En frappant le défenseur italien, Zidane est exclu à dix minutes du terme des prolongations de la finale de la Coupe du monde 2006, alors que le score est de parité (1-1) et qu’une séance de tirs au but se profile. Des années après le match, l’arbitre Horacio Elizondo a reconnu ne pas avoir vu ce qui s’est passé, tout comme ses deux assistants. C’est le quatrième arbitre qui lui a relaté l’altercation entre Materazzi et Zidane, très certainement après avoir contrôlé les faits sur un écran, à une époque où la VAR n’existait pas encore. Pour donner le change, Elizondo est allé dire quelques mots à son arbitre de touche, faisant croire qu’il venait se renseigner sur ce qui s’était passé pour légitimer le renvoi aux vestiaires de Zidane alors qu’il n’avait rien vu [1].
Réactions à chaud
A l’issue du match, les joueurs des équipes avouent pour la majorité ne pas savoir ce qui s’est passé à la 108e minute. La tendance est plutôt à se voiler la face côté français : Willy Sagnol déclare « Je n’ai rien vu, je ne sais pas ce qu’il s’est passé mais ça n’a rien changé au match. » et Thierry Henry se cache derrière un « Je ne sais pas ce qu’il s’est passé, j’étais en train de sortir et de prendre place sur le banc. J’ai entendu un cri et j’ai vu Materazzi par terre. Je ne veux pas m’étendre là-dessus. »
Lilian Thuram se doute (et regrette) pour sa part du rôle tenu par le quatrième arbitre : « On ne peut pas parler de tournant du match. Je ne sais pas exactement ce qui s’est passé. Ce que je sais, c’est que l’arbitre du centre et son assistant n’ont rien vu. Je crois que c’est le quatrième arbitre qui a vu quelque chose et qui a dit que Zidane avait mis un coup de tête à Materazzi. Je n’ai pas l’habitude de parler de l’arbitrage, mais je trouve cette décision bizarre. Car à partir du moment où le quatrième arbitre peut dire certaines choses à l’arbitre de champ, il aurait pu lui dire qu’il y avait penalty (sur une action précédente). Il s’est passé quelque chose, mais je ne sais pas quoi. »
Ayant pris connaissance des faits, les Français n’accablent pas leur meneur de jeu. Le sélectionneur, Raymond Domenech, explique : « Quand on prend comme lui pendant une heure vingt et que l’arbitre laisse gentiment faire, on comprend. On n’excuse pas, mais on comprend. » Le ton est le même pour Florent Malouda, qui déclare : « Personne n’en veut à Zizou. De toute façon, on ne sait pas si ça aurait changé grand-chose. Il s’est fait expulser, on sait pourquoi, mais les grands joueurs se font souvent provoquer ».
Les réactions italiennes sont forcément plus dures et sans doute posées en connaissance des faits. Gianluca Zambrotta se dit “pas été étonné de sa réaction, il avait déjà fait cela lorsqu’il jouait à la Juventus" et Francesco Totti juge que “Ce qu’a fait Zidane est inacceptable mais ça n’empêche pas que [il a] beaucoup de regrets de le voir quitter le football”. Le discours du sélectionneur italien est plus posé. Il se dit “déçu pour Zidane parce que [il l’a] en grande estime”.
Dans le secret des vestiaires
De retour dans leurs vestiaires, les joueurs sont informés via leur téléphone de ce qui s’est passé. Et Zidane s’excuse “pour avoir un petit peu lâché ses partenaires par ce geste stupide. Il demande pardon à tout le monde.” [2] William Gallas dit avoir apprécié la prise de parole de son capitaine. “On a trouvé ça très humble de sa part, mais c’est à l’image de la personne. C’était son dernier match en sélection, il ne faut pas oublier non plus qu’il avait une pression énorme sur les épaules.” [3]
Domenech prend ensuite la parole pour remercier son groupe et Zidane en particulier : “Je tiens à vous remercier pour tout ce que vous avez accompli tout au long de ce parcours, avec une attention spéciale pour Zizou. Ce qui lui est arrivé est très grave, très lourd, mais c’est comme ça, et doit ne pas nous faire oublier que Zizou a fait une immense carrière. Je vous demande donc de l’applaudir.” [4] Selon le sélectionneur, tout le vestiaire aurait ensuite applaudi le numéro 10 des Bleus.
