Lire la recension du livre Le brassard, vie et mort d’Alexandre Villaplane
L’histoire des Bleus lors des deux guerres mondiales est très riche. Pourquoi avoir choisi de raconter celle de Villaplane, à coup sûr la moins glorieuse de toutes ?
Justement parce qu’elle se distingue du destin de ses coéquipiers ! On a affaire à un homme qui porte le maillot tricolore et est même le capitaine de l’équipe, puis qui tombe dans la délinquance, travaille pour les Allemands mais tente de les rouler, est arrêté et, à peine un an après avoir échappé à une probable déportation à Auschwitz, revêt l’uniforme noir d’officier SS. Même à l’échelle du reste de la population, c’est un parcours incroyable, qui éclipse ce qu’ont pu faire ses coéquipiers, dont certains ont pourtant été des héros pendant les deux guerres.
Vous faites un récit très vivant et détaillé de la première Coupe du monde en 1930, sans doute la moins suivie par la presse, du moins en France. Quelles ont été vos sources ?
Les premières sources, les plus évidentes, sont les journaux de l’époque, même si les récits faits par des envoyés spéciaux en Uruguay, qui sont parfois les joueurs eux-mêmes, peuvent être parfois erronés. Ensuite, j’ai eu accès aux archives et aux ouvrages que possède le Musée national du sport de Nice. Enfin, la presse étrangère a été également d’une grande aide.
Le Conte Verde est quasiment le troisième personnage du livre, après Villaplane et Mattler. Pourquoi ce choix ?
J’ai exercé la profession d’administrateur des affaires maritimes puis présidé un tribunal maritime. En écrivant ce livre, c’est donc naturellement que, par simple curiosité au début, j’ai cherché à mieux connaître l’histoire de ce navire. Et c’est en trouvant ces éléments que j’ai constaté que la vie de ce navire épousait parfaitement celle de Villaplane. Les grands débuts juste après 1920, la gloire en 1930, les convulsions de la guerre et la fin en 1944-45. En cela, je trouvais que le Conte Verde épousait son époque et pouvait permettre de mieux mettre en lumière les temps compliqués dans lesquels Villaplane évolue.
« La complexité du parcours de l’homme puis sa chute présentaient un vrai caractère romanesque »
On sent par moments que le parcours d’Etienne Mattler vous fascine. Est-il plus facile d’écrire la vie d’un héros que celle d’un salaud ?
Ce qui m’a fasciné dans le parcours d’Etienne Mattler, c’est tout d’abord d’avoir constaté que personne n’avait raconté son destin jusqu’ici ! Mon livre n’épuise pas le sujet, et une grande biographie de cet homme d’exception reste à écrire. J’ai tenu à mettre la vie de Mattler en parallèle avec celle de Villaplane pour montrer que des parcours dignes étaient également possibles pendant cette période, mais je dois avouer qu’écrire la vie tortueuse d’un salaud comme Villaplane était particulièrement intéressant, tant la complexité du parcours de l’homme puis sa chute présentaient un vrai caractère romanesque.
Dans quelle mesure les dernières années avant le professionnalisme ont-elles fait basculer Villaplane du côté de l’escroquerie, avec son argent facile acquis grâce à des emplois de complaisance ?
Je pense que la personnalité de Villaplane l’aurait conduit, amateurisme marron ou pas, vers l’escroquerie. Lorsque j’ai creusé sa vie, j’ai rapidement découvert un homme très intéressé par l’argent, quelles que soient les circonstances. Peut-être la volonté de prendre une revanche sur la société de la part d’un homme venu d’un milieu extrêmement modeste et qui va rapidement côtoyer des patrons de clubs ou des chefs d’entreprise. Il fréquente les tripots et les champs de courses dans toutes les circonstances, qu’il perçoive le salaire modeste tiré d’un emploi de complaisance ou des sommes bien plus importantes versées par le Racing Club de Paris à partir de 1929. On a comme l’impression que sa chute dans le banditisme était inévitable compte tenu de sa personnalité.
