« Et nous, les petits, les obscurs, les sans-grade », proteste le personnage de Flambeau, un vétéran des guerres napoléoniennes, dans L’Aiglon d’Edmond Rostand… Louis Schubart fait partie de ceux-là, vétéran des combats livrés, sinon sous l’uniforme, du moins sous le maillot bleu.
Sans-grade parce qu’il n’a joué que trois pauvres matchs, tous trois perdus sur des scores de plus en plus humiliants : 0-5 contre la Belgique, puis 0-15 contre l’Angleterre en 1906, et pour terminer en beauté, 1-17 contre le Danemark en 1908, qui dit mieux pour un défenseur, 37 buts en 3 matchs ? Petit, non pas au sens propre, puisqu’il mesurait 1,83 m, soit 20 centimètres de plus que la moyenne à l’époque (l’équivalent d’1,95 m aujourd’hui), mais en raison de son poste dans l’équipe : demi-aile, soit arrière latéral, purement défensif, chargé de gêner l’ailier adverse, un poste où l’on plaçait souvent les moins doués. Obscur, parce que jusqu’en 1992 on ignorait jusqu’à son prénom, et que son état-civil complet n’est connu que depuis peu ; en 1954, Football 54, qui tentait de dresser le premier dictionnaire biographique des Bleus, très embryonnaire, ne trouvait rien d’autre à dire de Schubart que ceci : « joueur très long et très maigre ». Authentique !
Cet article est donc la première étude un peu fouillée consacré à cet oublié des Bleus.
Louis Adolphe Schubart est né le 8 avril 1885 à Lille d’un père allemand, lui-même né à Germersheim, petite localité située près de la frontière alsacienne, à une quinzaine de kilomètres de Karlsruhe, négociant en textile venu s’établir dans le Nord, où il s’était marié (avec une Lyonnaise originaire du quartier de la Guillotière). Il reçoit une bonne instruction, ce qui n’est pas si fréquent à l’époque, ce qui lui permettra de devenir le secrétaire général de l’Olympique Lillois, le club qu’il rejoint à sa fondation en 1902, et où il opère, dans la ligne de demis, aux côtés d’André Billy, le futur sélectionneur, et aussi l’homme qui commettra l’énorme erreur de séparer l’USFSA, qui régissait le football depuis 1894, de la FIFA.
Un athlète qui pratique le saut en hauteur et le saut à la perche
Long, soit, mais pas maigre, comme on peut le vérifier sur les photos : Louis Schubart est un athlète qui pratique le saut en hauteur et le saut à la perche, il est robuste, agile, sa taille l’avantage dans le jeu de tête, et il n’a pas les « pieds carrés », comme disait Platini : on relève même qu’« il abuse trop (sic) des dribblings, mais il a parfois des retours de force splendides », sous-entendu quand il a perdu la balle en tentant de dribbler.
Avec les années, Schubart prendra de la bouteille, deviendra le capitaine et demi-centre de l’équipe ; on relève, en 1909, ce commentaire (sur Dunkerque-Sports) : « Joueur consommé et très vite, Schubart est étourdissant et les aspirants à cette place ont pu prendre une bonne leçon de ce qu’un demi-centre doit faire et comment il doit jouer ». Un peu dithyrambique sans doute, mais il faut dire que la modeste équipe de l’US Malo-les Bains venait de prendre une correction (9-1) face à l’Olympique Lillois.
Louis Schubart en avril 1906 avec l’équipe de France contre la Belgique (debout, à droite) (BNF, Gallica).
Sa (modeste) carrière internationale, Schubart la doit à André Billy. Ce dernier surnommé le « Napoléon du football » (décidément…), a su prendre la place de Clément Robert-Guérin, le créateur de la FIFA, lorsque celui-ci, en désaccord au sujet des relations avec l’Angleterre, démissionne de ses fonctions à l’USFSA au nombre desquelles figurait celle de sélectionneur des Bleus. Et il décide d’ouvrir la sélection aux provinciaux, jusqu’alors parents pauvres. Bon, en fait il l’ouvrira aux Nordistes, de sorte que l’équipe dite de France, qui n’était qu’une équipe de Paris, devient à partir de 1906 une équipe de Paris et du Nord. Il faudra attendre le milieu des années 1920 pour qu’elle devienne réellement une sélection de toute la France.
La préférence lilloise en sélection
Billy n’oublie pas son ex-coéquipier de l’Olympique Lillois lorsqu’il compose sa première équipe de France en 1906 pour affronter les Belges au stade de la Faisanderie, qui est situé sur un terrain militaire de Saint-Cloud ; c’est même le seul Lillois, rejoint par Zacharie Baton pour le match suivant, joué contre les Anglais, au Parc des Princes (première génération), cette fois-ci. La presse (parisienne…) proteste en signalant que Schubart, en novembre 1906, « se morfond depuis un mois à Verdun dans l’artillerie de forteresse » et que « on a le tort de le prendre sur sa réputation et non sur sa forme actuelle », ce qui n’est peut-être pas faux, même si le malheureux Schubart n’est nullement responsable de l’ampleur du score.