Jean-Alain Boumsong pour sa part garde l’amertume d’avoir perdu la finale aux tirs au but, mais n’en veut ni à David Trezeguet (qui a raté sa tentative), ni à Zidane. “Ce sont des grands joueurs, qui ont beaucoup apporté à la sélection, ils ont été décisifs dans le titre mondial en 1998 et dans le titre européen en 2000. C’est tombé sur eux ce jour-là, d’autres auraient pu rater le penalty ou prendre un carton.”
Et après...
Il faudra du temps, mais au fils des années, certains joueurs vont revenir à froid sur cet évènement.
En 2014, dans le cadre d’une interview pour la chaîne de télévision argentine DeporTV, Lilian Thuram affiche clairement son opinion sur la question, sans mâcher ses mots [Thuram : “Zidane s’est trompé”, RMC Sport, 7 mai 2014] ]] : “Il me paraît normal de dire que Zidane s’est trompé. N’importe qui d’entre nous peut faire des erreurs dans la vie, mais je ne suis pas d’accord pour dire, comme certains voudraient le faire croire, qu’il avait raison. Parce qu’il n’avait pas raison. Il s’est trompé. Les gens qui disent qu’il a eu raison, ne sont jamais retrouvés dans une situation où il est nécessaire de travailler ensemble pour atteindre un objectif extraordinaire. Et, tout à coup, il y en a un qui met en danger et rend quasiment impossible à atteindre cet objectif, pour lequel vous avez travaillé toute votre vie.”
Quatre ans plus tard, lors d’une intervention dans l’émission Le Vestiaire sur RMC Sport [5], Willy Sagnol, explique que son sentiment à l’issue de la finale était la colère : “contre les Italiens, contre Zizou, contre les arbitres, contre Materazzi, contre [lui]-même”. Il se demandait surtout comment il pourrait dire à Zidane qu’il lui en voulait : “Comment je vais aller lui dire que j’ai les boules contre lui, contre Zizou ?... Comment je pouvais aller lui dire ça ?! (...) C’est humain. Mais Zizou était déjà tellement au trente-sixième dessous... Et puis, même, tu n’es pas trop bête non plus, donc tu vas te souvenir de certaines choses : son match contre le Brésil en quart de finale, son retour un an avant le Mondial sans lequel on n’y allait pas...".
Le défenseur latéral explique aussi que tous les joueurs ont “eu un peu les boules et [ont] tous voulu l’exprimer, ce d’une façon ou d’une autre, même si certains l’ont gardé pour eux quand d’autres ont préféré le dire plus publiquement” [Willy Sagnol : "En 2006, j’en ai voulu à Zizou, comme à la terre entière, 1er janvier 2020]]. Il a pour sa part gardé ça pour lui avant que sa compagne lors des préparatifs de leur mariage ne réussisse à le convaincre d’appeler son ancien partenaire pour l’inviter à la cérémonie. Sagnol conclut en se réjouissant d’avoir de la présence de son coéquipier pour ce grand jour. “On a pris l’apéro, on a mangé ensemble, et c’était sympa. Pas d’avoir Zinédine Zidane, mais d’avoir un ami, un copain, à son mariage.”
Fabien Barthez s’exprime aussi sur la question lors d’un épisode de L’équipe enquête organisée à l’occasion des 50 ans de Zidane. Son regret est de ne pas avoir réussi à gagner la finale pour son sortir la tête du trou à son copain [Zidane, cet épisode que Barthez « n’a pas digéré », 23 juin 2022 ]]. “Est-ce qu’on lui en veut ? Moi pas du tout. Au contraire, moi je m’en veux. De ne pas l’avoir sorti du trou. C’était à nous de le sortir du trou. Une fois qu’il a pris ce rouge, c’était à nous de remporter (il ne finit pas sa phrase)… C’est là où je m’en veux. C’est un truc que je n’ai pas digéré, 15 ans après. Plus que d’aller gagner un deuxième titre personnel, c’était de le gagner avec lui. » Et quand le journaliste lui suggère qu’il pourrait être humain de lui en vouloir, la réponse de Barthez est cinglante : “Si t’es un gros connard, c’est humain.”
Bixente Lizarazu, avec qui Zidane était devenu champion du monde en 1998 mais retraité des terrains en 2006, regrette pour sa part de ne pas voir été présent sur le terrain ce soir-là pour aider son ancien partenaire et peut-être l’empêcher de commettre cette erreur. « Il était dans un état émotionnel extrême, parce que c’était son dernier match, parce que c’était sa dernière compétition, parce qu’après ça il allait arrêter le foot. On aurait été capable de le sentir, de le désamorcer. Ça ne change rien à sa légende, mais j’aurais aimé être là pour l’aider. »