1950, 1970 et 1990, ils ne participent même pas à l’épreuve, et pour 2010, on voit le résultat. La seule exception à la règle, il en faut bien une, est l’année 2000, dont le triple zéro a permis aux Bleus de triompher à Rotterdam. Mais c’était un championnat d’Europe.
La troisième, enfin, a été scellée lors du tirage au sort de décembre dernier. Tombée dans un groupe composé du Mexique, de l’Uruguay et de l’Afrique du Sud, l’équipe de France pouvait s’estimer plutôt bien lotie. Grave erreur : en 1930, la victoire sur le Mexique au premier tour n’avait pas suffi pour éviter une élimination rapide. En 2002, un triste 0-0 contre l’Uruguay condamnait les Bleus à un exploit face au Danemark pour éviter un retour prématuré à Paris, en vain. Et en 1978, la dernière fois que l’équipe de France a rencontré le pays organisateur (l’Argentine), elle a perdu et a été éliminée dès le deuxième match de la compétition.
L’intersection de ces trois porte-poisse (Mexique, Uruguay et pays organisateur) s’était déjà produite une fois, en 1966 en Angleterre, et ça n’avait pas raté : un nul et deux défaites plus tard, les Français retraversaient la Manche.
La droite au pouvoir, une année terminée par un zéro et un tirage vaudou au premier tour (on pourrait aussi ajouter l’absence d’un grand numéro 10 et le faux départ qui ne se rattrape jamais), c’en était trop pour les Bleus. Ah oui, un petit dernier pour la route : en 2010, après trois éditions manquées au dernier moment, Nicolas Anelka a participé à sa première coupe du monde.