Les Anglais ont la possession du ballon 90% du temps, les six défenseurs français, en comptant le gardien, ne reçoivent jamais le renfort des cinq attaquants et ne parviennent jamais à dégager vraiment le ballon, qui revient sans arrêt : à l’époque, on ne défend pas à 11, et encore moins à 11 joueurs repliés devant leur but, comme c’est trop souvent le cas aujourd’hui. Les attaquants attendent le ballon sur la ligne médiane, les mains sur les hanches, et bien peu ont l’idée d’aller prêter main-forte aux défenseurs, quel que soit le score.
C’est ce qui explique que, quand une équipe domine techniquement et collectivement, comme l’Angleterre ou le Danemark, ledit score ne peut qu’enfler, dans des proportions parfois humiliantes. Les Bleus de 1906 ou 1908 ne sont pas nuls techniquement individuellement, mais justement leur défaut est cet individualisme, faute de travail collectif à l’entraînement, si tant est qu’on puisse appeler entraînement l’échauffement auquel se livrent les joueurs avant une partie.
Schubart, sans doute à la suite de ce fiasco et des remarques faites par la presse, n’est pas resélectionné en 1907 ni au début de 1908, c’est-à-dire tant qu’il est sous les drapeaux ; la presse signale qu’il fait sa rentrée fin avril dans les rangs de son club, avec lequel il affronte les célèbres Corinthians. Par contre, il sera choisi pour aller à Londres disputer le tournoi olympique… avec le succès que l’on connaît, et sur lequel je ne reviendrai pas encore une fois, face aux Danois. On trouve encore trace de lui dans les journaux jusqu’à la fin de l’année 1910, mais plus après.
Louis Schubart en janvier 1907 sous le maillot de l’Olympique Lillois (à droite) (BNF, Gallica).
Un mariage et une scission
Deux raisons possibles : la première, il se marie en 1911, et l’on sait qu’à cette période de pur amateurisme, le mariage et la paternité sonnent souvent la fin d’une carrière footballistique, qui requiert de la disponibilité, notamment pour les déplacements à « l’extérieur », comme on dit. Disponibilité que ne permet souvent plus la famille. La seconde, c’est que l’Olympique Lillois, dirigé jusqu’alors par son ami Billy, et dont il était le secrétaire général, est secoué par des rivalités. André Billy est contesté par Henri Jooris, qui deviendra bientôt le manitou du club, au point que Billy claque la porte et s’en va créer un club rival en 1912, entraînant derrière lui la moitié de l’équipe, le Club Lillois.
Le nom de Schubart n’apparaît pas au moment de la création de ce club, au contraire, par exemple, de celui de leur équipier, aux côtés de Billy dans la ligne de demis de 1902, Georges Veilletet ; mais la coïncidence de l’arrêt de Schubart, qui disparaît tant des équipes lilloises que des rangs des dirigeants, incite à penser qu’il a jeté l’éponge à ce moment, tiraillé entre ses deux fidélités, à son club, et à Billy.
Trente trois mois à Mayence
Quoi qu’il en soit, il n’est reparlé de Louis Schubart que lorsqu’il est fait prisonnier en février 1916, à Beaumont en Verdunois. Les circonstances en sont connues : le village de Beaumont, situé à 15 km de Verdun, a été vidé de ses habitants en septembre 1914, et deux régiments se sont installés sur la ligne de crête du bois des Caures. Une attaque allemande, le 21 février 1916 sous la neige et par un froid polaire, a semé la débandade d’autant plus que le colonel assurant le commandement a été tué ; le repli sur le village inoccupé de Beaumont se fait vaille que vaille, Beaumont « tombera » le 24. Quant à Schubart, il est fait prisonnier dès le 23, et passera les deux années et demie suivantes dans un stalag près de Mayence, d’où il ne sera libéré que le 27 novembre 1918, soit quinze jours après l’Armistice.
A partir de ce moment, on perd sa trace ; tout juste sait-on qu’il a quitté le Nord et qu’il a beaucoup bougé (il est représentant en lin), pour finir par s’établir à Beaugency, près d’Orléans, où il est mort le 23 novembre 1954.
Les 3 matchs de Louis Schubart avec l’équipe de France
Sel. | Genre | Date | Lieu | Adversaire | Score | Tps Jeu | Notes |
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1 | Amical | 22/04/1906 | Saint-Cloud | Belgique | 0-5 | 90 | |
2 | Amical | 01/11/1906 | Paris | Angleterre | 0-15 | 90 | plus large défaite à domicile |
3 | JO | 22/20/1908 | Londres | Danemark | 1-17 | 90 | plus large défaite de l’histoire |