L’équipe de France en février 1929. De gauche à droite : Wallet, Devaquez, Chantrel, Lieb, Nicolas, Banide, Villaplane (les bras le long du corps), Galey, Henric, Bertrand, Veinante (BNF Gallica)
« Il connaît l’ivresse de stades remplis par 40 000 personnes, serre la main de chefs d’Etat, fait la Une des journaux... »
Malgré le discours ambiant sur l’exemplarité que les internationaux devraient avoir, de tous temps certains ont eu des problèmes judiciaires, souvent liés d’ailleurs à leur entourage. Votre propos n’est-il pas de démontrer que derrière les grands sportifs il y a avant tout des hommes, avec leurs faiblesses ?
C’est certain. Et ces faiblesses peuvent devenir des failles béantes du fait de la notoriété, de l’argent et des entourages intéressés. J’ai le sentiment que Villaplane a complètement perdu les pédales à partir de l’année 1930, date à laquelle il est finaliste de la Coupe de France et capitaine des Bleus. Il connaît l’ivresse de stades remplis par 40 000 personnes, serre la main de chefs d’Etat, fait la Une des journaux... En cela, il fut un précurseur, dont la chute a été accélérée par le fait qu’aux débuts du professionnalisme, aucune structure n’aide à la reconversion des joueurs. Mais au final, je crois que dans l’histoire des « racailles du foot », aucun n’arrive à la cheville de Villaplane.
La Collaboration a été une période très féconde pour le Milieu, protégé de la police et de la justice par l’Occupant, et avec d’énormes possibilités de pillage. Ce contexte était-il favorable à ce que des escrocs de modeste envergure, comme Villaplane, basculent dans la grande criminalité ?
Les années d’occupation furent les « belles années du Milieu », pour reprendre le titre d’un livre de référence sur le sujet (Grégory Auda, 2002). Le rationnement permet le développement de tous les trafics, les autorités d’occupation ne voient aucun inconvénient à ce que les voyous tentent d’humilier l’appareil d’Etat, police et justice, dès lors que l’ordre règne. C’est en effet une période bénie pour des petits voyous qui peuvent monter en grade en profitant de ces nouveaux trafics et en prenant la place d’autres escrocs faits prisonniers de guerre ou en fuite. Les « grandes familles » du Milieu sont contraintes de s’ouvrir à de nouveaux profils du fait de la guerre et ce sera la malchance de Villaplane qui peut ainsi rejoindre la bande de Henri Lafont, le chef de la « Gestapo française ».
« Villaplane n’a épargné la vie d’otages ou de résistants que lorsqu’il y trouvait son intérêt »
Quand Villaplane affirme, après son arrestation, qu’il a contribué à sauver des vies au printemps 1944, dans quelle mesure est-ce vrai ?
C’est presque totalement faux. Ce qui est établi, c’est qu’il a eu quelques moments d’humanité face à des enfants capturés par sa brigade, qu’il a accepté de libérer face à l’insistance des autorités locales. Mais pour le reste, Villaplane n’a épargné la vie d’otages ou de résistants que lorsqu’il y trouvait son intérêt, pour tenter d’obtenir le paiement d’une rançon ou essayer de ménager ses arrières à l’heure où la défaite de l’Allemagne apparaissait inéluctable.
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Franc Tireur du 8 décembre 1944 (BNF Gallica)
Dans votre livre, vous citez un témoin direct des exactions de la brigade Nord-africaine commandée par Villaplane. Il avait 13 ans à l’époque des faits. Villaplane l’a épargné. Quelle place prend ce témoin direct, au milieu de tout ce travail avec les archives ?
Je voulais absolument retranscrire ce témoignage pour ne pas perdre la mémoire orale de l’Histoire, une source aussi frappante, voire plus, que les récits d’archives. Dans mon précédent ouvrage (La revanche de la guillotine, 2018), j’avais réussi à recueillir le témoignage du fils du dernier bourreau, qui a assisté son père lors de la dernière exécution capitale et qui est mort quelques mois après la sortie du livre. Je veux montrer que des basculements importants se déroulent souvent à l’échelle de la simple durée de vie d’un homme, et que l’histoire vécue peut continuer à marquer un pays 80 ans après les faits.